Boussad Berrichi, écrivain et universitaire, s’impose depuis plusieurs années comme l’un des intellectuels les plus attentifs à la mise en valeur du patrimoine littéraire et culturel nord-africain, en particulier à travers l’œuvre de Mouloud Mammeri.
Boussad Berrichi est titulaire d’un doctorat ès Lettres en littératures comparées francophones, obtenu à l’Université Paris-Ouest Nanterre. Il a enseigné les littératures françaises et francophones en Algérie, en France et au Canada. Berrichi mène une carrière à la croisée de la recherche universitaire et de l’engagement culturel. Il est également chercheur associé au Canada-Mediterranean Centre de l’Université York à Toronto et chercheur invité de la Fondation Kastler de l’Académie des sciences en France. Installé au Canada depuis plusieurs années, il enseigne à l’Université d’Ottawa et continue de collaborer avec diverses institutions francophones et amazighes à travers le monde.
Son parcours est à l’image de son œuvre : transfrontalier, exigeant, ancré dans une volonté de transmission. Il a d’abord exercé comme enseignant en Algérie, avant de poursuivre sa carrière en France. Boussad Berrichi a animé l’émission radiophonique « Tiggwura Igenwan » (Les Portes du ciel) sur la Chaîne 2 de la radio kabyle d’Alger de 1998 à décembre 2000. Cette émission lui a valu la Médaille d’Or du Grand Prix URTI (Union Radiophonique et Télévisuelle Internationale) en 2000 pour son travail de médiation culturelle.
Par ailleurs, il a également animé l’émission « Idles / Culture » sur BRTV (Berbère Télévision) en 2004 et 2005. Cette émission bilingue (français/tamazight) mettait en lumière des écrivains, universitaires et intellectuels autour de leurs œuvres et publications.
Cette expérience témoigne de son rôle actif dans la diffusion de la culture amazighe au-delà des cercles académiques et de son engagement à rendre cette culture accessible à un large public.
Son engagement intellectuel le conduit à explorer des figures clés de la francophonie maghrébine, notamment des auteurs souvent marginalisés par les canons littéraires occidentaux.
Parmi les œuvres les plus notables de Berrichi figure sans conteste Mouloud Mammeri Amusnaw, publié aux éditions Séguier en 2009-2010, est bien plus qu’une simple biographie : il s’agit d’une véritable entreprise de réhabilitation intellectuelle.
À travers un agencement soigné de textes, d’archives et de témoignages, Berrichi construit un portrait riche et nuancé de Mammeri, écrivain, linguiste, anthropologue et militant culturel dont l’œuvre, bien que reconnue, reste trop souvent réduite à quelques éléments de surface.
Le terme « Amusnaw », qui signifie « sage » ou « homme de savoir » en tamazight, prend ici toute sa dimension : il ne s’agit pas simplement de raconter une vie, mais de restituer un legs, une parole, une posture éthique. L’ouvrage s’ouvre sur un entretien inédit et précieux avec le sociologue Pierre Bourdieu, réalisé en 2000, dans lequel ce dernier évoque son amitié intellectuelle avec Mammeri, sa place dans le champ culturel postcolonial, et le rôle des intellectuels dans les sociétés en transition. Cette introduction donne le ton d’un travail ancré dans une lecture critique de la mémoire postcoloniale, et soucieux de réarticuler les liens entre engagement, production de savoir et transmission.
D’autres contributions, comme celles du philosophe Mohammed Arkoun, de l’écrivain Tahar Djaout ou encore de l’intellectuel Abdelwahab Meddeb, viennent enrichir la réflexion, créant une polyphonie de regards autour de la figure mammerienne. Mais c’est sans doute à travers l’édition scientifique monumentale des deux volumes Mouloud Mammeri, Écrits et paroles, parus en 2008 aux éditions du CNRPAH à Alger, que le travail de Boussad Berrichi atteint une ampleur et une profondeur exceptionnelles. Ce projet éditorial colossal, fruit de plusieurs années de recherches, de collectes, de transcription, de vérification et d’annotation, constitue aujourd’hui une référence incontournable. Plus de soixante-dix textes – essais, scénarios, entretiens, correspondances, discours – y sont réunis, certains totalement inédits ou longtemps restés dans l’ombre. Cette somme documentaire donne accès à un Mammeri plus complet, plus politique, plus engagé, notamment à travers ses écrits clandestins pendant la guerre d’Algérie, soigneusement contextualisés par Berrichi.
L’exigence scientifique appliquée à cette mise en forme critique, la rigueur du travail de compilation et l’intelligence du commentaire font de ces volumes une contribution majeure à la connaissance de l’œuvre mammerienne. Ce travail, d’une ampleur rare dans le champ des études littéraires francophones, est unanimement salué par les spécialistes comme une entreprise salutaire, méthodique et essentielle. Ce souci de rendre visible les voix minorées traverse l’ensemble de son œuvre. En 2010, il dirige Tamazgha francophone au féminin, un recueil collectif qui explore, à travers les prismes du genre, de la langue et de la mémoire, l’expression littéraire des femmes amazighes dans l’espace francophone.
Ce travail interdisciplinaire illustre bien l’approche inclusive de Berrichi, qui cherche à faire dialoguer littérature, anthropologie et histoire dans une perspective critique et décoloniale. De même, il consacre un ouvrage à Assia Djebar – Une femme, une œuvre, des langues –, poursuivant ainsi sa réflexion sur les écrivains d’expression française issus du Maghreb, et sur les stratégies multilingues qu’ils mobilisent pour dire la complexité de leur rapport au monde.
Boussad Berrichi n’est pas un biographe au sens classique du terme. Il est un passeur, un archiviste engagé, un lecteur sensible qui, à travers ses travaux, s’efforce de préserver les fragments d’un patrimoine intellectuel souvent menacé par l’oubli ou la récupération idéologique. Son travail autour de Mouloud Mammeri est à la fois un hommage et une entreprise critique, visant à restituer à l’un des grands penseurs nord-africains du XXe siècle toute la densité de sa parole.
Boussad Berrichi contribue ainsi à réinscrire l’écrivain et chercheur Mouloud Mammeri dans l’histoire longue de la pensée méditerranéenne, francophone et amazighe, là où tant d’autres l’avaient figé dans une image stéréotypée d’auteur folklorisant ou d’intellectuel périphérique. Loin d’être un simple exercice de mémoire, l’œuvre de Berrichi a un impact réel sur les études littéraires francophones et postcoloniales. Elle fournit aux chercheurs et aux lecteurs une matière précieuse, aussi bien pour comprendre les trajectoires individuelles que pour interroger les enjeux collectifs de la production littéraire au Maghreb.
Par son style limpide, son érudition sans ostentation, et son engagement dans les luttes pour la reconnaissance des identités plurielles, Berrichi s’impose aujourd’hui comme une voix essentielle dans le champ de la critique francophone contemporaine. Sa contribution au rayonnement et à la compréhension de l’œuvre de Mammeri, par l’ampleur et la précision du travail accompli, représente sans conteste l’un des gestes intellectuels les plus significatifs de ces dernières décennies dans le domaine de la littérature nord-africaine.
Brahim SACI
Boussad Berrichi est l'invité de Youcef Zirem au café littéraire parisien de l'Impondérable, au 320, rue des Pyrénées, Paris XXe, ce dimanche 6 juillet 2025 à 18h, pour parler de ses travaux sur Mouloud Mammeri.