22 novembre 2024
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Bouteflika, le DRS et la république de « Allah ghaleb »

Bouteflika

À l’instar du système immunitaire du corps humain, qui sous l’effet d’agent pathogène, peut s’emballer et s’en prend à son propre corps, le système de sécurité peut s’emballer lui aussi, à ne plus distinguer entre amis et ennemis. C’est ce qui s’est passé les années 90, où la machine s’est follement emballée, sous l’effet conjugué d’un terrorisme inédit, aggravé par des facteurs d’origine étrangère. Il n’y avait pas photo ! On était face à un cas de leucémie sécuritaire grave, face à laquelle il fallait agir vite!

Ne reconnaissant aucune autorité à l’Etat et n’obéissant donc à aucune loi ou règle établis, le terrorisme était dans son rôle, massacrer et détruire, alors que les services de l’Etat devaient être à l’antipode de cette vision destructrice et devaient être cadrés. Selon les détracteurs du tout sécuritaire, « la peur doit changer de camp ! », a été la formule par laquelle on a ouvert la porte de l’enfer dans cette lutte contre le terrorisme islamiste qui n’épargnait personne, le règlement de compte ainsi qu’une forme de « terrorisme d’Etat », dont les séquelles persistent.

Avant même son retour, Bouteflika était aux faits de ce qui se passait en Algérie et y avait développé sa propre grille de lecture des événements. Dès son retour, il a fait bouger ses influences extérieures au profit de sa vision de sortie de crise. Animé d’ambition sans limite, aucun obstacle ne devait se dresser en travers de son chemin.

Bouteflika a voulu donc faire table rase de tout ce qui pouvait lui faire de l’ombre. Rien ne devait lui imposer quoi que ce soit y compris sous l’intitulé pompeux de la « lutte contre le terrorisme », pour gagner de la visibilité sur son dos, en intra ou en extra muros. Sa politique de la concorde civile et sa charte pour la paix et la réconciliation nationale, visaient à retirer cette carte des mains du militaro sécuritaire, DRS et consorts, au profit d’un « processus juridico-politique », dont il était le seul à manier les fils. Un processus jugé par ses détracteurs, injuste, fumeux, narguant le droit et instituant à l’impunité.

Les médias ne parlaient plus des opérations de ratissage, d’accrochages et de capture de terroristes qui défilaient en boucle dans les J.T, mais uniquement de ces terroristes qui se sont rendus aux forces de sécurité, arme à la main et qui ont bénéficié des nouvelles dispositions.

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Bouteflika voulait donc « pacifier«  le pays, rompre le cercle de la violence, sauver à la fois le peuple et le régime et récolter les dividendes politiques. Il se heurta vite à la réalité imposée par un tout sécuritaire, devenu indéboulonnable, notamment après les tristes événements du 11/09 qui ont catapulté le monde dans une tout autre histoire. L’Algérie d’alors, se vantait d’avoir combattu seule, le terrorisme et se sentait donc à l’avant-garde de cette guerre devenue mondiale et dans la quelle elle s’était engagée cœur et âme. En contrepartie, le monde devait fermer les yeux sur ces effets indésirables, comme l’arbitraire sécuritaire. Bouteflika trouva alors la formule magique, en maintenant la coopération sécuritaire avec l’Occident dans toutes ses formes secrètes, licites et illicites, et en intra-muros, il baissa le fumée du militaro-sécuritaire.

Selon les partisans du tout sécuritaire, l’Algérie de 1999, avait soldé son compte avec le terrorisme islamiste. Elle n’avait plus de problèmes internes à régler, mais de positions externes à défendre et d’image à récupérer. Ce pourquoi, on a accepté l’offre de service de Bouteflika, disent certains. Voulant lui faire porter le costard du chef de la diplomatie sous couvert de burnous du chef d’Etat.

Bouteflika voulait être le de Gaulle algérien. Comme lui, il s’était exilé et dès son retour sur la scène politique française le 13 mai 1958, il personnalisa le pouvoir. Cette image le fascinait ! En plus, de Gaulle ne portait pas les services dans son cœur, les espions les nommait-il. « Ce n’est pas un espion qui doit dicter sa politique à de Gaulle ! », lui attribue-t-on.

Même si lui-même en refusait le terme, le Gaullisme exprimait pour beaucoup, cette personnalisation du pouvoir par le général de Gaulle. Pour qu’elle puisse donner le meilleur d’elle-même et prendre la tête des nations, la France devrait, selon lui, être en permanence unifiée par un chef, un État ou un projet, articulée autour d’institutions politiques fiables, un équilibre des pouvoirs efficace et une économie forte.

Par la récupération de ses prérogatives présidentielles, jusqu’à l’individualisation du pouvoir qui faisait abstraction des institutions de l’Etat et de sa Constitution, Bouteflika a voulu pousser à son paroxysme ce mimétisme au général de Gaulle. Les résultats électoraux réalisés : 85%, 81.5%, 90.2% et 81.5% des voix au 1er, 2e, 3e et 4e mandat, lui confèrent la légitimité suffisante pour procéder à un recentrage du pouvoir et agir contre quiconque se mettait en travers de son chemin.

« Toufik », alors l’homme le plus fort du régime, décrit par certains, comme le « Poutine algérien », a beaucoup appris au sein des services les plus hermétiques de l’Etat. Ce parcours lui a conféré une grande capacité de manœuvre. Bien que légaliste jusqu’au bout, le régime dont il était le gardien du temple, n’entendait aucunement le partage du pouvoir et encore moins le concéder à quiconque, quand bien même celui-ci, s’appelait Abdelaziz Bouteflika et qui de surcroît, incarnait une légitimité révolutionnaire et populaire et un soutien en extra muros, difficilement contestables. Ce dernier, et voulant réaffirmer son autorité sur l’ensemble des institutions de l’Etat, devait en finir d’avec l’Etat parallèle ou l’Etat dans l’État, disait-il.

Pour Bouteflika, un Etat ne devait pas être bicéphale. Le 12 septembre 2015, Toufik est descendu de son piédestal d’une manière douce et son DRS reconfiguré. Bouteflika venait de fermer la parenthèse du DRS. Il faut savoir que dès les années 1990, Bouteflika avait identifié les centres de décision au sein de l’Etat. « Les 5 chats ne me font pas peur ! », disait-il. Il a remanié la haute hiérarchie militaire, en relevant de leurs fonctions une vingtaine de généraux et de généraux-majors dans l’un des plus spectaculaires épisodes de ce qui aura marqué son règne : l’État bicéphale, céda la place à un système présidentiel fort.

Malheureusement, le président de la république de « Allah Ghaleb  » comme il ironisait, et malgré une manne financière historique et la résorption de l’onde de choc du printemps arabe, a fait un très mauvais choix de stratégie et d’hommes de mains. La gestion stupide et chaotique de la chose publique qui s’est contentée de réduire l’Algérie à des enveloppes budgétaires à consommer et des marchés à octroyer, sans une aucune pertinence économique avérée, ont fini par lui faire payer une lourde facture, disent ses détracteurs ! Alors qu’il en avait les moyens, Bouteflika n’a rien fait pour sortir le pays du tunnel, reconduire le système de gouvernance vers une 2e république et mimer jusqu’au bout son idole, le général de Gaulle, instigateur de la 5e république.

Le Hirak national du 22 Février l’a mis face à un dilemme impossible à résoudre. Il ne pouvait, cette fois-ci, sauver le régime et le peuple, comme il l’avait fait en 1999, puisque le régime n’était autre que lui et ceux qui rodaient dans sa sphère d’influence. Il ne pouvait donc sauver l’un sans sacrifier l’autre.

Bien que pragmatique, Bouteflika était le président des chances perdues par excellence ! Il s’est contenté d’acheter la paix sociale par l’argent du trésor public et des décisions populistes de nature à résorber les revendications identitaires, comme l’officialisation de Tamazight, le 05 janvier 2016 ou consacrer Yennayer, jour férié et chômé, le 18 janvier 2018, c’était son modus operandi. Des revendications qui allaient crescendo, au point qu’il les qualifie de « terrorisme culturel ».

À une présence économique incontestable, la France à fortifié son influence politique en Algérie, surtout sous Bouteflika. Le 12 juin 2013, ce dernier tient une réunion de travail de deux heures avec A.Sellal et A.G. Saleh, alors Premier ministre et chef d’état-major respectivement. Ils évoquent la situation générale du pays sur le plan politique et sécuritaire, le projet de la LFC 2013 et préparent le prochain conseil des ministres. Un seul problème, elle ne se déroule pas à El-Mouradia, mais au Val-de-Grâce de Paris. L’incongruité de la situation était frappante : le chef de l’Etat algérien dirigeait son pays depuis la France. L’image furtive de la caméra fait même apparaître un portrait officiel de François Hollande.

Aucun président n’a donné autant à la France sur le plan politique et économique et pourtant, le traitement médiatique de sa maladie par les médias français qui l’avaient passé en dérision, était lamentable. Ces derniers avaient excité encore plus le mécontentement populaire, déjà à son comble parmi les Algériens contre le 5e mandat, notamment. Trop affaibli par la maladie, lâché par son peuple, la France ne voulait plus de lui à la tête du pays ad vitam eternam.

Le Hirak national du 22 Février, était venu comme une réponse d’une rue qui eût ras-le-bol de cet épisode tragi-comique que Bouteflika a voulu lui faire vivre, en voulant briguer un 5e mandat, en dépit d’un état de santé lamentable et contre une gestion chaotique du pays qui ne profitait qu’aux favoris de la république, sans droit ni mérite.

Après avoir jeté l’éponge en avril 2019, le chef d’état-major A. Gaïd Saleh, prit en main le destin du pays. Le 10 avril 2019, ce dernier déclare « .., nous avons déploré l’apparition de tentatives de la part de certaines parties étrangères, partant de leurs antécédents historiques avec notre pays, ..». Déclaration qui déboucha sur l’arrestation de l’ex-patron du DRS, du coordinateur des services de sécurité, du frère du Président déchu et du SG du Parti des travailleurs. Ces accusations d’une prétendue ingérence française dans le but d’entraver le processus d’assainissement de la vie politique et économique dans notre pays, ont poussé l’ambassadeur de France à Alger à les réfuter en bloc. Après avoir été condamnés à de lourdes peines, les accusés seront acquittés après la mort de feu AGS.

Bouteflika est parti, en laissant derrière lui une Algérie ankylosée, régis par le même logiciel, et surtout, dangereusement tiraillée par des revendications identitaires qui se radicalisent et qui pour la plus radicale, cherchant des amarrages en extra muros, une crise économique qui se fait sentir à travers les disparités régionales et la qualité de vie des Algériens, en déclin permanent et de surcroît, des conflits latents sur nos frontières. Le retour en force du DRS est perçu, quant à lui, comme un signe fort des forces d’inertie qui veulent reprendre du service, fermer la parenthèse Bouteflika et verrouiller le champ politique.

Après sa récupération par ceux qui voulaient avoir leur revanche sur les années 90 et ceux, sur l’histoire antique de ce pays, le Hirak national du 22 F, a cessé d’être national. Du coup, le régime reprend son souffle et affiche même un air de vainqueur.

Entrant en mode Wait & See, le Hirak n’a pas encore dit son dernier mot, disent certains, il s’est juste mis en veille, pour ne pas cautionner de telles revendications idéologiques qui se cachent derrière celles de la civilité de l’Etat, de l’Etat de droit et en fin, donner sa chance aux changements politiques annoncés par les tenants du pouvoir qui tardent à voir le jour. Le régime commettra une grosse erreur, s’il pense que le Hirak national n’était venu que pour rejeter le 5e mandat. La dynamique qui a été à l’origine de ce formidable mouvement populaire est toujours présente. Le Hirak mûrit pour mieux réagir aux mêmes causes qui donneront sûrement, les mêmes effets et comme disait Bossuet« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».

Dr A. Boumezrag

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