6 décembre 2024
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Bouteflika : Mugabe et putschiste à la fois (2)

Chroniques du temps qui passe

Bouteflika : Mugabe et putschiste à la fois (2)

Bouteflika répète à celui qui veut l’entendre qu’il n’acceptera pas que l’armée s’ingère dans le choix du futur président. Il se présente ainsi comme un adversaire résolu des coups d’État et de l’intrusion des militaires dans la vie politique. La réalité le concernant est hélas beaucoup moins prestigieuse qu’il ne l’affirme.

Sa première grande mission réussie au bénéfice des militaires date de décembre 1961. L’indépendance de l’Algérie devenait imminente et le débat sur le futur Etat algérien s’installait alors avec la passion et les calculs qu’on devine. Pouvoir civil ou militaire ? L’interrogation divisait l’état-major général de l’ALN, dirigé par le colonel Houari Boumediène et le Gouvernement provisoire de Benyoucef Benkhedda. Pouvoir civil ou militaire ?

Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf avaient accumulé, en cinq ans de détention, un capital moral qui faisait d’eux les recours privilégiés du conflit. (1) Qui parmi eux accepterait de devenir le premier président civil de l’Algérie indépendante allié aux militaires ? Pour le savoir, le colonel Boumediène dépêcha, début décembre 1961, auprès d’eux le capitaine Abdelaziz Bouteflika avec pour recommandation spéciale de privilégier la candidature de Mohamed Boudiaf à qui, selon Rédha Malek, un des négociateurs à Evian et ancien Premier ministre, « il vouait une secrète estime pour avoir travaillé avec lui ».

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La mission de Bouteflika, confirme le premier président du GPRA, Ferhat Abbas, « consistait à trouver parmi les cinq prisonniers un éventuel allié (aux chefs militaires) ». Le commandant Rabah Zerari, dit Azzedine, qui était, avec Kaïd Ahmed et Ali Mendjeli, l’un  des trois adjoints de Boumediène  à l’état-major général de l’ALN basé à Ghardimaou. »

Qui pourrait être ce chef d’Etat suffisamment complice pour n’apparaître qu’en vitrine, mais assez crédible pour s’imposer devant l’opinion ? Les regards se tournent vers les cinq dirigeants du FLN détenus au, en région parisienne, après l’avoir été à la Santé, au fort de l’île d’Aix, puis à Turquant, en Touraine.  Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf avaient accumulé, en cinq ans de détention, un capital moral qui faisait d’eux les recours privilégiés du conflit. (1) Qui parmi eux accepterait de devenir le premier président civil de l’Algérie indépendante allié aux militaires ? Pour le savoir, le colonel Boumediène dépêcha, début décembre 1961, auprès d’eux le capitaine Abdelaziz Bouteflika avec pour recommandation spéciale de privilégier la candidature de Mohamed Boudiaf à qui, selon Rédha Malek, un des négociateurs à Evian  et ancien Premier ministre, « il vouait une secrète estime pour avoir travaillé avec lui ».

La mission de Bouteflika, confirme le premier président du GPRA, Ferhat Abbas, « consistait à trouver parmi les cinq prisonniers un éventuel allié (aux chefs militaires) ». (2) Le com-mandant Rabah Zerari, dit Azzedine, qui était, avec Kaïd Ahmed et Ali Mendjeli, l’un  des trois adjoints de Boumediène  à l’état-major général de l’ALN basé à Ghardimaou. avant qu’il n’en démissionne en août 1961, est plus direct : « Bouteflika était, en vérité, chargé de vendre un coup d’Etat aux cinq dirigeants. » 

Proposer la présidence à Boudiaf ? La mission était d’autant plus risquée que Bouteflika n’ignorait rien des opinions poli- tiques de Boudiaf, notoirement connu pour être un esprit hostile aux accommodements en politique, acquis au multipartisme et à l’indépendance du pouvoir politique et dont, en conséquence, il fallait s’attendre au refus de se laisser choisir comme paravent par les chefs militaires. Hervé Bourges, homme de médias français, qui rendait souvent visite aux cinq détenus en qualité de représentant d’Edmond Michelet, le ministre de la Jus- tice de De Gaulle, apporte un témoignage saisissant sur le détenu Boudiaf : « Je l’ai bien connu à Turquant, où il m’apparaissait comme le plus dur des cinq, le plus ancré dans ses convic- tions, décidé à ne pas en dévier, méfiant à l’égard de ses compagnons et de leurs conceptions idéologiques, notamment pour ce qui concerne Ben Bella dont il se séparera très vite, le soupçonnant, déjà, de vouloir s’arroger un pouvoir personnel. Boudiaf sera d’emblée hostile à l’idée du parti unique, où il voit les germes d’une dictature, même s’il s’agit de ce prestigieux FLN qui sort vainqueur auréolé de la guerre de libération et auquel il appartient depuis le début. » (2)

Aussi, le très avisé émissaire Abdelaziz Bouteflika, soucieux de garantir l’hégémonie militaire après l’indépendance, fit son affaire d’écarter l’obstiné démocrate Boudiaf au profit du« compréhensif » Ben Bella. Ce dernier présentait l’immense avantage de ne voir aucune objection à s’allier à l’état-major, fut-ce au risque d’un grave conflit fratricide.

«L’entrevue qu’il eut avec Boudiaf se déroula très mal, rapporte le commandant Azzedine. Boudiaf a non seulement refusé énergiquement d’être coopté par l’état-major, mais s’offusqua que l’émissaire de Boumediène, qu’il houspilla publiquement, lui fît pareille proposition fractionnelle au moment où les Algériens étaient appelés à aller unis aux négociations avec les Français. Il le renvoya sèchement. Bouteflika comprit alors tout l’avantage qu’il y avait pour l’état-major à opter pour Ben Bella, très conciliant et qui, d’ailleurs, prit en aparté l’envoyé spécial de Boumediène pour lui faire part de sa disponibilité. »

«Ben Bella et Bouteflika se sont fait des mamours verbaux, ils se sont séduits mutuellement avec leurs savoir-faire respectifs », a appris Ahmed Taleb Ibrahimi, incarcéré à l’époque dans un autre lieu de détention.« Bouteflika s’adressa alors à Ben Bella qui accepta d’être l’homme de l’état-major, raconte Ferhat Abbas. Cette alliance, demeurée secrète, allait peser lourdement sur l’avenir du pays. » (1)  On le comprit quelques mois plus tard :

«Ce qui a poussé Boumediène à affronter le GPRA, c’était l’alliance qu’il avait scellée avec Ben Bella à Aulnoy, récapitule Rédha Malek. Alliance réciproquement avantageuse. Boumediène avait besoin d’un politique et Ben Bella d’un fusil. » (2)

L’émissaire Bouteflika avait réussi sa mission. Il quitte  Paris pour Londres d’où il appelle le colonel Boumediène pour lui annoncer le succès de l’opération. « Quelques jours plus tard, raconte Rédha Malek, Boumediène et Ben Bella ont un entretien téléphonique. Ils se disent très satisfaits de la mission de Bouteflika. L’alliance est scellée. » (1)

Bouteflika venait d’assurer l’intérêt du pouvoir militaire en écartant Mohamed Boudiaf et, en propulsant Ahmed Ben Bella.

Ben Bella entrera à Alger en 1962 comme il en sortira en 1965, par les chars de Boumediène.A chaque fois, le sang algérien a coulé. Dans les deux cas Abdelaziz Bouteflika a joué le rôle d’agent détonateur au service des chefs militaires. A suivre

M.B

Source :  Bouteflika, une imposture algérienne, Editions Le Matin – 2004

Notes :

1. Le 22 octobre 1956, le DC-3 marocain, décollant de Rabat et transportant vers Tunis Ahmed Ben Bella, Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf, accompagnés de Mostefa Lacheraf, a été intercepté au-dessus d’Alger par les autorités coloniales. Les dirigeants algériens devaient représenter le FLN au sommet tripartite maghrébin qui devait se tenir à Tunis les 22 et 23 octobre. Ils seront incarcérés en France jusqu’en mars 1962, en compagnie de Rabah Bitat qui avait été arrêté le 23 novembre 1955.

2. Hervé Bourges, De mémoire d’éléphant, Grasset 2000  

3.Ferhat Abbas, L’indépendance confisquée, Flammarion, 1984.

4. Rédha Malek, L’Algérie à Evian, Le Seuil, 1995.

Auteur
Mohamed Benchicou

 




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