Aujourd’hui, partir est devenu le sport national préféré. La fuite des cerveaux n’est plus une exception, ni même un choix douloureux : c’est une évidence.
Les jeunes, et même les moins jeunes, n’aspirent plus seulement à réussir chez eux, mais à fuir ailleurs.
À une époque, quand on demandait à un enfant : « Que veux-tu faire plus tard ? », il répondait : médecin, ingénieur, footballeur, pilote… Aujourd’hui, posez la même question : la réponse est souvent directe, désarmante —
« Je vais avoir mon bac, puis je pars en France ou au Canada. »
Ce n’est plus seulement un projet professionnel : c’est un plan de sauvetage personnel. Et pendant ce temps, ceux qui détiennent les leviers de décision semblent vivre dans un autre monde, à distance des angoisses du quotidien.
Leurs enfants, souvent déjà installés à l’étranger, ne connaissent pas les mêmes incertitudes, ni la même précarité. Ce décalage, plus que la volonté, explique sans doute pourquoi le désespoir de ceux qui partent reste si peu entendu. Car pendant qu’une génération s’en va, c’est tout un pays qui se vide lentement de ses forces vives.
Récemment, j’ai vu les images d’une sortie de promotion de 270 médecins à la faculté de médecine de Tizi Ouzou.
J’étais sincèrement heureux et fier de voir autant de jeunes diplômés, autant de talent et d’effort récompensé. Mais en même temps, une pensée m’a traversé l’esprit : « Tous ces jeunes médecins vont partir ailleurs. »
Nous formons ici des compétences d’exception… pour faire le bonheur des autres.
Et pourtant, nous ne nous faisons pas d’illusions : la France n’est plus l’Eldorado d’autrefois. Là-bas aussi, les temps ont changé — chômage, manque de logements, précarité, solitude.
Beaucoup découvrent que l’exil ne guérit pas le mal-être, il le déplace simplement.
Mais quand on ne voit plus d’avenir chez soi, même l’inconfort ailleurs paraît plus supportable que l’attente ici.
Cette hémorragie silencieuse a un prix humain immense : des mères qui vieillissent dans le silence, des pères qui attendent des appels qui se font rares, des villages et des villes où l’on ne voit plus que des visages fatigués.
On parle d’économie, de développement, de “nouvelle Algérie”… Mais qui parle de cette douleur-là ? De ce vide affectif qu’aucune promesse d’avenir ne peut vraiment combler ?
Il est temps de poser les vraies questions. Pas seulement : « Pourquoi partent-ils ? »
Mais surtout : « Qu’avons-nous fait pour qu’ils veuillent tous partir ? »
Parce qu’au fond, la fuite des cerveaux n’est pas une fatalité — c’est un symptôme.
Celui d’un pays qui n’écoute plus ses enfants, qui ne croit plus en son propre avenir.
Et si, à force de laisser partir ses meilleurs esprits, notre pays se vidait de sa “carte grise” — de son savoir, de sa jeunesse, de son intelligence ?
Parce que sans jeunesse, sans espoir, sans confiance… que restera-t-il ?
Aziz Slimani

