7 mai 2024
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« Chant de mémoire kabyle » de Fouzia Belaid : un hymne à la Kabylie 

 

Fouzia Belaid

On ne sort pratiquement pas indemne après la lecture du « Chant de mémoire kabyle » de Fouzia Belaid. Ecrit à la manière d’un roman, le récit nous entraîne vers le passé, dans les tribulations intimes des montagnes du douar de Toudja, plus précisément Aghbalou en basse Kabylie, et puis dans la mémoire tatouée de Zohra, résistante des premières heures, fière passagère du legs de la révolution, à travers ses poèmes déclamés à tout bout de champ, comme seule trace de célébration des souvenirs du maquis. 

En hommage à son « défunt » mari, Mohand, qu’elle croyait tombé au champ d’honneur, après lui avoir laissé un enfant à charge, Hamid, disparu lui aussi plus tard, suite à une maladie rare,  Zohra, à la fleur de l’âge, avait subi toutes les duretés de la vie pour remonter la pente.  Installée dans la nouvelle cité urbaine « Oudali », sorte de bidonville qui donne une image de ce que fut sa campagne kabyle d’antan, Zohra fut la digne héritière de la mémoire des révolutionnaires, des femmes et surtout de la campagne kabyle. Ses poèmes sont comme un don divin, une offrande céleste. En revanche, à sa grande surprise, Mohand est retourné au bercail au mitan des années 1970 et nul n’a pu comprendre les raisons de sa disparition mystérieuse.

C’est toute une vie qui recommence pour Zohra, en quête de l’amour de sa première jeunesse. Là, le récit semble être un peu décousu pour nous plonger dans l’itinéraire de Salah, l’aîné des six garçons de Hocine, l’un des plus anciens moudjahidines d’Aghbalou, voisin de Na Zohra à la nouvelle cité. Insouciant et vivant dans la sempiternelle joie de la jeunesse, Salah donne un pied de nez à tous les codes tacites de la cité, en voulant se convoler en justes noces avec Marguerite, son amie émigrée. L’idylle devient gênante, mais s’avère être décidément la seule bouffée d’oxygène pour l’adolescent qu’il était, dans une société ravagée par le culte morbide des tabous. Et puis, beaucoup d’autres histoires se croisent et nous jettent dans un grand labyrinthe.

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La femme kabyle, porteuse de la mémoire  

En vérité, Fouzia Belaid, biologiste de formation et professeure de collège nous raconte, non sans un certain talent, la Kabylie des années 1970 dans tous ses états, à la recherche désespérée de son être, en privilégiant une sorte de pédagogie narrative singulière. Autrement dit, l’auteure fouine avec douceur et nostalgie dans les replis d’un passé de campagne aux mille et une facettes. Ses personnages, Zohra, Hocine, Salah, Fatma, Djedjiga, Arezki, Si Saïd, Aicha et tant d’autres sont en apparence comme imprégnés de la grande histoire de la guerre de libération, tout en étant submergés en profondeur par leur quotidien fait de galères, de rêves contrariés et de désillusions. Il semble, enfin de compte, que ces personnages uniques, singuliers, représentatifs de la campagne d’autrefois ne sont que des voix polyphoniques, lesquelles campent dans ce magnifique texte de Fouzia Belaid, le rôle de relais de mémoire. L’oralité fonctionne pour une large partie comme un constituant de l’identité collective de la société.

Au fil des pages, c’est tout le désordre de l’indépendance avec ses désillusions, ses ratages et ses déceptions qui s’offre au lecteur sous forme d’une nouvelle de campagne. Mais ce qui est d’autant plus fascinant dans Chant de mémoire kabyle, c’est que l’auteure appuyait bien son récit par de magnifiques descriptions, grâce auxquelles elle met l’accent sur la nécessité de la transmission orale des traditions ancestrales. Une transmission à la base de laquelle se trouvait la femme, le maillon essentiel de la chaîne du savoir et de la connaissance.

Ainsi l’auteure évoque-t-elle avec une pointe de nostalgie les rituels, les us et les coutumes qui ne se perpétuent dans la cité que grâce à l’élément féminin, porteur de la mémoire collective. Par-delà le fait qu’il soit un hymne à la femme, Chant de mémoire kabyle peut facilement se lire comme un guide anthropologique, lequel revient avec intérêt sur ce qui constitue le fondement de la société kabyle ancienne : l’oralité, la mémoire et la solidarité.

L’auteure est née en Kabylie en 1971 et est diplômée en microbiologie à l’université d’Abderahmane Mira à Béjaia. Actuellement, elle enseigne dans un collège. Elle a fait ses débuts dans l’écriture en tant que correspondante dans « La Nouvelle République », puis dans « Le Matin ». Chant de mémoire kabyle est son premier ouvrage.

Avis sur le récit : une œuvre très savoureuse, passionnante et délicatement tricotée qui casse par quelques procédés stylistiques la chronologie narrative traditionnelle, avec des détours didactiques sur la culture kabyle : tislit anzar (déesse de la pluie), le sacrifice du mouton pendant l’Aïd, les circoncisions, les fêtes de mariages, les rituels, les légendes, etc. Sincèrement, cela vaut le coup d’y jeter un coup d’œil! Autre particularité intéressante : les poèmes sont retranscrits dans le texte dans leur langue d’origine, le Berbère et traduits par l’auteure en français. C’est un véritable travail de fourmi! Malgré quelques petites coquilles, par moments, on sent comme si l’on est en train de lire Les Vigiles ou les Chercheurs d’os de Tahar Djaout ! Comme première expérience dans l’écriture, c’est très prometteur à plus d’un titre.

Quelques citations et extraits : « L’arrivée des expatriés au bled à la quête de nouvelles joies familiales était à chaque fois une renaissance » (P.85) »Depuis la nuit des temps, la terre a toujours traversé des périodes de sécheresse. Des périodes connues en Kabylie sous le nom d’Aghurar. Ce dernier est une phase dans laquelle l’hiver renonce étrangement à sa générosité » (P. 130) « Ah! Tu veux faire des études pour gouverner ? Mais voyons, tu n’as pas besoin d’aller à l’école pour ça. De toute façon, tu ne piges rien! Le lion, lui n’a rien dans la tête. Il gouverne avec ses grosses dents et pas avec son crâne! » (P. 154) »Le mariage constitue une étape très importante dans la vie des Kabyles. C’est pour cette bonne raison que les parents insistent à marier leurs enfants jeunes » (P. 166)

Kamal Guerroua

Fouzia Belaid, Chant de mémoire kabyle, Récit, éditions La Pensée, Tizi Ouzou, 2019, 173 pages.

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