28 mars 2024
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Charlie, le procès de la prise de conscience

FRANCE

Charlie, le procès de la prise de conscience

Me Richard Malka et Kamel Bencheikh.

«Contre le chant majeur, la balle que peut-elle. Sauf contre le chanteur, que peuvent les fusils/La terre ne reprend que cette chair mortelle, mais non la poésie. » Louis Aragon 

Ce matin du mercredi 2 septembre 2020 s’est ouvert, dans le nouveau Palais de justice de la porte de Clichy, le procès des attentats commis du 7 au 9 janvier 2015 à Paris et en région parisienne. La Cour d’Assises spéciale, avec cinq magistrats rompus à cet exercice, jugera quatorze accusés et ce, jusqu’au 10 novembre 2020. Il faut se rappeler qu’il s’agit de trois attaques terroristes qui ont totalement bouleversé la France et le monde. Ces attentats seront passés au crible par les avocats des parties civiles qui sont au nombre de 200.

Il s’agit de l’attaque contre Charlie Hebdo à Paris, 12 morts et une dizaine de blessés, du meurtre à Montrouge de la policière municipale Clarissa Jean-Philippe et de la prise d’otages à Vincennes dans le magasin Hyper Cacher qui s’est soldée par 4 morts et 5 blessés. Ces trois attentats ont été perpétrés par des terroristes islamistes qui ont été tués pratiquement en même temps le 9 janvier en fin d’après-midi. Les frères Chérif et Saïd Kouachi ont été abattus à 16 h 50 en Seine-et-Marne dans le village de Dammartin-en-Goële où ils avaient investi une imprimerie. Amedy Coulibaly est tué à 17 h 10, lors de l’assaut de la police, à l’intérieur de l’Hyper Cacher dans lequel il a lâchement tué des personnes innocentes.

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Ce sera le premier procès fleuve dédié aux attentats islamistes qui ont ensanglanté la France. Il sera suivi en 2021 par celui des attaques du 13 novembre 2015 contre la salle du Bataclan, contre le stade de France et contre les terrasses des cafés, attaques qui ont fait 130 morts et plus de 400 blessés.     

Quoi que l’on puisse en dire, un des avantages de ce procès se trouve dans le fait d’écouter la parole des victimes. Autant d’expériences des ténèbres, de souffrances, de tourments, d’épouvante vécue, de deuils éprouvés…. Mettre la parole des victimes au cœur de la procédure judiciaire, c’est déjà affirmer la reconnaissance du statut de victime qui permet à celle ou à celui qui a enduré ces souffrances de se reconstruire.

Le procès des complices des assassins de Charlie, de Montrouge et de l’Hyper Cacher à Vincennes, est consigné dans 65 volumes dédiés à l’enquête dont 8500 procès-verbaux, plus de 800 témoignages, le tout compacté dans 450 pages de l’ordonnance de renvoi devant cette Cour d’Assises spéciale. La charge emblématique du procès de Charlie est sans nulle doute un retentissement au niveau planétaire, l’objectif étant de mettre en accusation une barbarie sans nom et va au-delà de la condamnation des 14 prévenus dont certains encourent la réclusion à perpétuité.

 Il s’agit d’un défi à gagner pour la pérennité de la laïcité et le droit de blasphémer, dans un pays qui a été le premier a imposé des lois séculières, pays déchiré par les différents communautarismes, et où 21% des jeunes ne condamnent pas les attentats (sondage IFOP). Déjà, Charlie relève ce défi en republiant les caricatures du prophète qui lui valurent la sentence de mort par les intégristes islamistes. Défi aussi pour la liberté d’expression et de conscience, que les dessinateurs assassinés incarnaient, dans une France attaquée de toutes parts par un islam politique conquérant. Enfin, enjeu pour un pays qui tente de résister aux violences communautaristes, au retour des revendications à caractère religieux et à un antisémitisme virulent. 

« La situation de la liberté d’expression est bien pire en France qu’il y a cinq ans. Ce procès doit nous obliger à ouvrir les yeux sur ce qu’est devenue notre République », a affirmé l’avocat Richard Malka, défenseur de Charlie Hebdo. « Ce procès dit l’engrenage terrible dans lequel nous nous trouvons», juge Zineb El Rhazoui, journaliste qui collaborait à Charlie.

Sur les 14 suspects, seuls 11 seront présents, accusés de « participation à une association de malfaiteurs à caractère terroriste ». Les débats seront filmés, tout comme l’ont été ceux du procès de Klaus Barbie, pour l’Histoire. « Qui a donné l’ordre ? Comment ces meurtriers, délinquants et apprentis djihadistes connus des services de police ont-ils pu se procurer des kalachnikovs ? Je veux vivre dans un pays qui ose la vérité et dans un monde sans mythes », a interrogé Riss, le nouveau patron de Charlie depuis la tuerie de 2015 à laquelle il a échappé.

Les attentats contre Charlie ont poussé la France entière à se mobiliser et à adopter le slogan de « Je suis Charlie ». Le 11 janvier 2015, autour de la place de la République à Paris, c’est plus d’un million de personnes qui s’étaient amassées entourant une trentaine de chefs d’État. Quelques jours plus tard, Charlie a publié un numéro spécial intitulé « Tout est pardonné » Le problème est justement de ne rien pardonner et surtout de ne rien oublier. La preuve, c’est qu’il y a tout juste une semaine, le ministère de l’Intérieur a affirmé que les fichés S représentaient un peu plus de 8000 individus. C’est donc 8000 individus dangereux qui risquent de passer à l’action à tout moment.

L’avocat historique de Charlie Hebdo, Maître Richard Malka, s’est exprimé en amont de l’ouverture du procès : « Évidemment, aujourd’hui je pense intensément à mes amis de Charlie Hebdo. Ils sont morts pour que nous puissions rester libres ». L’esprit de Charlie Hebdo, « c’est refuser de renoncer à nos libertés, au rire, à la liberté de critique, à la liberté de blasphème », a-t-il ajouté. « N’ayons pas peur ni du terrorisme, ni de la liberté. » 

Voilà qui est dit et bien dit !

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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