« Dans les arts, rien ne vit que ce qui donne continuellement du plaisir », écrivait Stendhal, l’immense romancier, auteur du célèbre Le rouge et le noir, qui ne connaîtra la célébrité que longtemps après sa mort. D’ailleurs, à son enterrement n’assistèrent que trois personnes.

Le sort de Merzouki est presque identique puisque sous une timocratie bureaucratique, avide des honneurs pour elle, la stratocratie, son ombre, considère l’art comme un vecteur agitateur déstabilisant. Elle fait, par conséquent, de son mieux pour ensevelir l’œuvre et la mémoire de son maître créateur.

La comparaison de Chérif au diamont n’est ni minérale, encore moins objet de lucre. Elle relève plutôt de qualités partagées : la grande clarté et la forte densité. Chérif n’allait pas par mille chemins douteux et mettait une puissante énergie perpétuelle dans la représentation de ses émotions.

Il plongeait son pinceau dans sa vie. La large vie qu’il partage avec ses semblables.
Peu importe le lieu où on vient au monde car un acte de naissance n’est qu’un constat d’arrivée dans un environnement. Le plus important, c’est ce que t’injecte ton entourage. Ta culture héritée.

Né à Djamâa près de Biskra, dans le sud algérien, ou a Oum Tyor, dans la circonscription de Touggourt, dans le massif aurésien ou sur les hautes plaines, c’est la galette maternelle qui lui a donné les premiers apprentissage des goûts. L’institution matriarcale hybride (un patriarcat retardataire qui n’a pas eu raison du pouvoir des femmes) du massif chaoui a façonné la vision de l’observateur très éveillé qui était le petit Merzouki.

Rien qu’à visiter son village, on est vite pris dans une magie de décors paradisiaque. Aucun besoin de prosternation ou d’attente pour sentir et faire corps commun avec la paix, la beauté et le génie.

Dans une vallée encaissé dans l’Oued Abdi au sud de Manâa et Warka, autres villages beaux et ensorceleurs, entourés de montagnes nues et comme entachées et semées d’arbustes nains donnant l’impression d’une joue enjolivée par une multitude de grain de beauté, les murs de l’oasis d’Amentane surgissent d’un prolongement de rochers pré-existants qui émergent du ventre de la rivière comme offrandes aux bâtisseurs dont le génie dans la construction les rapproche des limites de l’impossible. Des techniques dont les pharaons seraient jaloux.

L’ocre des murs, triste dans d’autres conditions, est superbement marié à la verdure des végétaux, au lit multicolore de la rivière, et à la couleur azur des plus beaux des cieux. Un environnement qui ne peut qu’accoucher de prophètes des arts et de l’amour de la vie.

Dans ce milieu ont été façonnées les facettes de l’enfant Chérif Merzouki et de ses géniteurs sur une immémorable généalogie.

Inscrit sur les registres d’état civil en 1951, ce fils de prolétaire cheminot aux origines paysannes a eu une péripétie avec beaucoup de points d’arrêt. Comme les trains et gares qu’à servi son paternel. Du sud au nord, il a fait l’essentiel de sa scolarité dans la petite ville de Batna de la première aube de l’indépendance. À l’époque, une ville sans les pinocchios et les pique-assiettes.

Dans cette cité au pied du massif à un jet de pierre de Lambèze et de Timgad, il se découvrit pénétré de l’amour des arts plastiques.

À 18 ans, il choisit l’école des beaux arts de Constantine, l’une des plus belles villes au monde à cette époque. Il n’était pas dépaysé de ses Aurès puisque la capitale de l’Est algérien était elle aussi nichée sur un rocher comme Menaâ des Aurès et avait, elle aussi, sa Casbah.

Il était versé dans sa Cirta numide et dans une modernité plus déclarée. Le musée Cirta, le beau théâtre en face de la place de la Brèche, les salles de cinéma, les bibliothèques de la ville, les librairies et l’ambiance d’une nouvelle liberté dans une maturité de l’adolescence, les belles filles du pays, les mœurs très polissées des urbains finirent par parachever son instruction et son éveil sur le chemin d’une construction merveilleusement jalonnée.

Parvenu au sommet de son éducation, le jeune adulte se dirigea vers un horizon plus vaste, celui de la mégapole africaine pour terminer à installer un faîte à ses études. Alger la blanche lui accorda l’étreinte dans l’enceinte de la célèbre grande école des arts. Celle des Aslah et de Denis Martinez. Mais son maître dans les arts et son vrai inspirateur fut Nacerddine Étienne Dinet dont il continua de fréquenter la « demeure » à Boussâda jusqu’à sa mort le 4 avril 1991 par un joli printemps.

Qui était Chérif Merzouki ?

Un grand timide, très respectueux de l’humain. Une force de volcan silencieuse dans l’encaissement des coups de la vie et des perversions des décideurs. Un adversaire irréfutable de la médiocrité mais sans fanfaronner. Il était discret et évitait les marges vulgaires.

Très sensible aux attentes du vis-à-vis et de son prochain, il n’épargnait jamais le moindre effort pour être aimable sans rechercher les formes de convenance mais avec naturelle spontanéité.

Son ouverture au doute intellectuel et à la recherche perpétuelle de la vérité entraînait ceux qu’il côtoyait entre élèves, disciples et amis dans la sérénité réconfortante de la rationalité.

J’userai tout le lexique humain, j’abuserai de tous les adjectifs et attributs, je finirai seulement par vous dire qu’il a les qualités prérequises pour un créateur : les qualités de l’artiste accompli.

Très difficile à catégoriser ou à classifier, Merzouki est un style réaliste très expressif. Il additionnait le réalisme à l’expressionnisme sans le faire sentir.

L’ensemble de son œuvre est une réalité belle est criante. Le cri de la vie dans un monde qui se meurt ou qu’on assassine pour être dans la précision. D’aucuns ne peuvent affirmer l’inexistence du message dans l’œuvre du plasticien chaoui.

S'il est extrêmement venimeux d'introduire le discours politique dans l'œuvre artistique, littéraire ou architecturale, le langage colorié de Merzouki est une ode à la survie d'une culture authentique que les décideurs, de toutes leurs forces nocives, essaient de faire trépasser.

« Si le monde était clair, l’art ne serait pas ». Par cette citation d’Albert Camus, nous comprenons mieux la démarche du peintre d’Amentane. Lui qui n’aimait et ne percevait que le beau chez l’humain était acculé à un contre-discours ideologique qu’il puise dans une belle mais souffrante réalité. Il n’était guère belliqueux.

Il était révolté par l’occultation de cette paix régnante dans sa culture maternelle, la naïveté du Chaoui que l’on moque et que l’on manipule, de la crédulité d’une société généreuse et édifiée autour de l’empathie. Il était aussi, très soucieux du remplacement lent mais sûr des couleurs et des lumières par le gris et l’obscurité.

Devant tant de paradoxes dans sa profession et dans le monde qui l’entourait et lui imposait une démarche sociale, Chérif a fait sienne la pensée du dramaturge américain Harvey Fierstein : « L’art a le pouvoir de transformer, d’éclairer, d’éduquer, d’inspirer et de motiver. »

Chérif n’a pas été au combat par son propre chef. On le lui a imposé. Il adorait les couleurs, le pinceau et la paix. Il recherchait constamment l’authenticité. Et c’est à ce titre qu’il nouait relation franche avec toute personne sur la voie de la clarté.

Combien de fois a-t-il était l’objet du mépris de ceux qui haïssent la liberté, le progrès, l’amour, la beauté et la fraternité ?

Primé à Alger, lauréat à Souk-Ahras, maître coloriste, artiste approché par H’lima Benjedid dont il a refusé la proposition de l’octroi d’une galerie à Riadh El Feth, sanctuaire du martyr à Alger, plusieurs tableaux accrochés à la présidence de la république algérienne, Cherif Merzouki a traîné jusqu’à sa mort les difficultés créées par les mains haineuses qui ne voulaient pas que la pensée des personnes de son essence émerge et se développe dans la société que les adeptes invétérés de la médiocrité et de l’imposture veulent basculer.

Il était constamment harcelé par les gestionnaires des lieux de son travail : bête pointage dans son atelier à la maison de la culture de Batna, surveillance de ses déplacements, contrôle de ses relations et freins à ses possibles participations aux salon nationaux.
Aux début des années 1980, Alger projetait d’organiser une exposition nationale avec un représentant par wilaya. Il n’a pas été retenu à Batna.

Mais comme Oum El Bouaghi n’avait pas choisi un représentant malgré l’existence de nombreux praticiens de l’art surtout de la ville d’Aïn Beïda, Merzouki se présenta dans le bureau du wali Mourah, un ancien flic à Bouira, pour lui proposer de représenter cette wilaya chaouie du Nord des Aurès. La réponse de l’ancien poulet du régime est cinglante : « Non. Jamais. Tu es un étranger. »

Dois-je continuer à écrire ? Oui. Puisqu’il s’agit du réprimé artiste Chérif Merzouki.

Son art vanté par Issiakhem et aimé par Kateb Yacine et Yamina Mechakra qui ne rataient jamais une occasion pour visiter ses rares expositions, est une fenêtre ouverte sur notre être individuel et collectif : scène de fête de mariage, lavoir de rivière, bergerie, marché animalier.

Maître des couleurs et formateur d’une génération d’illustres peintres, Chérif aura une vie d’un humble citoyen. L’exhibition était pour lui la première des choses à éviter. Il ne se plaignait jamais. Plein d’une pudeur véridique, à des camarades sûrs, il racontait les difficultés communes de ses compatriotes sans se les attribuer.

Chérif, comme toutes les honnêtes gens, était à la marge d’une société muselée et interdite de quiétude et de prospérité.

Qu’est-il advenu de ses œuvres ? Personne ne le sait. Il a laissé derrière lui une jeune veuve originaire de son douar et femme au foyer et des orphelins en bas âge dans une ville dominée par les faussaires et potentiels islamistes, un environnement culturel dégradé et des structures peu soucieuse de l’art, de la littérature, de l’histoire et du patrimoine.

Nombreux sont comme lui, les Tamine, Menoubi, Demagh et autres nombreux talents sont dans le couloir du four crématoire de la mémoire aurèsienne.

Chérif Merzouki était, avec Lazhar Mansouri d’Aïn Beïda, l’un des rares performant en photographie dans la région des Aurès.

Illustrateur du livre « En flânant dans les Aurès » de Philippe Thiriez, il reste un des rares artiste qui a poussé l’inspiration à l’écriture sur sa région. Le sérieux travail de l’équipe de l’éditeur Guerfi Azzedine a donné naissance au sérieux livre « Aurès, vivre la terre chaouie » largement agrémenté par le professionnalisme du photographe Djilali Kays.

Très ardue est la tâche de raconter la vie d’un artiste et aussi déchirante sensation de savoir que son œuvre est, peut-être, détruite à jamais.

Kada Sabri

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