Lundi 21 octobre 2019
Chine-Etats-Unis : du G2 à la confrontation ?
Les relations sino-américaines évoluent et entrent dans une nouvelle phase. Les embrassades et accolades semblent terminées et laissent place à un affrontement dont les contours ne sont pas encore tous définissables. Beaucoup prophétisent que le XXI° siècle sera marqué par l’affrontement entre ces deux pays comme le XX° le fut par le « conflit du siècle », celui de la guerre froide entre les deux Blocs.
Un remake de la guerre froide ?
Mais toute ressemblance serait trompeuse. Celui-ci n’est pas de même nature et vise à l’hégémonie économique et géopolitique. L’affrontement de la guerre froide avait une dimension idéologique, au point d’être présenté comme une « lutte de classe à l’échelle internationale », et avait des enjeux sociaux. Ce qui se jouait c’était l’opposition entre deux système : le capitalisme et le socialisme. Les camps étaient bien typés, s’observaient mais n’entretenaient que peu de relations commerciales ou économiques. Tout au plus quelques problèmes d’intérêt communs – les problèmes globaux » – pouvaient justifier d’un coopération et constituaient un bon thermomètre du niveau de la détente. Les lieux de l’affrontement n’étaient pas centraux mais se jouaient sur les périphéries – le tiers monde – à l’aide de « stratégies obliques » et de conflits de basse intensité visant à déstabiliser des gouvernements en place, pour planter des drapeaux sur de nouveaux territoires. Les deux camps n’étaient pas intégrés et la faiblesse de l’économie soviétique structurait la confrontation qui s’épanouissait dans une course aux armements phénoménale et dans la conquête spatiale. Le danger nucléaire était prégnant et donna naissance à de massives mobilisations. Finalement le conflit n’eut pas lieu dans ce domaine même s’il semble que la catastrophe a pu être frôlée. Dans ce conflit du XX° siècle, dès les décennies 70-80, la Chine a été instrumentalisée par les États-Unis pour contrer l’Union soviétique. Ce rapprochement s’est poursuivi et amplifié au-delà de la fin de la guerre froide.
La naissance d’un partenariat
Peu à peu, se construisit une relation sino-américaine à laquelle les élites, tous clans confondus, des deux pays adhérèrent. Elles y trouvèrent un intérêt commun.
L’accès au marché chinois et la vente de ses bons du trésor pour l’un et l’accès à la technologie et au marché américain en se transformant en atelier du monde pour l’autre. Rapport déséquilibré et asymétrique. Les États-Unis accumulèrent un déficit commercial et un endettement grandissant. La Chine se constitua un pactole de devises et de réserves or – aujourd’hui à hauteur de 3000 milliards de dollars -, écoula ses marchandises et permit l’émergence d’une classe moyenne dont le niveau de vie ainsi que celui des autres catégories de la population s’éleva très vite. La Chine s’ouvrit aux multinationales en conservant le contrôle sur ces investissements étrangers qui inondaient le pays. À son tour, elle pratiqua une politique d’achats massifs d’industries étrangères pour s’emparer au passage des technologies de pointe qu’elles recelaient.
Pendant toute cette période la Chine a réussi à s’imposer comme grande puissance qui compterait désormais face à des États-Unis paralysés par la crise financière de 2008-2012. Ils seront obligés d’accepter l’essor de leur rival qui accédera au statut de puissance faisant jeu égal et menaçant de les surpasser (« peer competitor »). La puissance émergente s’est métamorphosée en puissance émergée. Ainsi à l’orée du XXI° siècle le statut de première puissance indéboulonnable échappe aux États-Unis. Ils doivent désormais composer et accepter de sacrifier leurs intérêts lointains au bénéfice d’avantages immédiats, et donc à privilégier la coopération et à renvoyer à plus tard ce qui relève de la compétition.
Faute de pouvoir affronter l’adversaire immédiatement, mieux vaut l’engluer dans une alliance qui l’assagira et reporter, si nécessaire, à plus tard l’affrontement quand les conditions seront jugées meilleures. Pour la Chine, l’accès à une seconde place reconnue, sans avoir à tirer un coup de canon, constitua une aubaine majeure. Ainsi ce qui se mit en place sous nos yeux ce fut la naissance d’une « Chinamérique ».
On a pu parler d’interpénétration de connivence ou d’une dualité complice qui a pu apparaître comme un G2 de deux puissances espérant atteindre au statut de condominium s’imposant au reste du monde. C’est cette situation qui prend fin sous nos yeux.
Vers un duel ?
Déjà le basculement asiatique – « pivot asiatique » – préconisé par Obama visait à contrarier l’influence régionale montante de la Chine. Trump a pensé, quant à lui, que la mondialisation qui avait été largement promue par les États-Unis s’était retournée contre eux et qu’il importait donc d’en revoir des pans importants, notamment dans le domaine commercial. Thème qui porta bien auprès de son électorat. Tous les accords ligotant les États-Unis devaient être revus ou renégociés. Ainsi en fut-il des traités sur le désarmement, sur le climat ou les relations commerciales, au risque de provoquer des effets délétères collatéraux. Le mot d’ordre « America First » illustrait le tournant isolationniste choisi. Et il ne pouvait que concerner son principal partenaire la Chine compte-tenu de l’intensité des liens tissés. Il avait également pour but de la ramener à un rival de second rang. Mais peut-être est-il déjà trop tard car depuis les années 80 ses performances économiques caracolent en tête et font pâlir d’envie les pays occidentaux.
Car la Chine avance à bas bruit en évitant de le faire remarquer pour ne pas apparaître comme une menace majeure, mais plutôt comme un partenaire avec lequel il convient d’entretenir des échanges de type gagnant-gagnant. Son influence ne se limite pas à ses abords immédiats mais s’étend déjà depuis longtemps également à l’Afrique et à l’Amérique latine dont elle est devenue le deuxième partenaire commercial. Elle a su créer avec d’autres pays – les BRICS – des banques de développement qui permettent à maints pays du tiers monde de s’émanciper de tutelle de la Banque mondiale ou du FMI. Elle poursuit un projet gigantesque de « routes de la soie » auquel déjà plus de 16 pays ont adhéré et qui a vocation au-delà de l’Europe de toucher également l’Afrique et l’Amérique latine. Elle a pris méthodiquement le contrôle de dizaines de ports utiles à sa stratégie dont celui emblématique du Pirée en Grèce. En prônant la non-ingérence, elle désidéologise les relations entre États et ne cherche pas à étendre un modèle social avec ses partenaires.
Jusqu’où ira le conflit entre Donald Trump et Xi Jinping ?
En terme de parité de pouvoir d’achat, la Chine a déjà dépassé les États-Unis, même si la comparaison des niveaux des PIB reste favorable aux derniers. Dans beaucoup de domaine la Chine accuse encore des retards, notamment en matière de technologies de pointe, bien qu’elle soit le seul pays a avoir pu construire des centrales nucléaires de type EPR qui fonctionnent, démontrant ainsi l’effort considérable consacré à la science. En matière de puissance militaire, elle ne surpasse pas la puissance américaine. Mais en vertu du pouvoir égalisateur de l’atome, elle a déjà acquis une puissance de dissuasion devant laquelle les États-Unis ne peuvent que s’incliner. Car au delà d’un certain niveau d’accumulation d’armes nucléaires, il n’y a pas de stratégie victorieuse possible.
L’équation se réduit à qui meurt en premier et qui meurt en second ? La guerre totale est peu probable. Restent les affrontements et les escarmouches. Mais une forte dissymétrie existe. Au pire Donald Trump durera encore cinq ans. Le système chinois semble plus stable et plus résilient, même s’il présente des fragilités. Bref, faire le dos rond, semble pour les Chinois l’attitude la plus vraisemblable pour accéder au statut espéré de première puissance.
Mais peut-on réduire le XXI° siècle au seul affrontement sino-américain ? Ce serait oublier l’islam politique qui a déjà défait la puissance soviétique en Afghanistan et qui laisse les Américains quitter ce pays après vingt ans de présence alors que les Talibans sont aux portes du pouvoir. Deux victoires contre les plus grandes puissances du XX° siècle. Bigre ! L’ambition prosélyte et conquérante étant indéniable, la Chine pourrait être dans la visée qui s’appuierait sur les populations Ouïghours du Xinjiang et probablement l’aide américaine.
Mais en matière de prévision des relations internationales la modestie doit prévaloir. Qui aurait pu annoncer après la seconde guerre mondiale que ses perdants – l’Allemagne et le Japon – connaîtraient dans les vingt années qui suivront une renaissance si rapide au point d’être qualifiés de « miracles ». Pour mémoire, un institut américain, l’Hudson Institute s’était risqué parier alors sur … l’Argentine et l’Australie. La prudence s’impose donc.
Michel Rogalski
Directeur de la revue recherches internationales
Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.
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