23 novembre 2024
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Corruption et enrichissement, le fragile château de cartes à l’algérienne

Tribune

Corruption et enrichissement, le fragile château de cartes à l’algérienne

La gangrène algérienne de la corruption et de l’accaparement des richesses au détriment du plus grand nombre est un château de cartes où celles qui sont au-dessus ne tiennent leur place haute uniquement parce que celles qui sont plus bas les soutiennent d’une fondation solide. Ces dernières savent que si elles lâchent celles du haut, elles s’écrouleraient, écrasées par le poids solidaire de l’édifice. Il y a pourtant une manière pour elles de l’éviter en se débarrassant des étages supérieurs et reprendre une construction plus saine.

Lorsque des situations ne sont plus tenables, lorsque les tensions deviennent insoutenables par le poids de la corruption et de l’enrichissement de certains, les lois humaines, à l’exemple de celles de la physique, interviennent toujours pour rétablir l’équilibre général. Ce sont les soulèvements, les révolutions et les ruptures politiques qui s’en chargent. Il s’agit de lois  universelles et historiques immuables.

Il ne faut pas avoir fait de grandes études en histoire ou en droit public pour prédire une telle situation. L’Algérie est dans la liste des plus grandes déflagrations à venir. C’est une certitude à laquelle n’échappe qu’une seule question, quand ?

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Essayons de décrire comment ce château de cartes tient jusqu’à présent et quelle est l’hypothèse de sortie pour éviter un écroulement généralisé dont personne ne souhaite la survenance car le drame atteindrait prioritairement la population démunie.

À l’exception de l’approche préliminaire, nous laisserons aux historiens et aux sociologues des ruptures et révolutions le soin de l’analyse érudite à ce propos pour privilégier une seule observation récurrente des sociétés humaines en crise, très simple à appréhender, soit la solidarité des intérêts, petits et grands, et sa très lourde responsabilité.

L’analyse fondamentale d’Annah Arendt

C’est la première à avoir théorisé le phénomène de la grande folie d’extermination qui a mené vers les camps de concentration et la barbarie des fours crématoires. Pour elle, on ne peut se contenter du procès de Nuremberg et de l’accusation politique et historique des dirigeants, aussi bien de l’Allemagne hitlérienne que du régime de Vichy dirigé par Pétain ainsi que les autres collaborations en Europe.

Chacun, dans sa modeste tâche, se persuade qu’il n’est en rien impliqué dans la gigantesque planification meurtrière. Le policier français qui appréhende les familles juives pour les amener dans un centre de rétention pense qu’il remplit consciencieusement sa mission de fonctionnaire. Il en est de même pour tous les échelons de la hiérarchie.

Le conducteur de la locomotive a l’impression de faire son travail pour lequel il est payé et qu’il effectue de la manière la plus mécanique. Le soldat allemand qui réceptionne les convois, trie et place les infortunés captifs pense exécuter des ordres auquel il prétendrait ne pas pouvoir échapper. Et ainsi de suite dans chacune des minuscules tâches qui ont permis à l’horreur de survenir, dans une exécution collective que chacun ne perçoit pas comme un rouage essentiel ni d’ailleurs, pour certains, d’en soupçonner les conséquences.

Cette terrible analyse nous renvoie à la responsabilité de chacun qui trouvera toujours excuse dans les arguments « je ne savais pas », «que pouvais-je y faire ?», « c’était mon travail normal » « j’avais des enfants à nourrir » et ainsi de suite.

Il est vrai que l’on ne peut demander à tous de jouer les héros. Il est exact que certains ont eu une peur légitime et que d’autres, tout à fait honnêtement, pensaient juste être obligés de faire le travail demandé. Mais dans ce cas, on ne célèbre pas une nation héroïque et courageuse lorsque la libération survient et que tout le monde hurle le chant patriotique, drapeau à la main en dansant frénétiquement et en insultant la barbarie de l’ennemi.

Cette place d’honneur ne peut être revendiquée que par ceux qui ont eu le courage d’affronter la barbarie et l’insoutenable. Non pas forcément en y risquant sa vie, chacun ses possibilités et son destin, mais au moins par un petit geste de refus, une parole de protestation.

C’est parce qu’il y a eu silence et lâcheté des cartes d’en bas que celles du dessus ont pu prospérer et que l’édifice tout entier a pu s’ériger en monstruosité.

La solidarité d’intérêts

Personne ne pourrait imaginer faire la comparaison au premier degré avec des faits historiques qui ne sont pas identiques, bien entendu. C’est la raison pour laquelle nous nous en tiendrons à l’analyse d’Annah Arendt uniquement pour imager le fond de la question. Mais  nous restreindrons immédiatement notre accusation à ceux qui ont un intérêt économique lié et qui, selon leur justification, s’exerce dans la légalité et dans un régime politique porté par des élections.

Et là, nous retrouvons notre cas algérien pour lequel il a fallu un détour assez long pour l’introduire. Depuis que je communique sur les réseaux sociaux, à chaque fois que je fustige les milliardaires offshore algériens, je reçois les mêmes messages, tous de la même nature et qui essaient de trouver argumentaire pour contrer mes propos.

Tous me rétorquent par deux arguments toujours exprimés de la même manière comme une mauvaise excuse préparée par des collégiens qui sentent la réprimande de groupe pour de mauvaises actions.

La première constatation est qu’ils me répondent tous, sans exception « Quelles preuves avez-vous ? », alors qu’à aucun moment je ne parle de corruption individuelle des entrepreneurs. Mon propos est de toujours fustiger des fortunes qui se sont faites avec des amitiés au pouvoir qui délégitime toute richesse, fut-elle conforme aux procédures légales.

D’une part, je ne suis pas inconscient puisque, de France, je suis passible de poursuites pour diffamation. Il est des personnes qui ne se rappellent du droit que lorsque leurs intérêts sont menacés. D’autre part, allez vérifier la légalité dans un pays où la corruption est visible massivement et qui comporte une flopée de comités de lutte contre la corruption qui n’ont rien vu ni entendu ?

La seconde remarque qui m’est opposée est également toujours identique « Pourquoi vous acharnez-vous envers ceux qui apportent la prospérité au pays? ». Il y en a même un qui, à plusieurs reprises, m’a affirmé « vous préférez le régime communiste ? ». C’est tout à fait risible et j’ai ri.

En conclusion, on ressent bien que les plus petits, ceux qui ont quelques petites affaires, un patrimoine ou quelques « petites » devises à l’extérieur (voire plus « grosses ») s’empressent toujours de se justifier alors qu’on ne leur a opposé aucune critique car elles s’adressent manifestement à d’autres.

Et tout cela alors que vous n’avez pas prononcé une seule accusation de corruption à leur égard. Ainsi, on constate qu’il y a une solidarité collective d’intérêts avant même d’accuser qui que ce soit en particulier. Ils se recroquevillent dans une défense corporatiste car, nous l’avons dit, ils ont crainte que le château de cartes ne s’écroule sur eux.

En cela, ils sont responsables et coupables.

La solution des cartes du dessous pour ne pas s’écrouler

Elle est simple, condamner unanimement et avec force les cartes du dessus ainsi que celles du même niveau qui leur semblent dévier des limites du tolérable. Ce n’est pourtant pas ce qui se passe. La crainte que la situation ne se retourne contre tous et, particulièrement contre les cartes du dessous, par définition plus exposées à l’écrasement, crée une solidarité par le silence coupable si on veut être mesuré, par la compromission si ont veut exprimer la réalité.

Pourquoi l’ensemble des entrepreneurs algériens n’exigent pas que la clarté soit faite avec des mesures comme celle de l’adhésion au système international d’échanges des données bancaires récemment signé par un grand nombre de pays ?

Aucun ne pourrait échapper à l’examen de ses comptes bancaires détenus dans les pays signataires car, contrairement au système précédent, l’échange est automatique et ne saurait être bloqué par la volonté d’un l’État ou de son système judiciaire à ses ordres pour des raisons que nous pouvons deviner. Pourquoi, une fois pour toute, ne se débarrassent-ils pas de cet abcès monstrueux que constituent des richesses stratosphériques dont la population doute, si ce n’est de la légalité en tout cas de la légitimité ?

Aucun d’entre eux ne risque quoi que ce soit puisque le marché libéral autorise les richesses et certains transferts de fonds. Que risquent-ils à l’exiger pour se débarrasser définitivement du danger de déflagration qui les menace ? Ils perdraient beaucoup à se taire, parfois tout et seuls ceux qui ont pris leurs sages précautions pourraient protéger leur patrimoine interne et offshore (pour un moment).

Pourquoi ne demandent-ils pas, au moins, une séparation de traitement entre l’origine strictement privée des fortunes et celles qui se sont bâties par des appels d’offres publics ou par l’entremise de fonctionnaires et de familles de fonctionnaires ? Ce qui d’ailleurs ne les feraient pas échapper aux lois de la république mais atténuerait très sensiblement l’acharnement de la société à leur égard lorsque tout s’écroulera, tôt ou tard. Les révolutions et soulèvements sont, par définition, incontrôlables et souvent injustes dans leur coup de balai.

Tout cela est envisageable, les soulèvements des peuples les mieux réussis sont ceux qui ont accepté une transition et ont prévu ce qui doit être poursuivi pénalement, sans état d’âme, et ce qui doit être réintégré dans un circuit national vertueux.

Il est urgent que ces cartes du dessous commencent à se poser la question de leur survie. Quel intérêt à prendre un si énorme risque alors que seules les cartes du dessus ont des garanties financières pour s’en sortir offshore ?

Si la solidarité d’intérêts continue en Algérie, nous tomberions dans l’éternel discours de cour de récréation que sont les lendemains douloureux avec ces propos mainte fois entendus : « Ce n’est pas moi, monsieur, c’est lui, c’est les autres !», « Pourquoi moi seulement, monsieur, et les autres ? »…

Chacun doit aujourd’hui se positionner sur sa responsabilité à ne plus hypothéquer son bien  en cas de retournement de situation qui est aussi inévitable que les séismes pour faire disparaître la tension gigantesque accumulée dans les failles terrestres.

Et la faille, en Algérie, est devenue gigantesque.

S. L B.

PS : la garde à vue de l’intouchable Bolloré nous a permis cette semaine, de comprendre de nouveau qu’aucun Empire bâti dans les failles profondes du système africain n’est à l’abri. La légalité des transactions n’est pas en cause, c’est à la justice de le décider, mais celle de la dangerosité de certaines amitiés et  de l’énormité des richesses accumulées sur des économies qui ne peuvent même pas assurer les subsistances de base aux populations et dont les régimes politiques sont des plus détestables.

 

Auteur
Sid Lakhdar Boumediene, enseignant

 




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