26 avril 2024
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Covid-19, téléenseignement et « note fictive »

OPINION

Covid-19, téléenseignement et « note fictive »

L’université algérienne qui vit une grave crise multidimensionnelle depuis des décennies, s’est retrouvée confrontée, depuis l’arrivée de la pandémie  Covid-19, à une situation pédagogique inédite, qui a induit la mise en place de mesures restrictives pour l’enseignement.

Les activités les plus impactées sont les travaux pratiques et les modules dits, souvent à tort, découvertes, méthodologiques, donc secondaires pour l’administration.

Si les premiers ne  peuvent s’effectuer sans le contact direct avec le matériel étudié, pour les autres, l’enseignement préconisé à distance s’est avéré difficile à la fois pour les étudiant.e.s et les enseignant.e.s. 

Le contexte souvent décousu dans lequel la transition vers le format virtuel s’est matérialisée, a provoqué parfois des situations inusitées en termes d’enseignements et même d’évaluation comme l’attribution d’une note fictive « dite neutre » par le jury de délibérations de Master II « Physique des rayonnements » à l’USTHB ! Une grave dérive que je ne saurai taire ! 

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Je tiens donc à partager ce témoignage avec mes collègues de la communauté universitaire nationale en tant qu’enseignant à la faculté de physique de l’USTHB où j’assure – entre autres – un enseignement intitulé «Caractérisation des matériaux par faisceaux d’ions » et ce, depuis de nombreuses années. En l’absence  de moyens matériels pour les travaux pratiques, cet enseignement  s’est réduit  à son  aspect purement théorique et donc fortement impacté par l’enseignement à distance. De plus la qualité du débit internet, les déconnexions fréquentes et l’impossibilité de partage de la simulation des spectres expérimentaux – incontournables pour la maitrise de cet enseignement. Pour toutes ces raisons, je suis dans l’incapacité d’assurer, un tant soit peu mes enseignements à distance, et ce, en dépit de toute ma bonne volonté de ma part et de celle des étudiant.e.s.. 

Je tiens d’ailleurs à signaler, au passage, que, mes collègues dans leur écrasante majorité assurent leurs enseignements à distance, par leurs propres moyens, à partir de chez eux, et ce en raison de la très faible et insuffisante connexion internet au niveau de la plus grande université des Sciences et de la Technologie d’Afrique.

En plus des lourdes et tendues contraintes de la qualité du Net dans les campus universitaires, s’ajoutent les nombreuses injonctions et incohérences d’une gestion bureaucratique de la pédagogie.  

Pour pallier à ces difficultés, j’ai proposé  la programmation de cours en présentiel – en mode semaine bloquée ou autre –  afin de finaliser  au moins  80% du programme – conformément aux normes pédagogiques de l’UNESCO – et c’est à cette condition que j’accepterais d’organiser l’examen final du module dont j’avais la charge. Bien entendu, conscient de la réalité sanitaire, mes propositions formulées tenaient  compte des  mesures sanitaires en vigueur notamment que ma section ne comporte qu’une dizaine d’étudiant.e.s.

Contre toute attente et comme unique réponse à mes propositions, le  chef de département a proféré des menaces de sanctions à mon égard, ce qui constitue, on ne peut mieux,  un abus de pouvoir avéré et manifeste. En outre, et malgré mon insistance pour  reporter les délibérations. Ces dernières ont été maintenues à la date fixée  et validées malgré mon absence. Une note  note fictive « dite neutre » a été attribuée aux étudiant.e.s en guise d’évaluation finale au module dont j’ai la charge.  

Les menaces proférées par ce chef de département ont été mises en exécution et ainsi je me suis retrouvé complètement dessaisi de mes tâches pédagogiques et banni des enseignements  de Master II auquel j’ai participé activement à sa création et mise en place. Cet éviction s’est faite sans la consultation de l’équipe formatrice dudit master et le président du jury de délibérations, acteur de la fictive, s’est vu attribué mon module!!! Me concernant un nouvel enseignement  m’a été affecté, sans me consulter, et le tout la veille du début du semestre. 

L’usage  de la note fictive, l’abus de pouvoir et les menaces n’ont pas leur place à l’Université. Ces mesures irréfléchies, inadmissibles, irresponsables et condamnables ne font que ternir l’image de notre Université. 

L’administration  et la tutelle n’ont pas fait preuve d’ »écoute » dans cette affaire. Elles ont pratiqué, comme à l’accoutumée, la politique de l’autruche car, elles sont les instigatrices directes ou indirectes de l’instruction instaurant la  « note fictive ». C’est ainsi que j’ai sollicité le recteur de l’USTHB, les 06 membres du cabinet du ministre et monsieur le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Aucune d’eux n’a daigné répondre à mes demandes d’audience. La gestion des flux et le « pas de vague » ont primé sur l’éthique et la pédagogie. Cela dénote, on ne peut mieux, clairement la primauté de l’administratif sur le dans de la gestion des affaires de l’université, dominée par une gouvernance autoritaire, arbitraire et bureaucratique.

Le corps enseignant, l’unique et responsable légal de la question pédagogique à l’université, se trouve en situation d’inhibition totale du fait de toute cette mauvaise gestion souvent dictée par les nombreuses injonctions envahissantes et inappropriées de l’administration locale et centrale. L’abus de pouvoir, la domestication, les passe-droits,  le  clientélisme  priment.

En conséquence, les compétences universitaires fuient les postes  de responsabilités et, le plus grave, la  promotion  académique n’est plus tributaire de la compétence, mais de l’allégeance aux systèmes successifs en place. Et les  » enseignants-satellites », de tous les systèmes, gravitent autour des centres de décisions pour se repositionner dans l’échiquier de la hiérarchie. 

Dans le contexte actuel et au regard des difficiles conditions de vie des étudiant.e.s, les appels émanant de la tutelle, exhortant et instruisant  les enseignants à plus d’ »empathie » et de « bienveillance » se multiplient comme suggéré dans l’ arrêté du MESRS N°55 du 21 janvier 2021. 

Ces injonctions pédagogiques, portent atteinte au statut de notre Université, déprécient la qualité des enseignements et offrent à la clef des diplômes au rabais: la pédagogie s’arrête avec le laxisme !

A l’USTHB,  l’année universitaire n’ayant débuté qu’au mois de novembre et les formations n’ont duré que 10 semaines au maximum par semestre. Cette réduction drastique de la durée des enseignements a, bien évidemment, de lourdes conséquences sur la qualité de la formation de nos étudiant.e.s. De plus, il s’agit des enseignements en alternance distantiel/présentiel avec un maximum de quatre semaines en présentiel.

La conséquence directe constatée est le décrochage alarmant, à tous les paliers : le taux d’étudiant.e.s. présents en cours est largement inférieur à 50% tant en présentiel et encore moindre en distantiel. Notons que les arrêtés1 N° 055 du 21 janvier 2021 et le N° 633 du 26 août 20202 rendent non obligatoire la présence des étudiants aux différentes activités d’enseignement même en présentiel.

Contrairement à ce qu’avait annoncé le Ministre du MESRS3 (El Watan du 25 mars 2021), l’ensemble de la communauté universitaire nationale a fait un tout autre constat du téléenseignement; à savoir, un échec cuisant et une dégradation de la qualité et du niveau d’enseignement. Comment ose-t-on parler d’un enseignement à distance réussi lorsque notre pays reste scotché aux dernières places du classement mondial en termes de débit internet (135 place selon Speedtest Global Index)? A cet enseignement à distance, avec les moyens du minitel, vient s’y greffer d’autres effets aggravants tels que le dysfonctionnement de la gestion de l’enseignement. 

Un véritable téléenseignement ne peut être conçu en dehors d’une alternance effective, d’une semaine sur deux, des enseignements en distanciel/présentiel. Chez-nous à l’USTHB, nos étudiant.es sont à l’université durant 3 semaines successives pour être ensuite déconnecté durant 6 semaines continues. 

Enseigner est plus qu’une activité professionnelle, il s’agit avant tout d’un engagement auprès de nos étudiant.e.s, de la société et des savoirs scientifiques  que nous  enrichissons et  transmettons. Nous devons défendre les conditions d’exercice de nos missions et l’exigence de vérité pédagogique nous oblige à la compétence, à l’expérimentation, à la confrontation des points de vue et à la rigueur intellectuelle. 

Ce témoignage à la communauté universitaire nationale est avant tout une question, de défense de ma profession d’enseignant-chercheur du supérieur, de la déontologie et de l’éthique universitaire, ensuite, une question de ma responsabilité et enfin de respect de mes engagements. Il est de mon devoir de m’opposer aux atteintes des fondements de l’Université algérienne. Je me réserve pleinement la possibilité de saisir toutes les voies de droit pour bannir l’application de la « note fictive» dans mon université. 

La prise de décision par l’administration centrale n’obéit, le plus souvent, qu’à des considérations autres que purement pédagogiques. Ces injonctions sclérosent le fonctionnement de nos institutions et dénotent le mode de gouvernance de nos universités. L’administration centrale n’est motivée que par la gestion des flux estudiantins à bas coût financier et à calmer les contestations estudiantines; le tout au détriment de la qualité de la formation.

La démocratisation de l’Université, maintes fois  réclamée par les enseignants dérange, car elle met fin aux parachutages, à la gestion politique et à la bureaucratie de la pédagogie à  l’Université. 

La pédagogie doit revenir exclusivement aux enseignants, et ce n’est qu’à ce prix qu’elle sera une construction rigoureuse et adaptée aux attentes des étudiant.e.s tant dans l’élaboration des programmes que dans la gestion des enseignements dispensés. Il s’agit d’une exigence fondamentale sans laquelle toute velléité de réforme sinon de refondation de notre secteur est vaine, nulle et non avenue. Le souci premier de l’enseignant n’est-il pas de se conformer à des normes pédagogiques aussi élevées que possibles et de le hisser à la hauteur des normes universelles? Cela commence, déjà par dénoncer et s’opposer à la mauvaise gestion et à tout nivellement par le bas. Pour preuve, et pas par pur hasard, qu’aucune université Algérienne ne figure dans la liste des 1000 établissements universitaires du classement de Shanghai pour 2020. 

Déjà, depuis les années 90, nous n’avons cessé de clamer que l’école algérienne est sinistrée et voilà que maintenant c’est l’Université en entier qui l’est. Le mal n’a cessé de se propager, depuis. 

Je considère qu’aucune amélioration de la gouvernance n’est envisageable sans la démocratisation de l’université, tant que les nominations des  responsables sont et demeurent concoctées hors de l’espace universitaire. La légitimité scientifique et pédagogique doit absolument reposer, avant tout, sur les collectifs d’enseignants et refuser  toute injonction administrative. 

Abdesselam Mahana, enseignant à l’Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumediene. USTHB – Alger et membre de la Coordination Nationale des Universitaires pour le Changement (CNUAC).

Notes

1 Arrêté n°633 du 26 août 2020 fixant dispositions exceptionnelles autorisées en matière d’organisation et gestion pédagogique, de l’évaluation et de la progression des étudiants, durant la période Covid-19 au titre de 2019-2020.

2 Arrêté n°055 du 21 janvier 2021 fixant dispositions exceptionnelles autorisées en matière d’organisation et gestion pédagogique, de l’évaluation et de la progression des étudiants, durant la période COVID-19 au titre de 2020-2021.

https://esti-annaba.dz/2021/01/23/arrete-fixant-les-dispositions-exceptionnelles-autorisees-en-matiere-dorganisation-et-de-gestion-pedagogiques-de-levaluation-et-de-la-progression-des-etudiants-durant-la-periode-covid-19-au-titr/

3  https://www.elwatan.com/edition/actualite/lautonomie-permettra-aux-universites-de-mener-leurs-propres-projets-de-developpement-25-03-2021

Auteur
Abdesselam Mahana, enseignant à l’Usthb

 




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