Mardi 28 novembre 2017
Dans les coulisses de la retraite dorée du couple Mugabe
C’est un autocrate soucieux de son avenir et de celui des siens qu’est Robert Mugabe. Selon un haut responsable de la Zanu-PF, 5 millions de dollars vont être versés immédiatement à l’ex-président Robert Mugabe, en plus d’un salaire de 150 000 dollars, chaque année, jusqu’à sa mort. Après son décès, Grace, sa femme, touchera la moitié de ce salaire pour le reste de sa vie.
En plus de cette allocation, le gouvernement s’engage à payer les frais médicaux de l’ex-président, ainsi que ses frais de voyage à l’étranger. Robert Mugabe se rend à Singapour plusieurs fois par an pour se faire soigner. Enfin, seront ajoutés à cela, les coûts liés à sa sécurité, ce qui représente, en tout, un « package » évalué à 10 millions de dollars.
Le couple peut également continuer à résider dans leur maison Blue Roof, dans le quartier de Borrowdale, à Harare, une résidence de 25 chambres évaluée à 10 millions de dollars.
Le secrétaire général du MDC, principal parti d’opposition, a réagi. Pour Douglas Monzora, l’ex-président a droit à un salaire comme tout ex-chef de l’Etat mais « le payement de 5 millions d’euros supplémentaires est inutile et ressemble fortement à un pot-de-vin ».
L’annonce a fait réagir la population. C’est beaucoup, s’exclame un Zimbabwéen, chauffeur de taxi qui gagne 200 dollars par mois.
Après négociations, Robert Mugabe a apposé sa signature en bas de sa lettre et « son visage s’est éclairé ». Médiateur des négociations entre le président zimbabwéen et les militaires, le prêtre jésuite Fidelis Mukonori a raconté à l’AFP les coulisses d’une démission historique.
Le 21 novembre, après près de quatre décennies à la tête du pays, le plus vieux chef de l’Etat au monde, 93 ans, lâche les rênes du pouvoir. Les pressions de l’armée, de la rue et de son parti sont devenues trop fortes.
Quelques heures plus tôt, il a rédigé sa lettre de démission, avec l’aide notamment du ministre de la Justice, Happyton Bonyongwe, et du président de l’Assemblée, Jacob Mudenda.
Le temps presse. Le Parlement s’est réuni en session extraordinaire pour débattre de la destitution du chef de l’Etat et tout indique que la motion va être adoptée rapidement.
« Une fois la lettre prête », Robert Mugabe « l’a lue et il a, avec dignité, pris son stylo et l’a signée », confie Fidelis Mukonori à deux journalistes, dont un de l’AFP. « Son visage s’est éclairé », ajoute-t-il, « comme s’il s’était dit « j’ai fait ce que j’avais à faire » ».
Fidelis Mukonori, un Zimbabwéen de 70 ans diplômé de théologie à l’université californienne de Berkeley, est un habitué des négociations. Depuis la guerre de « libération » des années 1970, il a été de presque tous les pourparlers engageant le pays.
Négocier le départ de l’homme qui a dirigé le Zimbabwe d’une poigne de fer depuis l’indépendance en 1980 était « juste un autre boulot ». Et à le croire pas le plus difficile.
Démissionner est « la meilleure chose » que Robert Mugabe ait pu faire, estime ce proche de l’ancien président.
Grace hors-jeu
« Mugabe a été au service de son pays pendant trente-sept ans (…) il était clairement temps pour lui de se reposer », estime-t-il, « il va mourir d’une belle mort ».
Selon Fidelis Mukonori, la première dame, Grace Mugabe, n’est que peu intervenue pendant les discussions.
« En tant qu’épouse, elle a fait des commentaires », dit-il, « mais on ne négociait pas avec Grace. Les militaires s’intéressaient d’abord à Robert Mugabe ».
C’est pourtant pour lui barrer la route de la succession de son mari que l’armée a pris le contrôle du pays dans la nuit du 14 au 15 novembre, une semaine après l’éviction de son rival alors vice-président, Emmerson Mnangagwa.
Pendant les discussions, Robert Mugabe et les généraux étaient « très calmes », assure le père Mukonori. Quand les officiers lui ont présenté une liste de doléances en onze points, le président n’a pas « sourcillé ». Il « réalisait la gravité des problèmes ».
A un moment, M. Mugabe a demandé à parler à M. Mnangagwa.
Fidelis Mukonori a composé sur son portable le numéro du vice-président déchu, alors en exil en Afrique du Sud, puis mis son téléphone sur haut-parleur. Le chef de l’Etat et son ancien bras droit se sont « parlé pendant une bonne dizaine de minutes », raconte le prêtre, au visage joufflu et à la voix feutrée. Robert Mugabe a prié Emmerson Mnangagwa de rentrer au pays. « Viens, viens, viens. Pourquoi es-tu allé en Afrique du Sud? J’avais prévu de te rencontrer après ton éviction pour qu’on puisse se parler tous les deux ».
L’Homme du milieu
Depuis la démission de Robert Mugabe, Fidelis Mukonori s’est entretenu trois fois avec l’ex-président. Il se porte bien et a proposé d' »aider » son successeur.
Le prêtre et Robert Mugabe se connaissent bien. Fervents catholiques, tous deux ont été formés chez les jésuites.
Au lancement de la réforme agraire en 2000, les fermiers blancs expulsés de leurs propriétés sur ordre de Robert Mugabe avaient appelé l’homme d’Eglise à la rescousse.
C’est lui aussi qui a participé aux négociations qui ont débouché en 2009 sur la formation d’un gouvernement d’union nationale.
Le prêtre ne fait pas l’unanimité. Perçu par certains comme un médiateur de confiance, il est aussi controversé en raison de sa proximité avec Robert Mugabe.
« Il y a ceux qui pensent qu’il a mis l’Eglise et lui-même en danger en étant trop près du président (…) D’autres au contraire apprécient son intervention », indique la préface de sa biographie.
Le prêtre, qui dirige une école en banlieue d’Harare, a publié un rapport sur la genèse des violences au Zimbabwe. Il a aussi rassemblé des preuves pour un rapport de l’Eglise sur les massacres d’opposants lancés par Mugabe dans les années 80 (environ 20.000 morts).
Fidelis Mukonori a publié cette année ses mémoires. Leur titre résume le personnage : « L’Homme du milieu ».