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 De la servitude !

REGARD

 De la servitude !

C’est le soir. Une douce brise marine chatouille les corps et drape Alger, citadelle jadis imprenable. 

Ouf, nous avons marché. Encore un vendredi. Après la grande prière. Et nous marcherons aussi la semaine prochaine. Et les autres à venir. 

A même sol, sur les trottoirs, sur le bitume, des hommes, affalés, circonspects et songeurs. A quoi cela rime à la fin ces rendez-vous hebdomadaires ? 

Après avoir accompli nos corvées de la semaine, nos devoirs religieux du vendredi espérant notre salut dans l’au-delà, nous mettons le nez dehors. Prendre le pouls. Nous distraire le temps d’un après-midi. Oublier toutes nos difficultés et frustrations. 

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Avec véhémence et à gorges déployées, nous invectivons le pouvoir, nous l’insultons, lui endossons la responsabilité de notre situation ; lui qui nous a laissé sans instruction, sans culture, sans avenir, sans panache, sans amour. Lui le grand responsable de notre laideur extérieure comme intérieure. A tambour battant, nous sillonnons les rues de la capitale, nous suons, nous bavons.

Du coin de l’œil, nous scrutons les forces de l’ordre qui gardent les bâtiments publics et nous surveillent. Nous alternons entre chants patriotiques qui, jadis avaient leurs heures de gloire et avaient enflammé tant de cœurs et des slogans aspirant à tant de justice et d’avenir radieux. Cette cure cathartique est une bouffée d’oxygène, une soupape qui nous permet d’évacuer la pression accumulée tout le long de la semaine.

Nous, ce pays qui n’a pas construit de cinémas (ou les a fermés), nous cette grande nation qui n’a pas pensé nécessaire de promouvoir la culture, d’édifier des musées, de mettre le paquet sur l’éducation de nos enfants, les ouvrir sur le monde, soutenir leur curiosité, les préparer à devenir des citoyens heureux inscrits dans le temps présent ; nous qui les avons laissés entre les mains d’un système éducatif rétrograde, moyenâgeux qui les acclimate doucement à leur viatique pour l’au-delà. 

Nous avons besoin de cette zerda hebdomadaire pour expier le démon qui habite chacun d’entre nous. 

Et nous reprenons notre train de vie habituel espérant une nouvelle éclatante qui viendrait déchirer cette monotonie écrasante, si étouffante et serrée que nous suffoquons et prêts à exploser à la moindre contrariété, au plus mince travers. Nous nous installons dans l’attente et l’espoir. Nous cultivons ce dernier comme Estragon qui attend Godot chez Beckett.

Car en terre d’islam, il est de coutume d’attendre. Attendre est une des caractéristiques fondamentales de la manière d’habiter le monde de l’Islam. Attendre la mort qui nous délivrerait de la vie terrestre et passer à la vie éternelle sans souffrances et sans besoins.

Attendre que Dieu nous envoie sa bénédiction. Attendre qu’un mari se pointe à la porte pour demander la main de la dernière qui n’a pas de prétendant, attendre que Allah puisse envoyer le remède contre ce virus, qu’il puisse miraculeusement guérir un proche atteint d’une maladie incurable.

L’Attente est une modalité sémiotique qui inscrit l’actant (ou le sujet) dans une passivité qui rétrécit son champ d’action sur le monde. Il n’a aucune emprise sur lui. Ni il intervient pour changer le cours des choses ni il en influe la direction. Le monde, il le subit marquant ainsi son impuissance. Désarmé face aux événements, l’Attendant (appelons-le ainsi celui qui attend) les absorbe et les accepte tels.

Sa volonté est abolie face à celles en présence ; celles qui s’activent, dessinent son avenir et lui dictent une direction. C’est la « Volonté divine ». lah ghaleb. Ce terme, innocent et plein de religiosité à première vue est d’une efficacité redoutable. Il décharge celui qui l’énonce de toute responsabilité et inscrit l’action qui est entrain de se dérouler dans une perspective plus grande que les simples préoccupations humaines et terrestres. L’action qui est entrain de se passer est du ressort du divin. C’est Dieu, instance transcendante qui a voulu cela. Et qui peut contrer ses desseins ? qui peut les remettre en cause sans risquer son courroux et une fin des plus abominables : être jeté dans les enfers jusqu’à la fin des temps ? 

L’ingénierie de la de modalité d’Attente répond à deux besoins de la société. En s’inscrivant dans l’Attente, l’Attendant se pose d’emblée comme victime et accepte son sort en tant que telle. Se poser en victime c’est consentir à ce qui nous arrive et admettre notre impuissance à en changer le cours.

Subir les volontés des hommes et de Dieu sans lever le petit doigt. Les premiers sont plus puissants que nous. Les visées du second sont hors du temps. Il est blasphématoire et dangereux de les contrer.  Le courroux et la colère des islamistes s’abattront sur celui qui y tenterait quelque chose. Se poser en Victime des circonstances et des forces, c’est inconsciemment se poser dans le camp du Bien. Le bien ne peut pas faire de mal. Le Bien s’oppose au Mal.

Le Mal qui survient dans la vie de celui qui attend, d’origine humaine ou divine est justifié et admis. Il n’y a aucune remise en cause. De ce fait, l’Attendant admet son impuissance et accepte la puissance de la force qui s’exerce sur lui. Il reçoit la Volonté divine en tant que croyant à bras ouvert. Pour le Mal des hommes, en l’agréant, il lui signifie ipso facto son pouvoir et sa suprématie. Si nous nous focalisons sur le Mal dont l’origine est l’homme, il conviendrait de dire, pour celui qui est dans l’Attente que ce qui lui arrive comme déconvenue est la faute des puissants. Il est le forfait de ceux qui ont le pouvoir puisque lui il en est dépourvu. 

Nous arrivons à la première conclusion, ce qui arrive n’est pas la faute de ceux qui le subissent mais des tenants du pouvoir. Le pouvoir est responsable de tout. Nous citoyens en sommes déchargés et exempt de toute implication. Le coupable est trouvé. 

Or les choses ne sont pas si simples. Nous, dominés, si nous souffrons et sommes dominés c’est que nous acceptons cet état de fait. La classe dirigeante, si elle a tant de pouvoir sur nous et nous impose sa volonté, c’est que nous le voulons, nous l’acceptons par commodité, par confort intellectuel, par paresse de faire notre examen de conscience. Dans toute situation, il faut bien trouver un alibi. Pour nous, simples citoyens, le Pouvoir est responsable de nos travers et impuissances.

En déposant notre volonté entre ses mains, nous lui donnons carte blanche et pouvons jouir de nous à sa guise. Et nous, nous avons la conscience tranquille. Nous ne sommes responsables de rien. Chose fausse en vérité. Nous ne voulons pas prendre en main notre destin et nos vies parce que trop habitués à l’Etat providence qui, dans notre imaginaire, doit répondre à nos plus infimes désirs. Il n’est pas ici question de dédouaner les responsables politiques qui ont conduit les affaires du pays depuis l’indépendance de la situation actuelle. Mais il n’est pas permis de faire l’économie d’un profond examen de conscience si nous voulons affronter avec justesse nos problèmes algériens. Nous ne pouvons aller de l’avant qu’à l’aune de cet examen. Nous sommes autant responsables que le pouvoir en place. En délégant notre pouvoir de décider et de choisir, nous avons accepté silencieusement, lâchement que les choses arrivent à ce point. Nous avons le choix de dire Non. Nous avons l’obligation de dire non, si nous voulons un avenir pour ce pays qui est le nôtre.

Enfin pour finir, si nos aïeux se sont contentés d’accepter la situation qui s’imposait à eux, on n’aurait pas eu l’indépendance. Après des années de tergiversations, de jeu politique sans issue, quelque vingt- deux éclairés et habités d’un feu de liberté qui venait du fond des âges ont décidé de déclarer la guerre à la France Coloniale……

Said Oukaci 

Doctorant en sémiotique 

 1- Nous laissons de côté la Volonté divine qui s’exerce sur les hommes comme modalité primitive de légitimation de pouvoir. Car, à bien le dire, les dieux et les discours qui vont avec sont des inventions de l’homme pour dominer ses semblables

Auteur
Said Oukaci, doctorant en sémiotique 

 




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