Depuis près d’une semaine, l’avocate au barreau de Nîmes, Khadija Aoudia, subit une vague inédite de racisme et de sexisme sur les réseaux sociaux. Ce qui l’a déclenchée : une plainte à l’encontre de Bruno Retailleau, déposée par des associations que l’avocate représente. Elles attaquent le ministre de l’Intérieur pour « discrimination » et « provocation à la haine » visant la communauté maghrébine.
Sur les réseaux sociaux, les commentaires racistes pleuvent, d’une rare violence. « Dehors la blédarde », « qu’elle aille en Algérie faire son métier », « qu’elle mette son sac-poubelle sur le crâne puis hop dans le premier avion direction Alger ».
Leur cible est Khadija Aoudia, avocate et ancienne bâtonnière au barreau de Nîmes. L’avocate subit depuis le 8 août 2025 un déferlement inédit de haine en ligne.
Plainte contre le ministre de l’Intérieur
Tout a commencé quand trois associations de défense des droits de l’Homme, représentées légalement par Khadija Aoudia, ont décidé de déposer plainte contre le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau devant la Cour de Justice de la République (CJR), vendredi 8 août. Ces associations accusent le ministre de « provocation à la haine » et de « discrimination », en référence à différents propos qu’il a tenus ces derniers mois dans les médias à l’encontre de la communauté musulmane.
Les propos sont cités dans la plainte, que France 3 Occitanie a pu consulter. « L’immigration n’est pas une chance pour la France », affirmait par exemple le ministre en septembre 2024 sur LCI. « Le voile est un signe d’apartheid », commentait-il en février 2025 sur la même chaîne. « À bas le voile », lançait-il encore en mars 2025 lors de son discours au Dôme de Paris.
Pour les associations plaignantes, ces déclarations sont la preuve que Bruno Retailleau « développe une rhétorique récurrente, tendant à désigner comme menaçantes ou incompatibles avec les valeurs de la République les personnes de confession musulmane et, plus largement encore, les ressortissants algériens ou les personnes perçues comme telles », peut-on lire dans la plainte.
« Les propos du ministre sont transgressifs, ils sont en violation de la Constitution, alors même qu’il en est le gardien. Cela a des conséquences extrêmement graves sur la société », Khadija Aoudia
Pour se préserver, les plaignants sont restés anonymes, à l’exception de la Ligue de défense des valeurs républicaines et de son président Michaël Bastien. Mais leur avocate, Maître Khadija Aoudia, a accepté de communiquer en son nom sur le sujet.
Propos racistes et sexistes
Depuis, l’avocate franco-algérienne est victime, que ce soit en public ou en privé, d’insultes islamophobes qui se confondent parfois en propos sexistes.
Elle est qualifiée de « ma belle » ou de « la p’tite dame algéro-française » par certains. D’autres internautes, dont on ne sait pas s’il s’agit de véritables personnes ou de « bots », l’insultent de « pute Algérienne », ou de « suceuse de babouches ». Les messages vont jusqu’à la « provocation au viol », relate l’avocate.
Le niveau de haine atteint des proportions inédites, confie-t-elle.
« À chaque fois que je me suis engagée, j’ai toujours subi des vagues de haine. Mais jamais de menaces. Il a fallu attendre cinquante ans pour y être confrontée de cette manière-là », affirme Khadija Aoudia
Alertés, différents membres de la profession ont pris spontanément la défense de l’avocate. La section nîmoise du Syndicat des Avocats de France (SAF), la Conférence Régionale des Bâtonniers du Grand Sud-Est et de la Corse (COBSECO) ou encore l’Ordre du Barreau d’Alès ont tous exprimé leur soutien dans des communiqués respectifs.
Des messages « symptomatiques de la réalité »
Michaël Bastien, président de la Ligue de défense des valeurs républicaines, fait partie des plaignants.
Selon lui, les messages de haine visant l’avocate « sont symptomatiques de la réalité ». Ils refléteraient un « climat délétère » de racisme et d’islamophobie en France, justement nourri par des personnalités comme Bruno Retailleau.
« Quand vous avez la peau noire ou que vous êtes arabe, on vous déteste, on vous dévisage partout, tout le temps et plusieurs fois par jour. Vous finissez par croire ce que le regard des autres vous renvoie, surtout quand un ministre vous explique que vous n’êtes qu’un barbare ».Michaël Bastien
Pour Khadija Aoudia, le caractère raciste et sexiste des insultes est en effet indiscutable. « J’ai le sentiment de cristalliser les haines, reconnaît-elle, en tant que femme et en raison du prénom que je porte. »
Pour autant, l’avocate ne souhaite pas porter plainte contre ses détracteurs. « Je suis indulgente envers la société civile », explique-t-elle, estimant que « les concitoyens sont aveuglés par les discours qui viennent des plus hautes sphères de l’État ».
Pour Michaël Bastien, pas non plus question de s’arrêter à ces critiques individuelles. « Il ne faut pas le prendre pour soi. On défend quelque chose de plus grand que soi : l’égalité, la liberté et la fraternité. »
Demande de démission
Le président d’association veut même aller plus loin. Jugeant que le ministre de l’Intérieur « n’est à la hauteur ni de son portefeuille ni de nos valeurs républicaines », et à la lumière de la plainte déposée, la Ligue de défense des valeurs républicaines a adressé un courrier auPremier ministre François Bayrou en date du 12 août 2025 pour demander la « démission immédiate de Bruno Retailleau ».
En attendant, la plainte déposée auprès de la Cour de Justice de la République a peu de chances d’aboutir. Mais l’avocate nîmoise est prête à aller jusque devant la Cour européenne des droits de l’Homme, si besoin.
« Ça ne sera pas dirigé contre Monsieur Retailleau, mais contre l’État qui ne met pas tout en œuvre pour rendre effectif l’accès à un procès », précise-t-elle au micro de Pauline Pidoux pour France 3 Occitanie.
La plainte est également suivie de près par un observateur de l’ONU, qui était présent lors de la conférence organisée par l’avocate, vendredi 8 août.
Contacté, le cabinet du ministre de l’Intérieur n’a à ce jour pas donné suite à nos sollicitations.
Francetvinfo