Samedi 24 mars 2018
Dieudonné au pays du Granguignol Ould Abbès
Finalement Dieudonné Mbala Mbala ne donnera pas de spectacle en Algérie. J’ignore combien d’Algériens se diront déçus de ce contre-temps, mais je ne serai pas du nombre. Franchement, avait-on besoin de déplacer Dieudonné à Alger pour rigoler, au moment où des hommes et des femmes qui dirigent le pays, se coupent en quatre pour nous faire rire, et à l’oeil ? Pourquoi payer 20 euros pour rire avec Dieudonné, quand on a, et à volonté, Djamel Ould Abbas, troubadour et, dit-on, chef du FLN qui donne une représentation bi-hebdomadaire de pitreries et de singeries que la rédaction a subtilement baptisé « Djamel Comedy Club » ?
L’humoriste franco-camerounais doit se faire une raison : en matière de clowneries, il ne fait pas le poids face aux Ould Abbes, Saadani, Sellal et même Bouteflika ! Le dernier One-Man-Show d’Ould Abbès est sans égal, dit-on à Alger. Le vieillard, aidé, il est vrai, par une sénilité galopante, était époustouflant !
Certes, il se donnait en spectacle devant les représentants des Mouhafadates, un public acquis, et dans une salle qu’il connaît bien, au siège du parti à Hydra. Mais cela n’enlève rien au génie de l’homme qu’on a entendu lancer, avec force gestuelle, ceci : « On a gagné, et on gagnera encore en 2019. En 2024, 2029 et en 2034. À cette date j’aurais 100 ans. Je serais encore là, avec vous n’ayez crainte. Nous sommes comme les oliviers de la Kabylie, on tient le coup. Ils tiennent 2000 ans, mais moi, 100 ans me suffisent », a-t-il déclaré sous les éclats de rire.
Bien entendu, le comédien Djamel n’a rien de commun avec l’olivier : l’arbre appartient à la famille des Oléacées, Ould Abbès à la Famille tout court.
Mais seules les fines bouches trouvent à redire, les mêmes esprits grognards qui avaient accueilli avec exaspération et amère ironie de malheureux propos de notre ancien Premier ministre Sellal, disqualifiant la poésie et les sciences humaines au profit des mathématiques.
La maladresse n’aurait pas fait grand bruit si elle ne venait après une autre, tout aussi rocambolesque, et par laquelle le sieur Sellal qualifiait le conseil des ministres de « formalité inutile », ce qui ne doit pas être loin de la vérité dans ce bric-à-brac autocratique où l’essentiel réside dans l’art de se reconduire pour un cinquième mandat à la force du déshonneur et du mensonge. En dévalorisant le conseil des ministres, Sellal s’obligeait à cette besogne solennelle qui consiste, pour les serviteurs de l’État, à trahir l’État pour des raisons qu’ils considèrent comme supérieures.
Ladite raison, ici, n’a rien de prestigieux et se résume à apporter une pitoyable justification aux reports successifs du conseil des ministres et, ce faisant, à camoufler l’inaptitude du président de la république à exercer ses fonctions. Il reste, cela dit, qu’il n’est pas si commun, qu’un Premier ministre s’abandonne à des aveux sur la piètre estime dans laquelle nos dirigeants tiennent leur propre gouvernance et sur la médiocre considération qu’ils ont du monde..
Abdelmalek Sellal vient avantageusement nous rappeler que la politique, sous nos cieux, n’a que faire du génie et que nos dirigeants ne se recrutent pas parmi les beaux esprits. Sans doute faut-il lui savoir gré de cette audace involontaire. Aussi est-ce assez superflu de reprocher à notre Premier ministre de ne pas s’inspirer des plus nobles utopies du siècle quand lui-même reconnaît qu’il n’en a aucune connaissance. Nous savons, désormais, sur la foi d’une si prestigieuse déposition, qu’il n’est nul besoin d’avoir lu Kant, Adonis ou Sansal pour présider aux destinées de cette nation et, dans le cas qui nous concerne, pour la mettre en faillite.