AccueilIdéeDu 5 octobre 1988 aux détenus d’opinion d’aujourd’hui, le même combat

Du 5 octobre 1988 aux détenus d’opinion d’aujourd’hui, le même combat

300 Algériens dont six femmes croupissent en prison pour leur participation aux manifestations populaires.
300 Algériens dont six femmes croupissent en prison pour leur participation aux manifestations populaires.

En ce 5 octobre, mes pensées vont aux jeunes qui ont dit leur colère, leur indignation et leur rejet de la gestion de leur pays. Par leurs vies sacrifiées, ils ont éveillé les consciences et rendu possible la démocratie, le multipartisme, le syndicalisme pluriel, les mouvements féministes. 

L’exégèse politique de cette séquence historique est d’une impérieuse nécessité pour appréhender celle que nous vivons aujourd’hui, à savoir la crise politique, celle des institutions et de la nation.

La démocratie orientée, contrôlée telle que mise en place par le pouvoir de l’époque, explique en partie le déficit démocratique d’aujourd’hui. La restructuration de plus en plus autoritaire du système à travers la promulgation de l’ordonnance plus connue sous l’appellation de l’article de loi, 87 bis, a acté l’extinction de la vie publique, politique et associative.

C’est dans ce nouveau contexte judiciaire que les atteintes aux droits humains sont devenues légion.

Trente-quatre ans après, que restent-ils de ces acquis ? Trente-quatre ans après, plus de 300 détenus d’opinion subissent l’injustice de la détention dans les prisons algériennes pour leur réaffirmation de ces acquis.

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En cette rentrée scolaire, nombreux sont les détenus qui n’ont pu aider et partager avec leurs enfants le choix de leurs vêtements de rentrée et leurs affaires scolaires. Nombreux sont ceux qui n’ont pu accompagner leur progéniture de leur regard fier et rassurant  reprendre le chemin de l’école.

Les enfants s’en souviendront. Vous pardonneront-ils un jour ? Nous pardonneront-ils notre manque de solidarité, notre indifférence à leur égard ? Seront-ils reconnaissants à ceux qui leur ont manifesté du respect et une amitié qui ne seront jamais à la hauteur des préjudices qu’ils subissent ?

Cette privation de liberté et des libertés démocratiques a une incidence sur la société algérienne et c’est un euphémisme que de le dire. Outre la terreur qui s’abat, qui fait naître et renaitre chez les jeunes et les moins jeunes aussi, l’envie de quitter le pays pour un ailleurs quand bien même incertain. Le Hirak ou l’exil ! Les embarcations hasardeuses ont recommencé à prendre le chemin d’un exil qui s’arrête pour certains dans les profondeurs de la Méditerranée.

Un hommage particulier au Dr Fekhar, le journaliste Tamalt, et le citoyen Hakim Debazi, morts en prison. Debazi est décédé sans même avoir été jugé alors qu’il était dans une institution relevant d’un ministère régalien donc sous la protection et la responsabilité de l’État. Il avait cinquante-cinq ans et trois enfants encore mineurs. Le Dr Fekhar avait aussi des enfants mineurs.

Toute la communication institutionnelle concernant ces drames n’avait pour but que d’exonérer l’État de sa responsabilité matérielle et morale.

Vous me pardonnerez de convoquer ici, la dénomination anglaise «  prisoners of conscience » pour désigner la dénomination de « détenus d’opinion », non pas, parce que l’opinion est méprisable, mais parce que la conscience souvent suppose un arbitrage, une délibération dans la solitude. De plus, dans le cas de ces prisonniers, c’est exactement ce qu’on leur reproche, autrement dit, avoir une conscience et le courage d’en faire état publiquement.

Hakim Debazi avait estimé qu’il avait une conscience et qu’il devait témoigner de ce que sa conscience lui dictait. Il avait partagé une publication sur un réseau social, une publication qui n’allait pas dans le sens de l’encensement de la politique actuelle, ce qui ne devrait nullement constituer un motif d’arrestation. Il en est mort.

S’autoriser à réfléchir et à le partager avec les autres, ne doit mener personne en prison et encore moins à la mort.

Lui, comme d’autres détenus voulaient, veulent témoigner de pratiques inacceptables d’une gouvernance qui n’est pas digne d’un pays qui a chèrement payé son droit à vivre libre et digne.

Dans la philosophie grecque, le mot « martyr », désigne aussi le terme « témoin, fidèle témoin ». Le martyr est donc témoin. La philosophie arabe lui a si joliment emprunté l’expression shãhid shahid (الشاهد شهيد), c’est-à-dire le témoin est martyr. Parce que témoins, le Dr Fekhar, le journaliste Mohamed Tamalt et Hakim Debazi en sont donc morts. En mourant en prison, ils dont des martyrs. Mais aujourd’hui, ils sont symboliquement témoins d’un collectif de détenus soumis à l’arbitraire du traitement judiciaire.

Ils ont uni les détenus divers par leur âge, sexe, opinions et régions d’Algérie, dans un corps collectif de sacrifiés qui partagent l’expérience carcérale et les abus d’une justice du téléphone comme le scandent les hirakistes.

Le Hirak dans sa version révolutionnaire était porteur d’idéaux partagés, certains arguaient que ce n’était qu’une idée et voilà qu’aujourd’hui, il est de son devoir d’être une conscience active de son destin.

En ce 5 octobre, à nouveau rendons hommage aux jeunes, morts pour un État de droit en 1988.

En octobre 2022, rendons également hommage aux détenus qui incarnent l’honneur et la dignité dont on cherche à nous délester. Ils sont la résistance pacifique, la conscience en révolte, le combat pour la non confiscation du présent et de l’avenir de notre Algérie.

Ouerdia Ben Mamar,

Militante féministe

1 COMMENTAIRE

  1. Les manifestants d’octobre 1988 n’ont pas grand chose à voir avec les détenus d’opinion et politiques d’aujourd’hui. En 1988 c’était les islamistes qui ont monté les jeunes Algérois et les ont envoyés à l’abattoir (500 morts pratiquement oubliés).
    Aujourd’hui les revendications sont démocratiques et indépendantistes; les prisonniers défendent des idées démocratiques avec un projet politique bien clair: autonomie ou indépendance pour la majorité.

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