Lundi 6 avril 2020
El-Harrach, cellule N° 40 (Acte IV)
De gros nababs ayant dirigé le pays et ses finances se retrouvent encastrés dans une cellule de la célèbre prison d’El Harrach, à Alger. Une salle où l’ambiance qui y règne, en ces temps de pandémie, mérite un plongeon entre ces murs, histoire d’en rire ou d’en pleurer. C’est selon.
El Fakakir est un mauvais patient. Il se montre résistant et refuse de recevoir la piqûre.
C’est alors que Chahid-El-Hey se remémore une psychotechnique apprise lors de ses études à l’université… de Leipzig, en Allemagne.
Il s’applique maintenant à exercer un tour de magie sur son patient pour lui faire oublier la grosse seringue qu’il dissimule derrière son dos
– Jiboulou el moumarida yalal w ya lalal (1), tente Chahid El Hey d’hypnotiser son patient, pendant que d’autres gardiens sont invités à suivre la cadence en tapant des mains. Des youyous fusent, entretemps, des cellules avoisinantes.
Les prisonniers, ayant eu vent de la nouvelle, tournent la scène en dérision et se mettent à chanter en chœur :
– Dirilou el henna… el mazouzi dyalna (2)
El Fakakir s’emporte et balance des blasphèmes à tout va. Les gardiens ont de plus en plus du mal à le contenir, et d’autres collègues viennent en renfort pour le maîtriser.
– Ya R… machi au milieu de la fesse, 3la l’côté, ya t’bib ta3 z’mar, n’ta t’bib n’ta (Bon Dieu, pas au milieu de la fesse, mais sur le côté, espèce de charlatan), s’écrie El Fakakir.
Mais imperturbable, Chahid-El-Hey tapote la surface devant recevoir la piqûre, comme pour rendre moins douloureux l’acte médical.
En s’y mettant, il lance à l’endroit de son patient :
– Depuis le temps que je rêve de te donner une fessée…
En recevant la piqûre, El Fakakir pousse un cri qui fait vibrer les murs des geôles, avant de s’évanouir.
Chahid-El-Hey, décidément satisfait de son acte, se tourne vers les gardiens en pointant de nouveau la seringue.
– Vous n’avez pas un autre malade ?
Les gardiens, déjà suffisamment embêtés par la situation, reprennent vite les choses en main.
– Pose ton jouet là, remets la blouse, et tout de suite dans ta cellule.
Chahid-El-Hey, toujours aussi excité, ne lâche pas l’affaire.
– Je peux prendre avec moi quelques injections dans la cellule, mes compagnons font des cauchemars la nuit… H’mimed nous lit, chaque soir, des bulletins de renseignements quotidiens (BRQ) de la police pendant son sommeil, alors qu’Alilouche passe ses nuits à passer des coups de fil au frère cadet pour se plaindre de ministres et de walis, aux fins de lui payer les situations de projets fictifs…
Agacés, les gardiens se montrent carrément menaçants, cette fois-ci.
– Ta cellule, pour la dernière fois, sinon le cachot à ton tour ! Et prie pour que ton ami ne soit pas déjà mort. A suivre…
M.M
LIRE : El Harrach, cellule Numéro 40 (Acte III)
Renvois
(1) Jiboulou el moumarida (Qu’on lui amène une infirmière) est une chanson célèbre du terroir algérien, interprétée par Rabah Driassa, qui a marqué la scène musicale en Algérie entre les années 1960 et 1980.
(2) Diroulou el henna (mettez-lui du henné) est un chant traditionnel repris en chœur lors des cérémonies de circoncision en Algérie.
Mail de l’auteur : mehdimehenni@yahoo.fr