28 avril 2024
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Elisa Biagi : « Mon spectacle Le fil rouge est un hommage à ma grand-mère »

Elisa Biagi
Elisa Biagi.

Elisa Biagi est une jeune comédienne italo-algérienne. Elle est certes née en Italie mais son œuvre respire et transpire la Kabylie de sa mère et de ses grands-parents : les Yaha. Son premier spectacle, « Le fil rouge » est un vibrant hommage aux femmes et à leur lutte. Mais surtout à sa grand-mère Nna Nouara. Cette œuvre prend racines en Kabylie pour embrasser l’universel. Elisa Biagi joue « Le fil rouge » à Paris en mars et avril. Emouvant.

Le Matin d’Algérie : Qui est Elisa Biagi ?

Elisa Biagi : Cette question a longtemps provoqué en moi un dilemme existentiel (rire). Je suis une jeune femme italo-algérienne de 23 ans, une autrice et une interprète de théâtre et cinéma. En quittant la maison où j’ai grandi (Rome) pour continuer mes études de théâtre à Paris, je me suis incroyablement tournée vers mes origines, d’un côté toujours plus Italienne et de l’autre toujours plus Algérienne. Faut-il quitter son pays pour en tomber encore plus amoureux ?

Le Matin d’Algérie : Comment est né votre spectacle « Le fil rouge » ?

Elisa Biagi : J’ai toujours eu une très bonne relation avec mes grands-parents, j’avais l’habitude de les voir une ou deux fois par an et malgré ce peu de temps passé ensemble, ma grand-mère savait tout de moi.

Quand je suis arrivée en France, c’était comme un rêve, je pouvais enfin passer autant de temps que je voulais avec elle. Et c’est ce que j’ai fait. Un jour, j’ai dit à l’un de mes professeurs au Cours Florent que je voulais écrire un petit monologue sur l’histoire de ma grand-mère, juste quelques minutes, pas grand-chose.

Elle m’a répondu ce qui était évident : « Écrit une pièce sur ta grand-mère, et fais-en un seul en scène ». J’ai relevé le défi. Je me suis baignée dans l’histoire familiale en étudiant les mémoires de mon grand-père d’un côté et en écoutant les mémoires de ma grand-mère qui a l’art de la narration orale et de la poésie.

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Pendant deux ans, j’ai travaillé sur ce texte, deux ans où il ne s’est pas passé un jour sans que je pense à elle, que je partage avec elle des histoires, des anecdotes ou un simple repas. Avec elle, j’ai pu voir tous les lieux que je cite dans le spectacle, j’ai tout documenté. Ces lieux que j’ai connus enfant, je les voyais sous un angle totalement différent. Ce fut une expérience mémorable. L’été que j’ai passé à documenter, à rencontrer d’autres femmes, à voir les lieux, à partager, à rire, à pleurer et à construire ce spectacle m’a changée à jamais. Chaque rencontre m’a nourrie et m’a fait grandir.

Le Matin d’Algérie : Dès l’entame de votre carrière, vous affichez ce passé familial comme un legs. Est-il lourd à porter ?

Elisa Biagi : Parfois. Je pense que j’ai vraiment peur de ne pas être à la hauteur des valeurs qui caractérisent mes grands-parents : le respect, l’amour, la bonté d’âme, la lutte pour la liberté toujours et partout.

La vérité, c’est que jusqu’à la mort de mon grand-père, paix à son âme, je n’ai pas compris qui il était. Pour moi, c’ était simplement mon grand-père, et il le restera toujours. Il ne m’a jamais exclu d’une conversation, tout le monde avait l’espace pour parler, donc pour moi c’était tout simplement normal tout ce fouillis d’idées politiques.

Avec le temps je me suis rendue compte de l’importance que notre nom de famille avait dans le cœur des gens, c’est ça qui m’a touchée. Encore aujourd’hui ça m’arrive de voir des hommes pleurer en entendant que je suis la petite-fille de Si Lhafidh, je finis souvent par pleurer avec eux.

Le Matin d’Algérie : Votre spectacle est un hommage vibrant aux femmes qui ont participé à la guerre d’indépendance. Est-ce à dire que vous êtes baignée dans cette histoire ?

Elisa Biagi : Il y a beaucoup de femmes qui ont inspiré mon histoire, mais ce que je me suis toujours dite en écrivant le texte (quand je doutais de mon écriture), c’est que même si ma grand-mère n’avait jamais pensé ou ressenti ce que je décrivais, il y avait sûrement une autre femme quelque part qui pouvait se retrouver dans cette histoire.

Il y a beaucoup de femmes qui ont influencé mon histoire, évidemment ma grand-mère, ma mère, ma sœur et mon arrière-grand-mère Djedjjiga, mais aussi : Fathma n’Soumer (dont la statue se trouve près de mon village en Kabylie, et qui est la première femme citée dans le livre de mon grand-père), Djamila Bouhired qui est une femme extraordinaire et que je respecte beaucoup (et que j’ai eu l’honneur de rencontrer il y a quelques années), Louisette Ighilahriz qui, avec son livre, m’a beaucoup appris sur des pans de l’histoire dont on ne parle pas.

  • Toutes ces femmes et bien d’autres m’ont inspirée par leur force, leur courage et, malgré toutes leurs expériences, leur amour inconditionnel de la vie.

Mon costume a été créé par une couturière de mon village (Ait Atsou) qui a réalisé une robe en respectant les habits traditionnels de l’époque (1954/1962). Après avoir fini d’écrire, j’ai demandé aux femmes de mon village, l’Association des femmes Thigejdith du village d’Ait Atsou, d’enregistrer un chant qui fait partie intégrante de mon spectacle. J’ai des frissons à chaque fois que je l’entends. C’est une représentation de ce pouvoir féminin inépuisable, c’est la voix de toutes les femmes qui ne l’ont plus.

Le Matin d’Algérie: Vous mêlez théâtre, cinéma et histoire dans ce spectacle ? Comment s’est précisé son montage ?

Avec ma réalisatrice, Anaïs Caroff, nous avons beaucoup réfléchi à la manière dont certaines choses devaient être représentées. Nous savions, par exemple, que la musique et les effets sonores du spectacle devaient être exécutés en direct.

Nous avons donc pensé à notre amie musicienne Laurie-Anne Polo, qui a immédiatement compris ce que nous voulions exprimer dans ce spectacle. Nous avons aussi travaillé sur des enregistrements nécessaires pour donner une voix à tous nos personnages. J’ai toujours aimé la projection vidéo au théâtre, et je l’ai souvent utilisée dans mes projets, il était donc logique que je l’utilise aussi cette fois-ci, d’autant plus que l’on navigue dans un axe temporaire qui va de 1954 à 2024.

C’était ma façon de ne pas perdre le spectateur. Il a toujours été fondamental pour nous de trouver un mode de narration qui puisse parler de toutes les femmes dans toutes les guerres.

Le Matin d’Algérie : Quels sont les premiers retours que vous avez eu sur ce spectacle ?

Elisa Biagi : J’ai eu de bons retours, beaucoup de personnes dans le public faisaient partie de ma famille, et bien qu’elles connaissaient l’histoire, elles en sont ressorties profondément touchées. Quant aux personnes extérieures à ma famille, mes amis par exemple, ou des personnes que je ne connaissais pas forcément, elles en sont sorties changées.

D’après ce que j’ai pu constater, le fait d’entendre l’histoire de ma grand-mère les a amenés à s’interroger sur leurs propres fantômes du passé. J’ai une amie qui est revenue deux fois, et les deux fois elle a pleuré du début à la fin, ses mots étaient magnifiques, elle ne pouvait pas croire que tout ce que je racontais avait pu être vécu par une seule personne, et surtout à un si jeune âge.

Mais la personne qui m’a le plus touchée est une amie française qui, quelques mois avant la première du spectacle, m’a avoué que son grand-père était dans la Légion étrangère. Elle m’a également dit qu’elle était consciente que son grand-père avait certainement fait des choses pendant la guerre dont personne ne pouvait être fier. Je l’ai accueillie à bras ouverts. Si ma grand-mère avait pu pardonner, qui étais-je pour empêcher quelqu’un de se réconcilier avec son passé ? Je ne la remercierai jamais assez d’être venue ce soir-là nous qui avions une histoire familiale si différente, c’était un peu comme si nous repartions à zéro, les mains jointes, pour un avenir meilleur.

Le Matin d’Algérie: Vous montez sur scène avec plusieurs dates à Paris. Appréhendez-vous ce moment ?

Elisa Biagi : Il y a beaucoup de stress. Ce n’est pas la première fois que je joue au théâtre, par contre, c’est la première fois que je joue un texte que j’ai écrit. Je pense que le stress est normal lorsque l’on travaille dans ce monde, c’est ce qui fait monter l’adrénaline. Mon seul souhait est que l’on raconte l’histoire de ma grand-mère, l’histoire d’une femme d’une force inestimable, qui a toujours donné énormément. Ce spectacle ne pourrait exister sans l’amour que je lui porte, je lui dois tout et j’espère avoir hérité ne serait-ce qu’une minime partie de sa personnalité.

Le Matin d’Algérie : Y a-t-il des dates prévues en Algérie ? Vous arrive-t-il de retourner en Kabylie ? Peut-être vous serez amenée à le jouer aussi sur place ?

Elisa Biagi : Nous attendons la confirmation du ministère de la Culture en Algérie pour pouvoir nous produire sur place. Mon équipe et moi attendons avec impatience.

Malheureusement nous n’avons toujours pas de réponses. Je crois qu’il est essentiel que cette pièce soit produite en Algérie pour plusieurs raisons. J’aimerais que tous mes proches puissent me voir raconter notre histoire, que les personnes qui ont entendu parler de la pièce, à travers les médias sociaux ou que j’ai rencontrées lorsque je travaillais, puissent la voir.

Et puis, il est important de ramener cette pièce là où tout a commencé. Je retourne en Kabylie tous les ans. Dernièrement pour le travail, j’y retourne un peu plus souvent, c’est ma maison, j’ai toujours aimé y passer mes étés. Mon grand-père est là-bas, ma famille, mes montagnes, tout est là-bas et j’espère y retourner bientôt.

Entretien réalisé par Hamid Arab

Le spectacle « Le fil rouge” revient pendant six dates à Paris au Théâtre Pixel, 18 rue Championnet 75018.

À partir du 15 mars, tout les vendredis à 19h!

Une création de Elisa Biagi et Anaïs Caroff avec musique live et bruitage de Laurie-Anne Polo.

Pour vos billets:
https://www.theatrepixel.org/le-fil-rouge

7 Commentaires

  1. Votre histoire est très émouvante. Je pense que chaque Kabyle y reconnaîtra sa grand-mère ou sa mère. Être la petite-fille de l’illustre Si Lhafidh est déjà une référence inestimable. Je reconnais ma mère dans vos propos et dans votre robe et cela me rappelle de bien tristes souvenirs mais aussi sa grandeur d’âme et sa résilience. Vous faites honneur à la femme kabyle qui je pense est unique. Merci à vous.

  2. Ne vous en faite pas Mas Kichi, ni cette pièce destinée aux gens hors galaxie, ni les saoudiens curieux de au point d’aller voir en dehors de leur périmètre.
    Et puisque la programmation est pour le moment à Paris, pas à Riyad où ils sont capables de faire plier Socrates lui même. Si par hasard ils viennent voir le spectacle, tant pis di ça ne leur plait pas; après tout ça fait partie du jeu.

  3. Salut, ay urrif : C’est peut-être une variation régionale en Kabylie, mais en tout cas je me rappelle très bien que plus d’une fois quand j’étais petit dans les années 50-60, en Kabylie maritime, un homme a soulevé son aqendour et a exposé son dérrière à quelqu’un dans un geste de mépris, et on a dit ichemmras. Et j’ai entendu des femmes menacer de faire la même chose à d’autres femmes. Donc c’est peut-être une question de régions en Kabylie. A moins que tu te trompes. Demande autour de toi pour être sûr.
    En anglais on appelle ça « mooning ». To moon someone, lui montrer ses fesses ou son dérrière.

  4. Cet amour filial, ce respect de l’aîné manifesté à travers cette interview, c’est de moins évidents de nos jours. Rien que pour cela, j’irai voir le spectacle.

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