26 avril 2024
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Entretien de Djamila Debèche par Marguerite Taos-Amrouche 

Taos Amrouche

Document. C’est sur France-Culture qu’une rare interview de Djamila Debèche, datant du 25/12/1962, a fait l’objet d’une émission le 7 février 2021 dernier, dans le cadre de la thématique La Nuit des féminismes, que réalise Virginie Mouthé. La journaliste qui entretenait l’auteure de «Leïla, jeune fille d’Algérie» (1947) n’est autre que.. Marguerite Taos Amrouche dans le cadre de son émission sur les ondes de la Radio parisienne, intitulée « L’étoile de chance».

Marguerite Taos-Amrouche, la sœur de Jean El-Mouhoub Amrouche, se présenta dans son entretien avec Djamila Debèche en tant que Marguerite Taos. Nous reproduisons, pour nos lecteurs et chercheurs, l’intégralité de cet entretien.

Marguerite Taos : Djamila Debèche, vous êtes la première femme d’Afrique du Nord que nous recevions ici à L’étoile de chance. J’ai gardé un souvenir très vif de notre première rencontre, dans un café, vous vous souvenez ?

Djamila Debèche : Certainement.

M.T. : Vous êtes venue à moi avec une aisance qui vous caractérise et une franchise qui est très… très rare de nos jours.

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Dj. D. : C’est tout naturel, deux compatriotes qui se rencontrent en Métropole et pour la première fois. Il était naturel que je vienne vers vous pour faire votre connaissance d’abord, j’avais entendu parler de vous et c’était pour moi une grande joie d’avoir une compatriote écrivain.

M.T. : Voyez-vous Djamila Debèche, je ne sais pas si on vous la dit, il y a quelque chose de tout à fait insolite dans le mélange qu’il y a chez vous de l’Occident et de l’Orient ?

Dj. D. : Pourquoi ça ?

M.T. : Si je vais peut-être employer une curieuse comparaison. Euh… si comme si… je… prenais un flacon de parfum d’une apparence très parisienne et que je découvrais une essence d’Orient à l’intérieur de ce flacon.

Dj. D. : Vous voulez dire que je suis une synthèse de l’Orient et de l’Occident.

M. T. : Je crois que vous avez prononcé le mot.

Dj. D. : Oui. Cela se peut, car la plupart du temps lorsque l’on me voit, on ne me différencie pas d’une Méditerranéenne ou bien d’une femme lorsque… Puisque, j’ai eu le bonheur de faire plusieurs voyages en Asie. Lorsque j’étais au Japon, j’étais à l’aise, lorsque j’étais en Inde, je me sentais très à l’aise aussi, je crois que je suis… j’ai gardé mon origine, j’ai gardé tout… ce qui m’est cher,  de mes origines, mais cela ne m’a pas empêché d’évoluer et de me sentir à l’aise partout.

M.T. : Donc, j’accueille ici non pas seulement la Secrétaire générale du Pen-Club algérien et la journaliste et l’auteur du livre Aziza, mais surtout la… féministe, une féministe ardente parce que, n’est-ce pas vous avez commencé cette croisade très jeune, en même temps, il n’était pas aussi facile de s’atteler à cette tâche.

Dj. D. : Oui. Il y a une vingtaine d’années l’évolution de la femme musulmane était encore à ses débuts. Évidemment, tout le monde était acquis à cette évolution, mais il fallait la propulser, il fallait organiser un mouvement et fallait surtout, promouvoir des bonnes volontés pour… en faveur de la femme. Je dois dire que je n’ai pas toujours rencontré l’accueil que j’aurais dû rencontrer.

(Un fond musical et intermède avec le « mezoued »)

Je ne suis pas une citadine, je suis de par mon ascendance paternelle des Haut-Plateaux de Sétif et de par mon ascendance maternelle. Je rentre de plain-pied dans la famille saharienne. J’ai été élevée par ma famille maternelle et je dois dire que la chance, la providence s’est manifestée dès ma naissance car… alors que l’on attendait un garçon c’est une fille qui est arrivée et cette fille que personne ne voulait voir dans ma famille paternelle, elle a été adoptée par ma famille maternelle, j’étais donc élevée par ma famille maternelle qui était toute acquise à l’évolution de la femme.

M.T. : C’est donc au désert aux horizons illimités que vous devez cet amour de l’indépendance qui vous caractérise ?

Dj. D. : Oui. Je suis éprise de liberté et d’indépendance et je crois en effet, que ce sont mes origines maternelles, mon Sahara d’enfance qui a marqué profondément ce goût pour l’indépendance et la liberté qui m’a caractérisée jusqu’alors.

M.T. : Et vous a fait faire de grands voyages, je crois bien ?

Dj. D. : J’ai eu la bonne fortune de voyager en Asie et en Afrique et j’ai eu cette grande chance de pouvoir aller en Occident à la fois et de comparer les différentes situations de la femme, puisque ça était dès le début de mon enfance le sujet qui m’a passionné et qui m’a intéressé.

M.T. : Cela est un sujet excessivement grave et lorsqu’on vous fréquente et lorsqu’on vous connaît, vous frappez en réalité par un optimisme souriant et une vaillance à toute épreuve. Et vous savez (Sourire de M.T.), un être absolument animé par un idéal et vous frappez toujours sur ce clou.

Dj. D. : Ah ! oui, je dois dire que l’évolution de la femme musulmane est une question qui a été la base de ma vie et qui a même dirigé toute ma vie, parce qu’elle est née d’ailleurs cette vocation, si je puis dire, d’un sentiment de révolte, de faire que j’étais une fille et que je n’est pas été accueillie dans la famille paternelle comme j’aurais due être accueillie, mais quelques années plus tard frappé, je me suis promise de faire en sorte que désormais toute mon action se serai tenter à prouver qu’une fille pouvait valoir un garçon.

M.T. : Djamila Debèche, si vous voulez bien examiner très attentivement votre ciel. Parce que, n’est-ce pas, vous croyez à la baraka ?

Dj. D. : Certainement !

M.T. : Il n’est pas possible que vous n’y  croyiez pas ?

Dj. D. : Certainement, je viens de vous le dire, que je suis une fille et que je suis un garçon.

M.T. : Oui. Nous sommes bien d’accord. Mais, j’aimerais savoir  qu’elles sont les êtres que vous voyez se pencher vers vous pour vous aider dans cette mission qui est la vôtre ?

Dj. D. : Ma famille maternelle qui m’a adoptée.

M.T. : Vous venez de le dire…

Dj. D. : Mon tuteur, Ahmed Ibnou Zekri,  proviseur du lycée Franco-musulman, qui était un homme remarquable, qui a élevé, éduqué trois générations d’Algériens. Mon tuteur le cheikh Ibnou Zekri était proviseur du lycée de l’enseignement Franco-musulman et il était tout acquis à l’évolution de la femme. Mais comme il était aussi Président de la cultuelle musulmane et comme, il portait le guénour (1) traditionnel et la gandoura (2) et que je bousculais un petit peu les traditions établies, il ne voulait, certainement pas, m’encourager publiquement, mais il m’encourageait moralement et  c’est, forte de cette aide morale, que j’ai pue entreprendre une croisade en faveur…  Je dis bien croisade, car à l’époque, je crois que c’était une croisade en faveur de la scolarisation des filles d’abord et ensuite, j’ai fondé pour appuyer cette action, j’ai fondé un journal que justement s’appelait L’Action,  العمل . Ensuite, j’ai énormément fait des conférences à la radio d’Alger et toujours avec le même sujet qui rendait à prouver que le Coran n’était pas un obstacle à l’évolution de la femme musulmane et à force d’enfoncer c que vous appelez le clou, j’ai finalement réussie à convaincre quand même, pas mal de gens.

M. T. : Mais, Djamila Debèche tout de même, dans l’histoire de votre famille maternelle qu’elle est avènement qui est  survenue et qui vous as sorti les uns et les autres de votre horizon saharien, pour vous mener vers l’Occident.

Dj. D. : Un jour, aux Ouled-Djellal, deux voyageurs sont arrivés à l’oasis et mon grand-père qui connaissait à fond le désert, leur a servi de guide. Ce n’est qu’à la fin de cette visite que l’un des deux voyageurs s’est fait connaître. Il s’appelait Albert de Monaco et il a invité, en ce moment-là, mon grand-père à lui rendre visite à son tour, à Monaco. Et, c’est ainsi que mon grand-père, un jour, a débarqué avec son guénour  et  son burnous dans la Principauté et par la suite,  lorsque je suis venue au monde bien sûr, j’ai franchi la Méditerranée pour aller découvrir ce beau pays.

 (Intermède musical avec Vivaldi

Dj. D. : C’est d’ailleurs à ce moment là, que j’ai eue… j’ai écouté les premiers chants italiens et que j’ai été très attirée par toute cette musique occidentale qui ne m’a pas éloignée du tout, de mes origines et je retrouvais avec plaisir la flûte de mon grand-père me jouer le soir. De même, que j’écoutais tous ces opéras qui pour moi, étaient nouveaux et qui m’entrainaient dans un monde différent de celui que je connaissais.

(Intermède traditionnel avec le « mézoued ») (3)

M.T. : Djamila Debèche, je dois connaître le secret de cette distance, qui me frappe, moi. J’ai parlé tout à  l’heure, j’ai dit qu’il y avait en vous du yaouled et du Gavroche et en même temps, vous portez aussi cette hospitalité princière propre aux gens d’Afrique du Nord et plus spécialement du sable. Et alors, je ne vous aie jamais vu dans  aucun salon. Vous êtes partout, chez vous. Je voudrais savoir, si encore là, il n’y a pas le signe d’une chance exceptionnelle.

Dj. D. : Oui, je crois en effet que ce que vous dites est très juste. Je ne me sent dépaysée nulle part. Ainsi, lorsque j’étais en Asie, au japon, je ne me trouvais pas dépaysée, lorsque j’étais en Inde, je n’étais pas dépaysée non plus et partout où je suis passé, je crois, que j’étais très à l’aise. Mais là, je rejoins un petit peu et beaucoup même ce que disait Al-Zoubeïdi,  le poète de Cordoue, parce que c’est ce qui s’applique le plus à moi. « La terre entière, disait-il, dans sa diversité, est une et les hommes sont frères. Puisque, je tire mes origines de la terre, toute terre est ma patrie et tous les hommes sont mes parents ». Et partout où je suis passé, je me suis considéré comme chez moi, ce qui fait que j’étais à l’aise partout bien sûr. 

M.T. : Et c’est d’ailleurs très curieux, cette aisance qui est en vous, peut vous êtres interpréter par certains et d’une étrange manière et vous faire passer pour ce que vous n’êtes pas en réalité.

Dj. D. : Oui. Là, je crois vous détruisez une légende qui a fait dire que j’étais fière et distance. C’est tout à fait inexacte, j’ai quand même, j’ai ce côté un petit peu.. que je ne dirait pas sauvage, mais solitaire des gens du sable qui aiment un peu ce replier sur eux-mêmes et il est évident que certains visages me sont plus sympathique que d’autres, alors je vais vers eux, tout spontanément et tout naturellement, mais je ne voit pas pourquoi je me conférai ou bien j’irai vers des personnes qui me sont étrangères au prime abord, alors évidemment que cela à fait dire que j’étais fière et distante mais quand on me connais bien, on doit voire que ce n’est pas du tout le cas, puisque je suis plutôt optimiste.

M.T. : Optimiste, joyeuse et vaillante et si je devais vous donnez un pseudonyme, je crois ce n’est pas tellement Djamila Debèche que je vous appellerez. Vous savez ce que je dirais ?

Dj. D. : Non ?

M.T. :  Djamila Djeb-rabi.

Dj. D. : C’est très joli, ce que vous dites.

M.T. : C’est-à-dire, je vais traduire. C’est-à-dire Djamila Dieu apporte et par là, vous êtes foncièrement d’Afrique du Nord… euh… vous n’êtes jamais sombre, vous ne doutez jamais, et on a l’impression qu’il y a une manne suspendue au-dessus de votre tête et que cette manne descendra. Vous avez une protection. Vous le savez ? Vous dites toujours, Rabi djib,  Dieu est grand, Dieu apporte.

Dj. D. : Oui, c’est ce que je dis et je le crois sincèrement.

M.T. : Et d’autre part on peut vraiment dire vous êtes une fille de la baraka, parce que, où que vous alliez, vous n’arrivez jamais les mains vides.

Dj. D. : C’est une tradition qui est propre aux gens de chez nous. Vous savez qu’on aime bien partager ce que l’on a d’ailleurs, c’est pour ça que les Algériens ne sont pas très riche. Parce qu’ils ouvrent leur maison et donnent ce qu’ils ont et de tout temps. Elle a existé l’hospitalité de chez nous et une hospitalité qui est très connue et je crois la plus grande joie que nous puissions avoir, c’est de partager avec l’étranger et avec l’ami ce que nous avons.

M.T. : Et vous connaissez la définition qu’une vieille femme de chez nous a donnée de vous : Djamila yellis elkhir, Djamila c’est la fille de la prospérité, c’est la fille du Bien, de l’abondance. Tout cela rejoint quand même, en réalité, notre étoile de chance. Vous ne croyez pas ?

Dj. D. : Certainement, puisque je crois, je vous l’ai dit, je crois que dès le départ de ma vie, j’étais sous le signe de la chance. C’est une très grande chance pour moi d’avoir rencontrer une famille maternelle compréhensible.

M.T. : Dont il reste, je crois, un représentant extrêmement attentif.

Dj. D. : Oui. Ma tante, Khalti Mimi qui continue de veiller sur moi avec la même affection que celle qu’avaient mes grands-parents. 

M.T. : Eh bien, Djamila Debèche justement, nous disions que vous aviez un pied en Orient et un pied en Occident. Nous avons dit, tout à l’heure,  que votre apparence été assez déconcertante, encore que moi, à travers cette apparence, je retrouve tellement toutes les caractéristiques de notre terre, de notre pays d’origine. Je ne voudrais tout de même pas vous quitte, sans donner peut-être lecture, à moins que vous le fassiez vous-mêmes, d’un passage de votre Aziza ?

Dj. D. : Volontiers.

(Elle lit) – « Un seul incident vint troubler le charme de cette journée. J’avais revêtue après le bal, la gandoura blanche et le foulard des jeunes épousées. Fatima été avec moi. Il y avait près de nous, une jarre contenant une préparation faite avec une certaines plantes qui adoucissaient la peau du visage et du corps. Je fis un mouvement brusque, pour prendre une serviette et heurté violemment le vase. Il se renversa, mais ne se brisa pas. L’eau d’entente se répondit aussitôt bue par le sable. Fatima lança un cri de frayeur et ce précipita. Elle observa le sol humide, parue chercher quelque chose. Intrigué et vaguement inquiète, je suivais ses gestes. Les épelés dans cette tâche, le signe événements graves. Fatima me montra les dessins que le liquide avait faits sur la terre.

Elle semblait de plus en plus effrayée. Levant alors son visage vers le mien, elle me prit la main et l’examina avec attention. Je m’efforçais de rester calme. Qu’allait-elle m’annoncer ? 

Je vois pour toi, dit-elle, des rires et des chants. Mais cela ne durera pas. Tu voisineras avec la mort. Mais tu ne mourras pas. Les larmes couleront de tes yeux, si  nombreuses qu’elles pourront remplir cette jarre. Tu souffriras encore, pour ceux qui te feront du mal, car ils vont souffrir aussi et ton amour te suivra longtemps.

Quand je voulue me lever, l’allégresse due me soutenir, c’est que je croyais très fort au présage. »

M.T. : Djamila Debèche, qu’allez-vous demander encore à votre étoile de chance ?

Dj. D. : Voyager. Puisque, j’aime les îles merveilleuses. Toujours ce goût de liberté et  d’indépendance.

(Intermède musical Hawaïen en fin de l’interview).

Note :

(1)- Turban en étoffe propre aux hommes des régions du Sahara algérien.

(2)- Habillement traditionnel des hommes des pays du Maghreb.

(3)- Instrument à vent traditionnel et fait à base de peau animale, que nous trouvons essentiellement dans les régions du Sud tunisien et la région désertique algérienne limitrophe à la Tunisie. 

Décryptage par Mohamed-Karim Assouane 

 

2 Commentaires

    • Très juste respectable sœur, nos « mioches » font et feront éternellement partie de notre carte génétique, il de mon devoir de leurs laisser ces traces reluisantes et qui nous font HONNEUR, pour les futurs siècles numériques C’est notre devoir à tous et à toutes. Merci et respectueusement votre.

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