21 novembre 2024
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« États-nations contre minorités » : réflexions sur les minorités

Le titre de ce recueil de huit réflexions sur l’État-nation en rapport avec les minorités dans certains pays de la rive sud de la Méditerranée en indique clairement l’intention principale : entre les deux entités qui s’y trouvent opposées, le choix des auteurs est tout à fait clair, il s’agit de dénoncer l’attitude et le comportement des États-nations qui s’emploient à «minoriser les minorités » si l’on ose dire les choses ainsi.

C’est-à-dire que faute de pouvoir les éliminer (du fait de leur importance numérique et de leur combativité), les pouvoirs centraux et centralisateurs (de création souvent récente voire très récente) s’efforcent de limiter le statut qu’ils sont bien obligés de reconnaître aux minorités, à défaut de les admettre à part entière avec toutes les autres composantes de la nation.

Le livre contient des exemples nombreux et variés de minorités (kurde, copte, juive, chrétiens d’orient, nubienne, berbère…), développés par plusieurs spécialistes dont les analyses ne portent pas seulement sur les pays du Maghreb, mais plus largement sur d’autres pays qui partagent l’espace du Forsem, ou « Forum de solidarité euroméditerranéenne ». Il y est donc question aussi de la Libye, de l’Egypte, de la Syrie, de la Turquie, de l’Irak et de l’Iran. Pour la Lettre de Coup de Soleil, nous retiendrons de toutes ces études un long article qui est l’œuvre du coordinateur du livre, Tahar Khalfoune, spécialiste de droit public algérien ; il ne manque pas de rendre hommage au début du livre à l’historien Gilbert Meynier membre fondateur du Forsem disparu en 2017 et que beaucoup d’adhérents à Coup de Soleil connaissaient bien.

Les articles réunis dans ce livre ont été conçus depuis une dizaine d’années et certains ont fait l’objet d’un séminaire organisé par le Forsem en avril 2014. Reste que la synthèse proposée par Tahar Khalfoune reflète une préoccupation constante, multinationale mais aussi réactivée chez lui au fil des années et des mois par la façon dont l’Algérie en tant qu’Etat-nation gère la question berbère et plus spécialement ses rapports avec la Kabylie (qu’on peine à considérer comme une minorité !).

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Il est évident que tous les faits concernant cette région sont extrêmement présents à l’arrière-plan et même à l’avant-plan des analyses de Tahar Khalfoune, qui s’appuie beaucoup sur l’histoire, remontant à la période coloniale et au XIXème siècle, mais principalement à ce qui s’est passé depuis 1962.

Son objet le plus urgent est de faire apparaître les  attendus et présupposés, d’ailleurs tout à fait explicites, de l’Etat-nation algérien tel qu’il fonctionne tant bien que mal, mais toujours dans le même sens depuis une soixantaine d’années.

Le travail ici entrepris implique en effet de rechercher les origines du mot et de l’idée de nation dans le contexte euroméditerranéen qui est celui du Forsem. On ne peut que résumer très sommairement ce qu’il faut lire au contraire avec beaucoup d’attention pour profiter de tout un travail aux résultats parfois inattendus (par exemple sur les liens entre le nationalisme arabe et un certain nationalisme allemand, appelé national- socialisme à partir des années 1930 du siècle dernier)

On découvre alors que la pensée du XIXème siècle a vécu non pas sur une, mais sur deux idées de ce qu’est une nation (ou de ce qu’elle devrait être) selon sa définition à la française ou à l’allemande. Il faut revenir au titre de la longue étude proposée par Tahar Khalfoune : « D’une approche organique à une conception citoyenne de la nation », pour commenter les deux termes opposés, étant entendu que le choix vivement souhaité est celui qu’indique la seconde formule et qui comporte le mot « citoyen ».

La conception organique veut dire que l’appartenance à une nation ne peut se faire qu’à travers trois conditions indispensables, l’ethnicité (=la race), la langue (unique) et la religion. On voit bien que ces termes visent à l’exclusion des minorités, par exemple celles qui en Algérie sont d’origine berbère et non arabe ; ou encore celles qui parlent d’autres variantes de tamazigh (berbère) et parfois pas du tout l’arabe alors que celui-ci est considéré comme la seule langue officielle jusqu’à la révision constitutionnelle de février 2016 qui a doté tamazight du même statut ; et naturellement pour ce qui est de la religion, en Algérie ce ne peut être que l’islam, ce qui exclut de fait de la nation et de la nationalité Juifs et Chrétiens. Cette position est soutenue par les « Ulémas » qui en ont fait leur cheval de bataille et mot d’ordre exclusif. Ils sont docteurs de la loi musulmane et s’octroient le double rôle de théologiens et de juristes.

L’autre position qu’on pourrait appeler la conception citoyenne (française) et qui remonte au XIXe siècle considère que l’accès à la citoyenneté, au sein d’une nation, ne repose pas sur des déterminismes comme ceux dont on vient de parler précédemment, mais sur des formes d’adhésion personnelles et libres, évidemment consignées par la loi, elle-même cautionnée par l’État – mais ce n’est pas celui-ci qui prend les décisions et les impose de façon unitaire et autoritaire.

Dans les développements actuels de cette deuxième position, on voit apparaître une notion utilisée par Tahar Khalfoune dans sa conclusion qui s’intitule « Pour en finir avec les approches jacobines ». On sait que le jacobinisme est une forte tendance à la centralisation, par laquelle la Révolution française de 1789 a vu un moyen de lutter contre les féodalismes locaux. Mais le moins qu’on puisse dire est que les exigences des gens actuellement minorés par leur Etat-nation ne sont nullement celles des chefs révolutionnaires français en 1789-92. Le jacobinisme est une violence politique qui n’est pas sans lien avec la Terreur. Les minorités actuelles souhaitent en revanche la reconnaissance de la pluralité dans la tolérance réciproque.

Denise Brahimi, spécialiste de la littérature algérienne francophone

«États-nations contre minorités », publication collective du Forsem, Editions En toutes Lettres, Casablanca 2023, 232 pages, coordonnée par Tahar Khalfoune.

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