AccueilA la uneFernando Ramallo : l’amazigh comme langue d’Espagne ?

Fernando Ramallo : l’amazigh comme langue d’Espagne ?

De gauche à droite
Regueira Fernández, Xosé, Institut de la langue galicienne;  Xosé luísMéndez Ferrín;
Costas González, Xosé Henrique, Université de Vigo; Tilmatine, Mohand, université de Cadix; Fernando Ramallo, Université de Vigo; Cots Caimons, Josep Maria, Universitéd Lleida (Catalogne)

Fernando Ramallo s’est fait connaître par ses travaux sur sa langue maternelle, le galicien, s’intéressant à la situation de cette langue dans la société, sa position et les rapports que ses locuteurs entretiennent avec elle dans un contexte de langue périphérique et dominée.

Il travaillera dans ce cadre le concept de neofalantes, les « nouveaux locuteurs » en se référant, à l’instar de la sociolinguistique basque et catalane, à des locuteurs ayant « réappris » leur langue grâce aux programmes de revitalisation linguistique et, bien entendu, à une conscientisation identitaire sur l‘importance de l’usage de sa langue maternelle.

La relation de sa langue maternelle avec le castillan, est perçue comme un rapport subalterne face à une langue hégémonique. Cette vision est ancrée dans les mentalités mais aussi dans les institutions et les usages linguistiques. Les conditions d’un rétablissement des équilibres entre les deux langues constituent de ce fait un de ses nombreux axes de travail.

F.R. s’est aussi intéressé aux langues minorées ou dominées en Amérique latine et dernièrement aussi en Afrique, en aidant à développer une série de matériels pédagogiques pour l’enseignement de diverses langues autochtones au Mozambique.

Mais l’aspect le plus important de son Cv a été sa période comme représentant de l’État espagnol au Comité des Experts de la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires (CELRM) du Conseil de l’Europe.

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La rencontre avec lui dans plusieurs forums sur les langues d’Espagne comme le dernier Forum de Donosti-San Sebastian sur les droits linguistiques des langues minoritaires (https://www.linguapax.org/wp-content/uploads/2015/05/PROTOCOL.pdf)  a permis d’entamer une collaboration efficace qui a abouti sur l’introduction de la langue amazighe, d’abord dans les rapports officiels des Experts du conseil de l’Europe, repris ensuite, par l’État espagnol. Ce pas implique une reconnaissance et la création d’un cadre légal d’action pour les militants de cette cause en Espagne de manière générale mais surtout à Melilla.

Il faut rappeler que 1º et le 2º rapport ((2002 et 2002-2005) ignoraient complètement l’existence de cette langue et ne citent même pas la langue amazighe à Melilla.

Les 3º et 4º rapports (2006-2009 et 2010-2013) abordent, certes, la situation de la langue dans la ville, mais en présentent une image complétement erronée. Le 3eme rapport justifie la non considération de cette langue nord-africaine par trois arguments :

“premièrement, le tamazight ne peut être considéré comme une langue régionale ou minoritaire selon le concept juridique actuel de ces langues dans la Charte européenne […] ; deuxièmement, il ne s’agit pas d’une langue qui […], peut être considérée comme menacée ; troisièmement et enfin, il ne s’agit pas à proprement parler d’une langue ayant une présence traditionnelle ou historique à Melilla.” (p.177, 3º rapport, 2006-2009)

Les droits linguistiques de l’amazigh à Melilla ont été finalement inscrits dans les rapports des Experts sur l’implémentation de la CELRM. Le quatrième rapport (2010-2013) finit par évoquer l’existence de cette langue mais qui serait impossible à reconnaître comme langue officielle ou régionale de l’État espagnol car,

“D’une part, parce qu’il n’existe toujours pas de normalisation écrite universellement acceptée du tamazight (du moins dans la région linguistique qui comprend Melilla), qui est principalement utilisé et transmis oralement ; d’autre part, parce que la grande majorité des locuteurs n’ont pas l’habitude d’écrire dans leur langue maternelle.”., p.185), 4º rapport, 2010-2013)

Il a fallu attendre le cinquième rapport 2014-2016) pour voir l’inclusion de la langue amazighe dans le chapitre 7 des langues nationales espagnoles, non encore officielles même si les résistances à ces changements sont très tenaces. (https://www.researchgate.net/publication/353573333_La_charte_europeenne_des_langues_regionales_et_son_application_en_France_et_en_Espagne_le_berbere_langue_d%27Europe ; et  une version plus courte en espagnol : https://eapc-rld.blog.gencat.cat/2020/04/30/espana-y-sus-bereberes-el-amazige-en-melilla-y-la-carta-europea-de-las-lenguas-regionales-o-minoritarias-mohand-tilmatine/;),

Cette évolution importante vers une reconnaissance de la langue amazighe à Melilla coïncide avec le mandat du professeur Fernando Ramallo comme représentant espagnol au Comité des experts de la CELRM du Conseil de L’Europe (2013-2019). C’est durant ce mandat qu’il apportera une grande contribution à la visibilité de la langue amazighe en Espagne en lui permettant son entrée institutionnelle dans la charte sur les langues européennes comme « langue d’Espagne » et ce, en particulier dans la ville de Melilla, peuplée à moitié de locuteurs rifains. C’est durant sa période que des sessions spécialisées et des rencontres régionales – comme celle du Conseil galicien de la Culture – ont été organisées en incluant des représentants-experts des différentes communautés – dont le cas de la langue amazighe – pour expliquer d’un point de vue académique et non gouvernemental, la situation de cette langue à Melilla et plus généralement en Afrique du Nord, donnant l’occasion de rectifier certains clichés et préjugés sur cette langue et culture. Merci Fernando pour ton engagement pour la visibilisation de l’amazigh comme langue d’Espagne !

Il faut reconnaître que les choses sont en train de changer progressivement. Malgré un climat très difficile en raison de la situation géographique et des tensions politiques qui caractérisent les relations entre le Maroc et l’Espagne sur les deux enclaves de Ceuta et Melilla, considérées comme la frontière occidentale pour le Maroc et orientale par l’Espagne, il ne fait pas de doute qu’il existe actuellement un certain début de conscientisation identitaire et sociale sur l’importance de l’usage de la langue maternelle rifaine.

Ces changements sont aujourd’hui principalement relayés par de jeunes militants (https://www.facebook.com/groups/imaziganmric,) qui ont pu participer à des premières tentatives de formation de formateurs en langue amazighe à Melilla (2010, 2015, 2017) ou ayant profité des cours de revitalisation linguistique qu’organise l’ONG basque Garabide (https://www.garabide.eus/francais), qui inclut depuis quelques années la langue amazighe dans ses programmes de formation limités jusqu’à présent aux langues autochtones d’Amérique du Nord ( https://lematindalgerie.com/basques-rifains-et-kabyles-autour-dun-echange-dexperience-a-tanger/ ; https://sustatu.eus/1608039220).

À charge à présent aux militants et aux locuteurs amazighs mais aussi aux habitants de Melilla, en général, d’assumer ce défi afin de concrétiser sur le terrain cette avancée très significative, du moins du point de vue légal.

Ma présence à Vigo m’a permis également de connaître un personnage hors du commun. Xosé Luís Méndez Ferrín Ferrin Xosé Luís Méndez Ferrín est un homme politique, poète et grand écrivain galicien. Il a été aussi membre, puis président de l’Académie royale galicienne.

En tant qu’homme politique, il sera à l’origine de la création de partis politiques galiciens et s’impliquera dans l’organisation indépendantiste Galicia Ceibe et des partis de gauche radicale, convaincu que l’unique issue pour la Galicie résidait dans la fusion entere le nationalisme galicien et le marxisme-léninisme prenant pour référence les mouvements de libération nationale à Cuba, au Viet-Nam ou … en Algérie.

C’est dans ce contexte qu’il me racontera sa rencontre avec Hocine Aït-Ahmed, « le Kabyle » comme il l’appelait, après les évènements de 1963 pour discuter avec lui de la lutte anti-franquiste qu’il menait dans le cadre de la coalition Galeusca (ou Galeuzca selon les graphies) – acronyme pour une alliance de mouvements de Galicie, Euskadi (pays basque) et de Catalogne qui réclamait depuis les premières années du XXème siècle  la souveraineté politiques pour ces trois nations.

Une lutte qui sera déterminante lors de la transition et après la mort de Franco puisque ces régions finiront par obtenir un statut de large autonomie dans le cadre d’un programme de réorganisation territorial se basant sur un système asymétrique de gestion autonome des régions d’Espagne.

Dans une autre de ses anecdotes, Xosé Ferrin me parle également d’un autre poète nationaliste galicien, Manuel Antonio Pérez Schez (1900 – 1930), également engagé depuis les années 1910 dans le nationalisme galicien et la République.

Cet écrivain-poète, aurait rédigé une lettre à ses amis natonalistes galiciens pour leur demander rejoindre – ou du moins appuyer – la lutte de Abdelkrim el Khettabi contre les forces espagnoles.

Cette lettre, que Mr. Xosé Ferrin m’a promis de rechercher et de me faire parvenir me semble digne d’intérêt dans la mesure où elle nous rappelle l’existence d’une solidarité « naturelle » entre les mouvements qui luttent pour se libérer de l’oppression de pouvoirs dominants et centralisants. Elle nous rappelle que les « nationalismes périphériques » – qui désignait les nationalismes autres que le nationalisme espagnoliste central – notamment le catalan, le basque et le galicien – ont toujours été solidaires entre eux et ont reconnus dès le départ la communatauté de leur destin. Cette solidarité se prolonge tout aussi « naturellement » vers d’autres peuples minorés ou souffrant de dominations de pouvoirs centralisants. Il est clair que la sensibilité de ces peuples avec d’autres peuples en Amérique latine ou en Afrique continue dêtre effective : cela se démontre, pour le cas de l’amazigh, aussi dans le cas de Melilla où ce sont justement les partis dits « nationalistes » basques et catalans qui appuient au parlement espagnol sa reconnaissance à Melilla comme langue d’Espagne. Et, c’est aussi un galicien, Fernando Ramallo qui a contribué à l’inscription de l’amazigh de Melilla comme langue d’Espagne !  La boucle est bouclée.

Fernando Ramallo est sociolinguiste, Galicie (Espagne) 

 

 

2 Commentaires

  1. Heureux que nous sommes à un quart d heure à vol d oiseau de l’Europe; autrement, les gouvernements obscurantistes que nous avons aurait adopté le gazage à large échelle à la Saddam, Assad, et Hitler

  2. Il y a Mellila et Ceuta qui font partie de l’Europe et où l’on parle tamazight. Il ne faut pas oublier les iles Canaries où il y a une forte revendication de la langue et culture amazighes. Les Canaries ont cet avantage de ne pas avoir subi l’islamisation avec son corollaire l’arabisation. Si on ajoute tous les Amzighs (Kabyles, Chaouis, Rifains, etc. ) qui vivent dans les pays européens (France, Pays Bas, Belgique notamment), il est indéniable que les langues amazighes font partie des langues européennes.

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