12.9 C
Alger
mercredi, 5 novembre 2025
AccueilIdéesGaz, armement et Sahara occidental : pourquoi Alger ne peut plus se...

Gaz, armement et Sahara occidental : pourquoi Alger ne peut plus se contenter de Moscou

Date :

Dans la même catégorie

France–Algérie : Alain Ruscio dénonce « le retour du refoulé colonial»

Dans une analyse lucide, l’historien français Alain Ruscio estime...

Maroc–Algérie : la main tendue de Rabat et le silence d’Alger

Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a...

Mme Lila Somé : « Aux jeunes qui doutent, il n’est jamais trop tard pour rebondir »

À l’occasion du Festival Vivacité, grand rendez-vous marseillais dédié...

Contourner les États belliqueux pour faire la paix ?

Un forum, qui vient de se tenir en Europe,...
spot_imgspot_img
- Advertisement -

La relation entre l’Algérie et la Russie n’est pas une alliance de circonstance née d’un épisode récent. C’est une relation lourde d’histoire, construite sur l’assistance militaire soviétique pendant la guerre de libération, la formation des cadres de l’Armée nationale populaire après l’indépendance, et une proximité diplomatique fondée sur la défense de la souveraineté et du refus des tutelles extérieures.

1. Introduction.

Moscou voyait Alger comme une porte d’accès stratégique vers la rive sud de la Méditerranée et vers l’Afrique ; Alger voyait Moscou comme un partenaire capable de contrebalancer les pressions occidentales. Cette lecture est analysée dans les travaux du Gulf Research Center / Middle East Council, qui souligne le poids militaire de Moscou dans l’appareil algérien.

Mais depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022, le paysage géopolitique s’est brutalement modifié. La Russie est désormais engagée dans une guerre longue, sous sanctions économiques et technologiques, absorbée par sa propre survie stratégique. L’Algérie doit donc se poser une question beaucoup plus froide : la Russie est-elle encore un partenaire opérationnellement fiable — en matière d’armement, d’énergie, de soutien diplomatique et d’influence régionale — ou est-elle devenue un partenaire symbolique mais fragilisé ?

Autrement dit : le capital historique reste réel, mais il ne suffit plus. Alger traite désormais Moscou comme un partenaire utile mais plus comme un garant absolu.

2. Profondeur historique de la relation algéro-russe et son sens stratégique

Depuis l’indépendance, la politique étrangère algérienne repose sur un principe cardinal : préserver l’indépendance de décision face aux grandes puissances, refuser l’alignement automatique, conserver la capacité de dire non. Dans cette logique, Moscou (hier soviétique, aujourd’hui russe) a longtemps offert trois choses qu’aucune capitale occidentale n’offrait à ce degré :

  1. des livraisons d’armes lourdes et sophistiquées sans conditionnalité politique intrusive ;
  2. une formation militaire structurante ;
  3. un soutien diplomatique sur la scène internationale qui reconnaît l’Algérie comme puissance régionale et non comme simple « client ».

Le Middle East Council / Gulf Research Center insiste sur ce point : pour Moscou, l’Algérie n’est pas seulement un acheteur ; c’est un point d’ancrage d’influence au Maghreb, en Méditerranée et en Afrique. Pour Alger, Moscou n’est pas seulement un fournisseur ; c’est une carte stratégique permettant de résister à la pression occidentale.

Mais cette architecture s’est fissurée. Après février 2022, la Russie est devenue un État sous sanctions massives, engagé dans un conflit de haute intensité, accusé publiquement à l’ONU de violer l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Le 12 octobre 2022, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution condamnant l’« annexion illégale » de territoires ukrainiens par Moscou, par 143 voix contre 5, avec 35 abstentions. L’Algérie a fait partie des États qui se sont abstenus : elle n’a pas condamné frontalement Moscou, mais elle ne lui a pas accordé non plus un soutien inconditionnel. Cette position est consignée dans le communiqué officiel des Nations unies.

Ce geste algérien est profondément révélateur. Alger dit en substance : nous ne nous alignons pas sur l’Occident contre Moscou, mais nous ne nous laissons pas enfermer dans le camp russe. Autrement dit, la Russie reste une carte importante, mais ce n’est plus la carte maîtresse.

3. Dimension militaire : d’un pilier stratégique à une source potentielle de vulnérabilité

3.1. Héritage d’une dépendance lourde
L’Armée nationale populaire s’est historiquement équipée auprès de l’Union soviétique puis de la Russie : systèmes de défense aérienne longue et moyenne portée, systèmes de défense rapprochée de type Pantsir, sous-marins de classe Kilo, missiles antinavires, chars de bataille principaux, munitions guidées de précision, blocs de guerre électronique. Pendant des décennies, les officiers algériens ont été formés à l’utilisation, à la maintenance et à la doctrine d’emploi de matériels d’origine russe. Autrement dit, ce n’est pas seulement l’équipement qui est russe, mais aussi une partie du savoir-faire opérationnel.

Des estimations reprises par le Middle East Council / Gulf Research Center indiquent qu’environ 73 % des importations d’armement algériennes entre 2018 et 2022 provenaient de Russie. Cela signifie que Moscou n’était pas un fournisseur parmi d’autres : elle structurait l’ossature matérielle du potentiel militaire algérien.

3.2. Après l’Ukraine : rupture d’équilibre
Ce modèle s’effrite. Selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les importations algériennes d’armes russes ont chuté d’environ 81 % si l’on compare la période 2015–2019 à la période 2020–2024. Dans le même temps, la part de la Russie dans les importations d’armement algériennes recule fortement, tandis que montent d’autres fournisseurs, comme la Chine, l’Allemagne ou la Turquie. Autrement dit : Alger s’emploie délibérément à réduire sa dépendance unilatérale à l’égard de Moscou.

En parallèle, les capacités exportatrices russes elles-mêmes se sont dégradées. Le SIPRI constate une chute d’environ deux tiers des exportations d’armes russes en moins d’une décennie. Raison principale : l’industrie de défense russe est réorientée vers les besoins immédiats de l’armée russe en Ukraine. Les munitions, les composants électroniques, les sous-ensembles critiques sont absorbés par l’effort de guerre. Les sanctions occidentales sur les composants sensibles compliquent encore la production. Résultat : les délais de livraison à l’export s’allongent, la maintenance lourde devient plus difficile à garantir, et l’accès à certaines pièces détachées devient aléatoire.

3.3. Conséquence doctrinale pour Alger
Cela crée une vulnérabilité stratégique. Une part importante de la défense aérienne algérienne, de la dissuasion navale en Méditerranée occidentale et de la capacité de frappe de précision dépend de systèmes russes. Si Moscou n’est plus capable d’assurer un soutien technique fiable, une chaîne de pièces détachées régulière et des mises à niveau crédibles en temps de crise régionale, alors la crédibilité opérationnelle algérienne est mécaniquement fragilisée.

Face à cela, l’Algérie ne rompt pas brutalement avec la Russie. Elle fait quelque chose de plus subtil : elle commence à diversifier. Diversifier, ici, ne veut pas seulement dire « acheter ailleurs », mais aussi transférer des compétences de maintenance, de modernisation et d’intégration technologique pour ne pas rester prisonnière d’un fournisseur unique. La Russie reste donc importante. Mais elle n’est plus considérée comme infaillible.

4. L’énergie : du discours commun de « producteurs souverains«  à une concurrence frontale en Europe

4.1. Avant la guerre en Ukraine
Avant 2022, Alger et Moscou pouvaient se présenter, sur le plan rhétorique, comme deux États producteurs d’hydrocarbures jaloux de leur souveraineté énergétique. Chacun défendait l’idée qu’aucune puissance occidentale ne devait dicter ses choix de prix, de volumes exportés ou de partenariats. L’Algérie partageait avec la Russie une certaine méfiance vis-à-vis de l’usage politique occidental de la question énergétique.

4.2. Après 2022 : basculement italien
Avec la guerre en Ukraine, ce paysage a explosé. L’Europe — et tout particulièrement l’Italie — a décidé de réduire rapidement sa dépendance au gaz russe. En avril 2022, le chef du gouvernement italien de l’époque s’est rendu à Alger pour annoncer une hausse d’environ 40 % des importations de gaz algérien, présentée comme un pilier de la stratégie italienne de sortie du gaz russe. Cet engagement a été rapporté par l’agence Reuters.

4.3. L’Algérie prend la place de la Russie
Dès 2023, l’Algérie devient le premier fournisseur de gaz de l’Italie, remplaçant de fait la Russie, qui fournissait auparavant une part massive des besoins italiens. Cela s’est traduit non seulement par une augmentation des flux gaziers algériens via les gazoducs existants, mais aussi par la signature d’accords structurants entre Sonatrach et Eni sur l’approvisionnement à moyen terme et la transition énergétique. Ces accords ont été mis en avant par Reuters.

Ce réalignement énergétique devient le socle d’une approche italienne plus large : faire de l’Italie une plateforme énergétique entre le sud méditerranéen et l’Europe, avec l’Algérie comme pilier. Cette lecture apparaît dans les analyses du Middle East Council / Gulf Research Center et dans des travaux spécialisés sur la coopération gazière et la transition vers des sources plus propres publiés par Ecco Climate.

4.4. De l’énergie à la sécurité commune
Cette dynamique ne se limite pas au gaz. À partir de 2023 et jusqu’en 2025, l’axe Alger–Rome s’étend à la sécurité du bassin méditerranéen, à la lutte contre le terrorisme, à la maîtrise des flux migratoires irréguliers, aux liaisons de télécommunications sous-marines, ainsi qu’à des engagements d’investissements conjoints. Des médias internationaux comme Reuters et Associated Press décrivent désormais la relation bilatérale non plus comme un simple contrat gazier, mais comme un partenariat stratégique complet, mêlant énergie, sécurité, économie et gestion commune des enjeux méditerranéens.

4.5. Ce que cela change vis-à-vis de Moscou
En clair, l’Algérie a pris la place de la Russie dans la sécurité énergétique de l’Italie, et plus largement du sud de l’Europe. Moscou, elle, cherche à empêcher une éjection définitive du marché européen. Des responsables italiens ont d’ailleurs expliqué qu’à long terme, après la guerre, l’Italie ne fermerait pas la porte à l’éventualité d’un retour partiel du gaz russe. Cette nuance, rapportée par Reuters, montre que Moscou n’a pas renoncé à retrouver une influence énergétique.

Mais pour Alger, la situation est désormais limpide :

  • soit elle est le fournisseur stable, politiquement fréquentable, et donc incontournable pour Rome et, par ricochet, pour l’Union européenne du Sud ;
  • soit la Russie réoccupe l’espace.

Cela signifie que Moscou et Alger ne sont plus seulement deux producteurs souverains « côte à côte » : elles sont en concurrence directe pour la même rente géopolitique, c’est-à-dire l’accès privilégié au marché énergétique européen. C’est une transformation majeure de la nature de leur relation.

5. Dimension diplomatique et politique : neutralité affichée, coût réel

L’Algérie a adopté ce qu’elle présente comme une neutralité de souveraineté dans la crise ukrainienne : elle refuse de s’aligner sur une logique de blocs, ne vote pas mécaniquement contre Moscou, mais ne se place pas non plus en protectrice inconditionnelle de Moscou. L’abstention algérienne lors du vote du 12 octobre 2022 à l’Assemblée générale de l’ONU (documentée dans le compte rendu officiel des Nations unies) illustre cette ligne.

Mais cette ligne a un prix, sur trois plans :

5.1. Dans le rapport avec l’Europe
Les partenaires européens, surtout ceux qui dépendent désormais du gaz algérien (Italie, Espagne, en partie la France via le gaz naturel liquéfié), ne veulent pas seulement une source énergétique fiable. Ils veulent aussi un partenaire politique perçu comme convergent avec la lecture européenne de la sécurité, lecture dans laquelle la Russie est considérée comme un facteur d’instabilité. Plus Alger apparaît comme trop liée à Moscou, plus certaines capitales du nord de la Méditerranée seront prudentes avant d’accorder à l’Algérie un rôle politique plein dans la gestion du Sahel, des migrations, ou de la sécurité méditerranéenne.

5.2. Dans le Sahel
Depuis le recul de l’influence militaire française au Mali, au Niger et au Burkina Faso, la Russie tente d’occuper l’espace laissé vacant à travers des accords sécuritaires, des appuis militaires directs ou indirects, et parfois via des acteurs de sécurité non conventionnels. Or, pour Alger, le Sahel (Niger, Mali, sud-libyen, bande sahélo-saharienne) n’est pas un terrain abstrait : c’est le prolongement immédiat de sa profondeur stratégique et de sa sécurité nationale. Quand la Russie avance dans cet espace sans coordination étroite avec Alger, elle ne se comporte pas comme un allié discipliné qui reconnaît la centralité algérienne. Elle se comporte comme une puissance qui déploie sa propre stratégie d’influence, potentiellement concurrente de la vision algérienne de la stabilité régionale.

5.3. Dans le dossier du Sahara occidental
Pour Alger, la question du Sahara occidental n’est pas seulement un dossier diplomatique parmi d’autres. C’est un enjeu de sécurité nationale, d’équilibre régional avec le Maroc, et de légitimité internationale autour du principe d’autodétermination. Dans cette perspective, un « allié fiable » serait celui qui, au Conseil de sécurité, bloque systématiquement toute tentative de présenter l’autonomie sous souveraineté marocaine comme « seule option réaliste » et qui soutient sans ambiguïté la logique du référendum d’autodétermination.

Or, la Russie, tout en critiquant parfois les positions occidentales favorables à Rabat, ne va pas toujours jusqu’à offrir à l’Algérie une protection diplomatique totale et permanente sur ce dossier, contrairement au soutien très affirmé que Washington apporte au Maroc. Ce décalage envoie un message clair à Alger : Moscou ne fournit pas un parapluie politique automatique sur une question vitale.

Conclusion intermédiaire : la Russie parle le langage de la souveraineté et du rejet des ingérences, ce qui correspond à la tradition algérienne. Mais quand il s’agit des dossiers prioritaires pour la sécurité nationale algérienne (Sahara occidental, Sahel, Libye), Moscou agit d’abord selon ses propres intérêts, pas forcément selon ceux d’Alger.

6. La question centrale : la Russie est-elle encore un allié fiable ?

On peut définir un allié fiable selon quatre fonctions concrètes. Observons si Moscou les remplit encore du point de vue algérien :

6.1. Fonction militaire
Un allié fiable doit garantir l’approvisionnement continu en armement, la maintenance lourde, les pièces détachées critiques, l’accès aux munitions de précision, et une forme de transfert de savoir-faire technique, y compris en situation de crise. Or, les analyses du SIPRI ainsi que son étude sur les tendances des transferts d’armes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient SIPRI montrent que la Russie n’est plus en mesure d’assurer ce rôle avec la même régularité qu’auparavant. L’Algérie, constatant cette fragilité, diversifie ses sources. Traduction : la fiabilité militaire russe a baissé.

6.2. Fonction diplomatique
Un allié fiable doit apporter une couverture diplomatique dans les dossiers que l’on considère comme existentiels. Pour l’Algérie, cela inclut le Sahara occidental, le contrôle politique du Sahel et le refus de solutions imposées en Libye. Or, Moscou n’offre pas encore une défense automatique et inconditionnelle des priorités algériennes, même si elle reste utile pour contenir certaines pressions occidentales. Traduction : la fiabilité diplomatique russe est partielle.

6.3. Fonction économique et énergétique
Un allié fiable doit renforcer votre levier économique extérieur, pas l’affaiblir. Or, l’Algérie a investi la place laissée vacante par la Russie dans la sécurité énergétique de l’Italie et du sud de l’Europe. On assiste à la création d’un axe énergétique et sécuritaire Alger–Rome, avec des accords structurants sur le gaz, la transition énergétique, la sécurité frontalière, les infrastructures et les télécommunications sous-marines, comme le détaillent Reuters, Reuters, le Middle East Council / Gulf Research Center, Ecco Climate et Associated Press.

En clair : l’Algérie est désormais, aux yeux de Rome, le fournisseur stratégique qui remplace Moscou. Cela signifie que, sur le marché européen du gaz — qui est aujourd’hui la principale source de pouvoir d’influence extérieure d’Alger — l’Algérie et la Russie ne coopèrent plus, elles se concurrencent. La fiabilité économique-énergétique russe est donc discutable, car Moscou défend ses propres parts de marché, pas la montée en puissance algérienne.

6.4. Fonction d’image et de statut international
Un allié fiable doit améliorer votre statut politique international, pas le miner. L’Algérie cherche à se présenter auprès des capitales européennes comme un acteur de stabilité en Méditerranée, un garant de sécurité dans le Sahel, un partenaire sérieux sur les flux migratoires et un fournisseur d’énergie responsable. Les comptes rendus internationaux de Reuters et Associated Press décrivent précisément ce repositionnement algérien comme un axe stratégique pour l’Italie et pour l’Europe du Sud.

Or si Alger apparaissait trop alignée sur Moscou, cela limiterait sa capacité à convertir sa rente gazière en influence politique à Bruxelles, à Rome, à Madrid ou à Paris. Ce n’est pas dans son intérêt. Donc, même en termes d’image, s’enfermer dans le sillage russe est devenu risqué.

Bilan de ce test : sur les quatre fonctions (militaire, diplomatique, énergétique, réputationnelle), la Russie ne satisfait plus pleinement la définition de l’allié fiable.

7. La réponse algérienne : non pas la rupture, mais le découplage contrôlé

L’Algérie ne cherche pas une rupture brutale avec la Russie. Une rupture frontale coûterait très cher en termes de continuité des équipements militaires, de légitimité historique interne (mémoire de la solidarité soviétique), et d’équilibre diplomatique global. En revanche, Alger mène une stratégie de découplage contrôlé, qui s’articule en trois volets complémentaires :

7.1. Préserver le canal politique avec Moscou

Alger continue de se présenter comme une puissance souveraine qui ne reçoit pas d’ordres d’un camp contre l’autre. L’abstention à l’Assemblée générale des Nations unies du 12 octobre 2022, telle que rapportée par les Nations unies, est un signal : l’Algérie ne se laisse pas enrôler dans une croisade contre Moscou, mais refuse également d’endosser la guerre russe comme si c’était la sienne.

7.2. Réduire la dépendance militaire critique

La diversification des fournisseurs d’armes, confirmée par les données du SIPRI, permet à l’Algérie de ne plus être captive d’une seule base logistique et technologique. Moscou reste un fournisseur majeur, mais elle cesse progressivement d’être l’unique garant. Cela redonne de la marge doctrinale à Alger.

7.3. Consolider un axe stratégique avec l’Italie et, au-delà, avec l’Europe du Sud

La relation algéro-italienne n’est plus seulement gazière. C’est une relation de sécurité, d’infrastructures critiques, de contrôle des flux migratoires, de lutte contre le terrorisme, et d’intégration industrielle méditerranéenne. Reuters, Reuters, le Middle East Council / Gulf Research Center, Ecco Climate et Associated Press décrivent une architecture dans laquelle Alger devient un partenaire de stabilité euro-méditerranéenne, pas seulement un vendeur de gaz.

Ce mouvement est fondamental : il donne à l’Algérie un levier direct à Rome, et par ricochet dans l’espace européen, sans passer par Moscou. Il inscrit l’Algérie dans une logique méditerranéenne et sahélienne où elle assume un rôle d’acteur structurant, pas un rôle d’auxiliaire d’une puissance extérieure.

8. Conclusion générale

On peut résumer l’état actuel de la relation Algérie–Russie en quatre constats lourds :

Sur le plan diplomatique, Moscou parle le langage de la souveraineté et du refus de l’ingérence — un langage que l’Algérie revendique depuis 1962. Mais Moscou ne fournit pas, de façon automatique, un parapluie politique total sur les dossiers que l’Algérie considère comme existentiels : Sahara occidental, architecture sécuritaire au Sahel, gestion de la profondeur libyenne.

Sur le plan énergétique, l’Algérie n’est plus dans une posture de solidarité implicite avec la Russie face à l’Europe. Elle est devenue l’alternative à la Russie dans la sécurité énergétique de l’Italie et du sud de l’Europe. Cela place Alger et Moscou en concurrence directe pour l’accès au marché européen du gaz — qui est aujourd’hui l’outil principal d’influence extérieure de l’Algérie.

Sur le plan de l’image stratégique, l’Algérie veut être perçue par les capitales européennes comme une puissance de stabilité en Méditerranée et au Sahel, dotée d’une crédibilité énergétique, migratoire et sécuritaire. Une proximité trop visible avec Moscou deviendrait un handicap, car elle rendrait plus difficile la conversion de la rente gazière en influence politique concrète au nord de la Méditerranée.

Dès lors, l’Algérie se repositionne. Elle ne rompt pas avec la Russie, car ce serait coûteux et inutilement brutal. Mais elle refuse de rester enfermée dans une relation de dépendance héritée. Elle construit un axe méditerranéen avec l’Italie et, plus largement, avec l’Europe du Sud ; elle affirme que le Sahel n’est pas un terrain d’ingérence extérieure libre mais une zone de sécurité nationale algérienne ; elle rappelle que la question du Sahara occidental reste un dossier de souveraineté stratégique.

Ce repositionnement signifie quelque chose de très clair :

  • La Russie demeure une carte importante dans le jeu extérieur algérien.
  • Mais la Russie n’est plus la carte unique, ni la carte sûre en toutes circonstances.

L’Algérie agit désormais comme une puissance moyenne consciente de sa valeur, dans un environnement stratégique en recomposition rapide, où la guerre en Europe, la compétition énergétique, la crise du Sahel et la redéfinition des rapports euro-méditerranéens obligent chaque acteur à redessiner ses alliances.

Dr Tewfik Hamel

Enseignant-chercheur-formateur

Dans la même catégorie

France–Algérie : Alain Ruscio dénonce « le retour du refoulé colonial»

Dans une analyse lucide, l’historien français Alain Ruscio estime...

Maroc–Algérie : la main tendue de Rabat et le silence d’Alger

Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a...

Mme Lila Somé : « Aux jeunes qui doutent, il n’est jamais trop tard pour rebondir »

À l’occasion du Festival Vivacité, grand rendez-vous marseillais dédié...

Contourner les États belliqueux pour faire la paix ?

Un forum, qui vient de se tenir en Europe,...

Dernières actualités

spot_img

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici