Mercredi 17 avril 2019
Ghediri, Hamrouche : pourquoi diable voulez-vous émousser, canaliser le peuple ?
Il est des gens qui baignent dans le déni de la réalité et pensent pouvoir imposer un schéma juridico-constitutionnel à l’implacable et têtue réalité, celle d’un peuple en mouvement.
Cette ‘’armée’’ de juristes qui court derrière les événements, nous sort chaque jour de son chapeau un nouveau point de vue lequel sera dépassé, caduque le lendemain et ainsi de suite… Quand se rendront-ils à l’évidence que c’est la réalité mouvante et belle même dans ses excès qu’il faut prendre en compte et non la sécheresse et les limites d’un texte constitutionnel écrit par des plumes formatées.
A côté de cette catégorie de juristes, il existe aussi une autre catégorie d’hommes politiques qui n’arrivent pas à se débarrasser de leur formatage idéologique. Et ce formatage les trahit quand ils introduisent dans leurs propositions un mot malheureux, (ignorent-ils ce que ce mot cache ?). Car les idées véhiculées par des mots renseignent sur le corpus politique de leur programme et sur leur vision du monde.
Ainsi ai-je relevé des mots noyés dans de longs textes aux côtés des formules chocs ‘’travaillées’’ par leurs auteurs. Hélas pour eux, ces mots apparemment simples et ‘’neutres’’, une fois décortiqués, introduisent le doute sur la sincérité et la véracité de leurs propos et opinions.
Ces deux mots prononcés par des politiques, l’un ayant occupé le poste de premier ministre (Hamrouche) demande de canaliser le peuple (1). L’autre, militaire de son état (Guediri) et ambitionnant de ravir le poste de chef d’Etat à la ‘’prochaine élection’’ espère émousser (2) le mouvement populaire.
Le pays assiste ainsi un double face à face. Le premier face à face se déroule entre le peuple et le système. La stratégie du peuple est simple mais si efficace se résume en un mot ‘’Dégage’’, Thourouh gaâ. En face le système qui louvoie mais dont les ruses tombent à l’eau une fois exprimées. Mais à côté de ce premier face à face, on trouve le premier cercle déjà cité, celui des ‘’légalistes’’ prisonnier de leur amour appelé constitution, des légalistes donc qui ont pour renfort des hommes politiques réformistes.
Et puis, il y a le clan disons des écorchés vifs qui ont souffert de ce système qu’ils méprisent royalement. Leurs attitudes sont des plus normales au regard des contradictions qui se sont accumulés dans la société depuis belle lurette. Normal aussi car la situation actuelle est de nature révolutionnaire. Situation normale et complexe certes, mais qui ne doit pas faire obstacles à une réflexion approfondie pour mieux cerner le rapport de force et faire évoluer ce dernier au profit de cet espoir tant rêvé, celui de la souveraineté du peuple.
Jusqu’à présent seul le mouvement populaire navigue avec habilité en évitant les pièges et les récifs de la mer secouée par la tempête. Le mouvement s’oppose frontalement au système et tient en respect partis politiques et autres groupes tentés par la récupération de sa lutte. Le mouvement populaire se donne le temps de laisser la dynamique révolutionnaire se déployer dans l’espoir que des représentants issus des entrailles de la dynamique en question surgissent.
Les réformistes de toutes les écoles confondues naviguent dans un couloir aigu pour attirer des sympathies en raison de leur ‘’réalisme’’. Quant aux écorchés vifs, ils ont de prime abord des raisons de se méfier d’un chef de l’armée nommé par un système honni. Sauf qu’en période révolutionnaire, les rapports de force sont mouvants et qu’il est tactiquement nécessaire de s’allier avec des forces pour isoler les plus dangereuses pour la révolution.
La réponse à cette situation complexe et dangereuse nécessite de bien cerner quelques ‘’mystères’’. Comment expliquer la guerre ouverte entre le chef d’état-major et l’ex-chef du DRS ? Comment comprendre l’attitude de ce dernier qui a été mis à la ‘’retraite’’ par le président Bouteflika et se retrouver ensuite à ‘’comploter’’ avec Saïd, le frère du même président.
Les explications ne doivent pas se réduire à des paramètres de la psychologie, la rancune et autre désir de vengeance. Quand ce genre de comportement à haut risque dans une situation explosive surgit, on est en droit de douter des facteurs psychologiques et retenir plutôt le glaive de la balance de la politique et de l’histoire.
Nous avons trop souffert du schématisme et de la manipulation, celui du système qui mettait sur le dos de la main étrangère toute contestation sociale ou politique. Celui de discours politiques qui réduisaient la nature du système en exagérant le facteur régionaliste ou tribale et ignoraient l’odeur de l’argent sale qui unissait des profiteurs qui se sont peu à peu constitués en catégories sociales fermées et complices.
Avec l’exaspération des contradictions dues à la baisse du baril de pétrole, on a vu des chefs de régions militaires goûter à de la prison, des Tlemcéniens ‘’voisins’’ de Bouteflika déboulonner de la tête de la DGSN, de ‘’grands’’ patrons ‘’originaires’’ des quatre coins du pays protéger par le zaïm du clan de Oujda etc… Cette caste, elle se reconnaissait dans l’argent, ce nerf de la guerre de toujours. Et sans honte ni remords, tous ces parvenus ont oublié depuis longtemps d’où ils venaient quand ils ne méprisaient pas carrément leurs racines populaires.
Par sa nature même, une révolution bouleverse les données d’une société et agit sur les comportements des femmes et des hommes. Elle introduit de nouvelles façons de regarder le monde d’où naissent de nouvelles pensées.
Nous le constatons chaque vendredi, le mouvement grandit et s’enrichit. Il faut le laisser s’épanouir et non le canaliser, l’émousser comme en rêvent les tenants d’un simple toilettage du système. On le constate aussi par les initiatives et des passages à l’acte comme le refus de participer à l’élaboration des listes électorales, le refus des magistrats d’imprimer le sceau de la république sur les résultats de l’élection.
Mais la sphère des initiatives audacieuses peut s’élargir en inventant une culture de résistance contre le charlatanisme qui évacue les femmes de l’espace public et de la politique. Inventer de nouveaux rapports entre les gens pour susciter le besoin et le plaisir de participer à une œuvre collective.
Une action collective vient plus facilement à bout de la néfaste et perverse bureaucratie qui tire sa force de l’isolement des citoyens. Et ce sont ces petits ruisseaux ici et là et avec la patience et l’intelligence collective que l’on finira par faire comprendre que le peuple est adulte, qu’il n’a pas besoin de guide pour avancer ni être canalisé sous de fallacieux prétexte. Car il a toujours su reconnaitre et admettre en son sein des gens en qui il a confiance quand bien mêmes leurs origines sociales les prédisposaient pas à être des acteurs d’une révolution. Est-il besoin de citer des noms ?
Ali Akika, cinéaste.
Renvois
(1) Contribution de Hamrouche dans El Watan du 15 avril 2019.
(2) Déclaration de Ghediri au journal en ligne TSA après sa déclaration à l’hypothétique élection du 4 juillet 2019.