3 mai 2024
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Quelle union algérienne ? Celle des ni, ni … ou celle des et, et …?

OPINION

Quelle union algérienne ? Celle des ni, ni … ou celle des et, et …?

Tout le monde convient que c’est l’union et le pacifisme qui font la force du mouvement du peuple algérien dans sa marche pour recouvrer sa souveraineté. Dans cette étape cruciale de protestation visant le cœur du système, l’union est plus que jamais nécessaire et le pacifisme doit primer devant toutes les tentatives destinées à nous entraîner vers la violence.

Conscients de ce devoir d’union et probablement en toute bonne foi, des manifestants répètent souvent cette phrase sur les banderoles, affichettes et dans les prises de paroles : «  restons unis, il n’y a ni Chaoui, ni Kabyle, ni Mozabite, ni Oranais, ni Constantinois,  etc., nous sommes tous des Algériens ».  Ne faut-il pas plutôt dire, en faisant une petite entorse à la grammaire : « nous sommes des Chaouis et des Kabyles et des Mozabites et des Oranais et des Constantinois etc., et nous sommes des Algériens unis pour mener ce mouvement à terme jusqu’à la chute du système ». La différence entre ces deux phrases, n’est que dans ces conjonctions et /ni, et pourtant c’est l’expression de deux visions de l’Algérie, entre celle qui reconduit le mode de pensée du système qui ne conçoit l’union que par la négation et l’autre qui reconnaît et qui rassemble les composantes du pays. C’est le point de basculement entre deux paradigmes, entre l’ancienne Algérie monolithique et clivante et l’espérance d’une nouvelle Algérie généreuse et plurielle.

Bien sûr, on peut comprendre que, nourris par le système à la pensée unique et hégémonique pendant des dizaines d’années, nous ayons quelques résistances à intégrer une valeur démocratique centrale qui est  le pluralisme.

Sujet très sensible en Algérie, le pluralisme est pourtant une donnée fondamentale pour poser les bases d’une nouvelle Algérie non construite sur une idéologie exclusiviste mais une Algérie qui reconnaît comme siens tous ses enfants. On ne peut pas faire l’impasse sur ce débat car il s’agit de questions incontournables desquelles vont dépendre l’union durable entre Algériens et la foi dans la continuité de ce mouvement historique.

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La pluralité de la société algérienne est une évidence, elle a toujours existé de fait et elle est d’ordre ethnique, culturel, linguistique, religieux, etc. Les Algériens ont un héritage commun, celui d’une vaste terre algérienne originellement amazighe faite d’espaces géographiques variés et d’une histoire millénaire qui a fait de nous une société multiculturelle.

Les Algériens ont fondé les bases de la nation actuelle en versant ensemble leur sang pour libérer leur terre du colonialisme français, qu’ils ont combattu avec leurs différences régionales, leurs coutumes, leurs langues et leurs organisations locales. Contrairement au pouvoir, la pensée populaire, par ses dits, contes, poésie et chants a toujours assumé cet état de fait et l’a intégré dans sa vision du pays.

 Qu’est-ce l’algérianité si ce n’est cette diversité qui en fait l’identité, qui lui donne du sens et qui en fait  sa richesse ? On ne fait pas l’union en faisant appel à l’effacement des identités locales, l’union n’étant pas menacée par la diversité si elle est respectée. L’union est menacée par le déni des différences, ce qui génère des sentiments d’exclusion et conduit à la division.

En conséquence, la construction d’une Algérie démocratique telle que revendiquée suppose une forme de démocratie adaptée à notre réalité, comme il en existe de par le monde et où les droits politiques des communautés sont respectés donnant tout son sens à la citoyenneté par laquelle chacun se sent acteur de son destin, égal en droits et en devoirs, l’égalité n’étant pas l’uniformité mais l’accès égal à la liberté d’être et d’avoir les moyens de se réaliser.

La Kabylie, le pays touareg, la vallée du M’zab et d’autres régions vivent une dépossession inacceptable de leur identité, considérée non conforme à la norme voulue et imposée par le pouvoir.  N’ont-ils pas le droit de gérer leurs spécificité et d’éduquer leurs enfants dans leur langue et leur culture, tout en partageant les valeurs communes des Algériens et en veillant à l’interculturalité ?

Proposer au débat un système politique fédéral ou d’autonomies régionales avec possibilité d‘asymétrie n’est ni une coquetterie politique, ni une volonté de s’exclure de la communauté nationale. Bien au contraire, cette solution politique basée sur l’équité démocratique va non seulement permettre de consolider les liens dans ce pays grand comme quatre fois la France et qu’on ne peut pas gouverner exclusivement à partir d’Alger, mais elle pourra aussi apporter des réponses à une question vitale pour ces régions, le risque de disparition par la déculturation.

Aucun patriote algérien ne souhaiterait la disparition de ce qui fait l’Algérie réelle et authentique, et les Algériens qui souhaitent le bien-être et l’égalité entre tous les citoyens doivent le comprendre et envisager des solutions politiques adéquates pour un vivre ensemble harmonieux. C’est une exigence fondamentale pour construire une Algérie démocratique, libérée des carcans idéologiques, modernisée et plurielle. Tout système normatif, « uniciste », sous prétexte d’une politique identique pour tous en accélèrera la déperdition et la destruction avec le  risque d’entraîner de graves conflits qui peuvent mettre en péril l’intégrité même du pays.

Sujet très sensible s’il en est, la pluralité religieuse est également une question fondamentale à mettre en débat. Le consensus entre Algériens sur ce sujet est possible pour peu qu’on s’interdise les ingérences d’idéologies religieuses étrangères souvent violentes et intolérantes. Il en découle des questions d’importance majeure comme l’égalité entre les sexes et le respect des libertés fondamentales, les libertés démocratiques ne se limitant pas au droit à des élections « propres et honnêtes ». 

La diversité de croyances a toujours existé. Même si l’Islam malékite est fortement majoritaire, il y a d’autres rites musulmans dont l’Ibadisme, il y a des chrétiens, des non croyants, etc.

Doit-on souligner qu’un Algérien non musulman n’est pas moins un Algérien à part entière qui aime son pays et qui est prêt à travailler et à se sacrifier pour lui ?

La jeunesse algérienne l’a bien compris en laissant ses notes de revendications sur la stèle murale de Maurice Audin, mort à 25 ans pour l’indépendance du pays, le reconnaissant comme l’un des leurs.

La séparation du religieux et du politique est donc une nécessité pour que l’Etat algérien et rien qu’algérien, à caractère civil, puisse jouer son rôle inclusif et fasse respecter la liberté pour chacun de croire ou de ne pas croire, de pratiquer son culte en toute liberté et d’inscrire dans la loi fondamentale l’interdiction d’attenter à la liberté des autres.

C’est cette pluralité assumée, laquelle fait notre personnalité et notre force, qui démentira les pronostics occidentaux et orientaux qui attribuent à cette révolution une filiation avec les printemps dits « arabes » dans lesquels les peuples n’avaient pas d’autres choix que la dictature militaire ou l’islamisme, donnant ainsi prise aux manipulations géopolitiques. Espérons que les pays d’Afrique du Nord, qui partagent le même fond identitaire que la Tunisie qui fait exception par son cheminement difficile mais réel et progressif vers la démocratie, se rejoindront  dans un avenir meilleur qui leur appartient de construire.  

C’est par ce pluralisme que l’Algérie réussira son émancipation démocratique post indépendance et marquera de nouveau l’histoire contemporaine des peuples après la glorieuse révolution algérienne qui a joué un rôle majeur dans l’histoire de la décolonisation. Nous avons cette responsabilité envers nous-mêmes et envers les peuples dans notre condition qui nous observent attentivement.

Cette pluralité devra aussi être notre viatique pour la transition démocratique et dans tous les processus constituants pour la refondation de l’Algérie. Puisqu’il s’agit d’une deuxième indépendance, celle du peuple après celle de la terre, reproduisons ce qu’ont fait nos aînés pour vaincre une grande puissance militaire. Organisons-nous sans censure et sans anathème autour de ce qui nous est commun tout en assumant nos différences pour que nos représentants puissent porter la parole du peuple souverain.

Alors oui, choisissons donc la conjonction « et » et avançons tous ensemble tels que nous sommes, les femmes et les hommes, avec nos identités régionales, nos langues, nos croyances, notre sourire et notre humour pour « dégager » ce système et construire une nouvelle Algérie qui nous rassemble et qui nous ressemble.

Auteur
Malika Baraka

 




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