23 avril 2024
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Hakim Arezki : «Ne tirez pas sur le peuple, car vous êtes des enfants du peuple»

Survivant du printemps noir de Kabylie

Hakim Arezki : «Ne tirez pas sur le peuple, car vous êtes des enfants du peuple»

Hakim Arezki fait partie des milliers de jeunes touchés dans leur chair durant la sanglante répression du printemps noir de Kabylie en 2001 et 2002. 127 jeunes ont été abattus par les gendarmes et plusieurs centaines s’en sont sortis avec des blessures graves, des handicaps et des traumatismes. Hakim Arezki a perdu la vue pendant ces noirs événements.  Rencontre.

Le Matin d’Algérie : Vendredi dernier, on a pu lire sur El Watan.com votre appel au peuple algérien. On a pu également sentir tout un tas d’émotions à travers cet appel. Mais qui est donc Hakim Arezki ?

Hakim Arezki : En effet, il y a eu une petite contribution à El Watan.com, dans laquelle j’ai passé un appel aux Algériens. Un appel à la prudence, mais aussi pour exprimer mon soutien indéfectible. Qui est Hakim Arezki ? Eh bien, je suis un jeune Algérien né le 20 mars 1983 à Azazga, Tizi Ouzou. Avant d’arriver en France, à 18 ans, je faisais partie de cette jeunesse qui s’est soulevée en Kabylie pour réclamer une Algérie meilleure, où on pourrait vivre décemment avec plus de dignité, de droits et de justice. Nous nous sommes soulevés pour revendiquer notre identité berbère, notre langue amazighe et tout un ensemble, en fait, de revendications nationales. Je faisais, malheureusement, partie de cette jeunesse algérienne qui a été violemment réprimée par le pouvoir en place à l’époque, et qui est toujours en place, 18 ans après. Un pouvoir prêt au pire pour se maintenir en place. A l’époque, nous étions, pour la plupart, des étudiants, des lycéens, des collégiens.

Nous étions pacifiques jusqu’à ce que les gendarmes ont voulu nous disperser avec des bombes lacrymogènes, nous étions désarmés, innocents et on n’avait dans nos mains que de l’espoir, des principes et des revendications pour le moins justes.

Nos armes c’était nos stylos, nos cahiers, nos cartables,… et non des kalachnikovs comme ceux qui étaient en face de nous. Les gendarmes, sur ordre du gouvernement, nous ont tirés dessus à balles réelles, des balles explosives qui sont interdites même pour la chasse. Le bilan a été très lourd : 127 morts et des milliers de blessés, de mutilés et de handicapés à vie. Je suis un rescapé de ce massacre qui ne dit pas son nom.

J’ai reçu deux balles. L’une m’a explosé la cheville droite, alors que l’autre s’est logée dans mon crâne, elle s’est explosé en plusieurs morceaux à l’intérieur de mon crâne sectionnant, du coup, les deux nerfs optiques. J’y ai survécu.

Difficilement, mai j’y ai survécu, ce qui, malheureusement, n’a pas été le cas des 127 martyrs, notamment mon ami d’enfance Youcef Sadat qui, lui, a reçu pas moins de cinq balles dans le torse. La nuit même où j’ai été blessé, soit le 27 avril, j’ai été évacué vers trois hôpitaux différents, à savoir l’hôpital d’Azazga, celui de Tizi Ouzou pour finir à Mustapha Bacha à Alger. Mais partout, l’ordre a été donné de ne pas soigner les blessés. Chose encore plus horrible et plus criminelle que de nous avoir tirés dessus. Et pendant cinq jours, je n’ai eu droit qu’à une perfusion, et une infirmière qui passait de temps en temps pour m’injecter des antidouleurs, sachant que j’avais une balle complètement explosée dans le crâne et une cheville défoncée. Cinq jours après avoir été blessé, j’ai été rapatrié en France par mon père.

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Que s’est-il passé ensuite? Etes-vous parvenu à vous reconstruire ?

Une fois en France, j’ai été pris en charge par nombre d’hôpitaux et de cliniques en région parisienne, et après de nombreuses interventions chirurgicales et autant de séances de rééducation, j’ai commencé à me remettre sur pied. Quant à mes yeux, le verdict était implacable : perte de vue totale et irrémédiable. Et moi qui voulais continuer mes études, faire du sport et réaliser mes rêves, je me suis tout simplement retrouvé dans un monde où je ne voyais rien. Il fallait donc tout réapprendre, et ça a été comme une deuxième naissance pour moi. Réapprendre à marcher, réapprendre à manger, réapprendre à dormir. Réapprendre à vivre, également. J’étais voyant et je suis devenu non-voyant. Je vivais en Algérie dans une société où j’avais quand même mes repères, mon mode de vie, et je me suis retrouvé dans un pays étranger où on me parlait une langue que je ne maîtrisais pas forcément. Et toute ma famille, tous mes amis étaient en Algérie. En France, je n’avais que mon père. Certes, j’ai été bien entouré, mais par des gens que je ne connaissais pas.

Petit à petit, je me suis lancé dans la musique. J’ai donc fait une formation musicale et j’ai découvert, en parallèle, le Cécifoot : le football pour non-voyants et déficients visuels. Après de nombreuses années de travail acharné, je suis arrivé en équipe de France. Je suis, aujourd‘hui, sportif de haut niveau, ambassadeur francilien du sport et j’interviens, à ce titre, auprès du monde scolaire mobilisant lycéens et collégiens au sport et au handicap. Inculquant, également, les valeurs qu’on peut trouver dans le sport, telles la discipline, le respect, le partage, la solidarité, le travail, le dépassement de soi,… Je suis également vice-champion paralympique, donc médaillé d’argent lors des jeux paralympique de Londres en 2012.

J’ai été décoré par l’ancien président François Hollande et fait chevalier de l’ordre du mérite en 2013.

Ainsi, quand je vois où j’étais, par où je suis passé et où je suis arrivé, alors, oui, je pense que j’ai pu me reconstruire, même si on ne se reconstruit jamais à cent pour cent après un tel drame. Croyez-moi, ca a été trop dure, surtout le fait que je me sépare pour la première fois de ma famille. Ajouté à la douleur physique qui, sur une échelle de zéro à 10, je placerai à 15. C’était trop violent, atroce, et pendant les trois premiers mois suivant mes blessures, je croyais vraiment que j’étais mort. Aujourd’hui, je suis quand même arrivé à faire les choses qui me plaisaient, je fais un travail qui me plait, je pratique un sport qui me plait, et je me suis également marié. Désormais, je mène une vie ordinaire, mais extraordinaire, en même temps, quand on est passé par où je suis passé. Mais ce n’est pas pour autant qu’on oublie. Je n’oublierai jamais. Et je ne pardonnerai jamais ne serait-ce que la moindre goutte de sang ou la moindre larme.

Vous savez, depuis plus d’un mois, les Algériennes et les Algériens sortent dans la rue pour manifester leur colère et exiger le départ du régime en place. Ce même régime qui, il y a 18 ans, vous a pris votre vue, mais aussi tout une partie de vous-même. Ainsi, des manifestations exemplaires de par leur pacifisme ont lieu dans les 48 wilayas du pays. Très franchement, vous êtes-vous un jour attendu à une telle prise de conscience et à cette mobilisation massive et pacifique dont le monde entier parle aujourd’hui ?

Pour être franc, non, je ne me suis jamais attendu à pareille chose. A toute cette union. Auparavant, on n’a assisté qu’à des soulèvements « régionaux », soit en Kabylie, soit, parfois, dans l’Est, d’autres fois dans le Sud, notamment avec les évènements dramatiques qu’a connus Ghardaia. Au fond de moi, je savais qu’un jour viendrait où le peuple algérien se soulèvera pour dire stop à cette machine infernale qu’est le pouvoir, mais je ne m’étais pas attendu à cette unité et à cette union. Je suis, donc, agréablement surpris notamment par l’absence de débordements. Cette jeunesse incroyable ; cette jeunesse surprenante, je pense qu’elle est en mesure de changer les choses.

Hakim Arezki

Quel en est votre sentiment ?

Je suis tout simplement fier, et heureux d’entendre les médias étrangers parler en des termes assez élogieux de ce qui se passe en Algérie. Car on n’a jamais vu autant de civisme et de pacifisme. On a été habitué aux scènes de violences et de chaos. C’est juste magnifique, et j’espère que le réveil pour les Algériens a vraiment sonné. Pour une fois, un vrai soulèvement populaire et, surtout, nationale. C’est l’Algérie entière qui se soulève pour dire ; BASTA! L’Algérie des femmes, l’Algérie des hommes, l’Algérie des vieux et des enfants. Tout le monde est conscient. Tout le monde est concerné et le démontre d’une manière pacifique, civilisée et avec beaucoup de détermination.

Ce qui est également formidable, c’est que le peuple à première vue s’est réconcilié avec les forces de l’ordre, avec l’armée. On a vu des manifestants applaudir des policiers et des policiers crier haut et fort les slogans des manifestants. Ce qu’on voit, aujourd’hui dans la rue, c’est, en fait, un peuple réconcilié avec lui-même.   

Ayant été touché dans votre chair et dans votre âme par la violente répression du pouvoir face à des manifestants désarmés et pacifiques, qu’aimeriez-vous dire à vos concitoyens ?

Encore une fois, je ne pardonnerai jamais et je n’oublierai jamais ce qui s’est passé. A mes concitoyens, j’aimerais réitérer mon appel à la méfiance et à la vigilance. Le pouvoir qu’on a en face, je pense que je le connais très bien. C’est un pouvoir prêt à tout pour rester en place. Vu le black-out qu’il maintient alors que le peuple entier est dans la rue depuis un mois, je pense qu’il est en train de chercher un autre subterfuge pour se maintenir et protéger ses intérêts.

A mon peuple, aux miens je dis donc : gardez cette unité et faites en sorte que des jeunes filles, des mamans, des épouses puissent continuer à manifester sans crainte auprès de leurs frères, fils et époux. Je pense que le pouvoir a toujours profité diaboliquement des divisions au sein du peuple. Ce n’est pas parce que je viens de Kabylie, mais il faut reconnaître que la majorité des soulèvements ont eu lieu dans cette région, et ce régime a joué la carte de la division pour l’isoler et faire croire que les Kabyles ne sont pas algériens. Je suis Algérien. Je suis Kabyle mais je suis aussi un Algérien. La rue, aujourd’hui, vient de démontrer au pouvoir qu’il ne dispose plus de cette carte et, j’espère, d’aucune autre carte. J’espère aussi que, se sentant acculé, il ne remplacera pas ces cartes par les armes.

Un dernier mot ?

J’appelle tous les corps de l’armée, ainsi que les forces de l’ordre à tenir le serment de protéger le peuple, le préserver, à protéger cette solidarité et cette fraternité qui vient de se créer entre les enfants du peuple. Quels que soient les ordres reçus, ne tirez pas sur le peuple, car vous êtes des enfants du peuple, et vous êtes là pour le protéger et non pour le tuer, ni pour protéger la mafia au pouvoir. Je rends hommage à cette merveilleuse jeunesse, à mes frères et sœurs qui sont en train de donner une leçon au monde entier. Maintenez le cap : cette fois, je le sens, c’est la bonne. Force, et courage. Et même si je ne suis pas avec vous physiquement, mon cœur et toute mon âme y sont.  

M.S

Auteur
Entretien réalisé par Meriam Sadat

 




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