– Je ne peux rien te dire de plus, Hamid. Ton ami est sous le coup d’une ISTN. Sur sa fiche signalétique, il est écrit : mouchawach (perturbateur). Qu’il se rassure, il n’est pas le seul dans ce cas. Ils sont des dizaines. Peut-être bien des centaines, voire des milliers.
– Et que peut-il faire ? Prendre un avocat ?
– Pour l’instant, ça ne sert à rien. Il faut attendre les résultats de l’enquête le concernant.
– Ça peut prendre combien de temps ?
– Wa Allahou a3lam ! (Seul Allah le sait !) Houa ou zahrou ! (C’est selon sa chance !)
Fin de la communication entre Hamid et son ami de la PAF.
Ibrahim n’est pas plus avancé que la veille, mais sa décision est prise : il s’en ira élire domicile au village natal, dès le lendemain. L’air de la montagne lui fera du bien. Peut-être réussira-t-il à dormir enfin.
Comme à chaque fois qu’il débarque sur la colline de son enfance, Ibrahim est accueilli avec chaleur et bienveillance. La même scène se reproduit tout au long du sentier qui mène à la maison familiale :
– Wa Ibrahim ! tu reviens déjà nous revoir ? Ɛasslama ! (Bienvenue !)
– Oui, vous m’avez tous manqué, bredouille-t-il à chaque rencontre.
– Espérons que cette fois tu vas rester plus longtemps avec nous.
« Tu ne crois pas si bien dire », se dit-il, en retenant ses larmes. Il ne manquerait plus qu’il se ridiculise devant ses amis d’enfance.
C’est avec nostalgie qu’il franchit le seuil de la maison, quasiment en ruines. Avec le trousseau de clefs que lui a remis un voisin mitoyen, il ouvre la porte de la pièce principale pour n’être accueilli que par une odeur de renfermé et des flots incessants de souvenirs et de nostalgie.
Ces souvenirs qui surgissent de sa tendre enfance lui font oublier, le temps d’un éclair, les soucis qui le tiraillent depuis soixante-douze heures. Il fait défiler ses dix années d’insouciance, quand, au coin du feu de cette pièce principale, sa grand-mère maintenait le feu de l’âtre vivace en tapotant les bûches avec un tesson pour raviver la flamme pendant qu’elle racontait sa vie. Une vie pas très gaie. Mariée à 14 ans, elle eut son premier enfant, Ali, moins d’une année plus tard.
Un enfant pétillant de vie qui s’en alla tenter sa chance en France, comme le fera son propre père des années plus tard. À l’âge de 23 ans, Ali revint au village empaqueté dans un corbillard, comme Dda Muhend, vingt années après lui. Mais ce qu’il y avait de sublime chez cette femme, c’était sa capacité de rebondir de la tristesse à la joie.
Une fois quelques larmes versées, elle enclenchait sur des contes peuplés de princes et de princesses promis au bonheur suprême. C’est avec ces contes qu’Ibrahim et son frère s’endormaient paisiblement dans un coin de cette pièce qui a porté tant de drames et de souffrances… (à suivre).
Kacem Madani