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Izza Abane-Dehilès : une femme au service de la liberté

HOMMAGE

Izza Abane-Dehilès : une femme au service de la liberté

Le visage franc, elle fixa dans les yeux, sans fléchir, l’homme qui incarna l’abyssale indigence intellectuelle du pouvoir et lui lança à brûle pourpoint : « Vous êtes le principal instigateur de l’assassinat d’Abane. Et, ajouta sans lui donner le temps de se remettre de son étonnement ; nous possédons la preuve ; une lettre manuscrite de vous qui vous confond et révèle votre complicité ».

Cette audacieuse accusation fut proférée par Izza Bouzekri, devenue madame Abane-Dehiles. Elle pointa du doigt Ahmed Ben Bella en l’incriminant, en outre, de l’assassinat de Abane, d’être le fossoyeur de la révolution. Ce haut geste de bravoure, de l’icône de l’élégance du raffinement de la femme algérienne, restera, au vu de l’histoire, la sentence suprême prononcée contre un membre du clan d’Oujda qui s’imposa par la force militaire.  

Izza Bouzekri est née à La Casbah en 1928. Elle perdit son père à l’âge de trois ans. Elle força le destin en s’accrochant, avec courage et abnégation à poursuivre ses études jusqu’à l’obtention du certificat d’études. Elle fut gâtée par les secrets de la grâce insolite de la nature. Le regard caressant, étoffé par les éclats lumineux qui flattent la sensualité. Une fraîcheur d’une jouvence encore en fleur et les traits fins d’un visage juvénile qui semblait croire à l’éternité du bien-être et les rêves de l’amour sans fin.

De retour en Algérie, après un séjour forcé, à Marseille, pour des aléas de santé, elle décida de retirer son hayek au grand désespoir de sa mère. Elle voulut marquer l’histoire, en hissant vers le haut l’image moderne de la femme algérienne. Dans un pays ravagé par un conservatisme religieux qui imposa, ostensiblement, le Hayek comme porte drapeau de la servilité de la femme. Elle se situa, d’emblée, avant même de connaître Abane Ramdane, dans la lignée de la pensée moderne incarnée par ce dernier.  

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A dix-neuf ans, pendant que les jeunes filles de son âge aspiraient à trouver le parfait amour pour fonder une famille, Izza militait, déjà dans l’association AFMA (Association des femmes musulmanes algériennes) sous l’égide du MTLD. Son éveille politique, encore rare chez les jeunes filles de l’époque, la mit en quête des contacts pour rejoindre le FLN afin servir au mieux la révolution.

En juillet 1955, Izza rencontra un homme qui lui semblait modeste et d’une allure simple. Il avait le verbe facile et le discours porté par la haute pensée. Il était doué d’une intelligence visible qui s’illustrait à travers ses bonnes manières et il usait d’un langage riche et non ordinaire. Il allait à l’essentiel, avec les gestes précis et la préoccupation des hommes pressés. La rencontre, au café restaurant d’Aggoun à la Glacière d’Alger à El-Harrach, fut brève mais abondante en directives instructives. Il était certainement attiré par son profil de dactylographe. Mais, il découvrit un regard qui parlait à l’intelligence des hommes. Ce regard naïf mais résolu, d’une jeune fille pure, sans passé et sans histoire éveilla, en lui, les torpeurs qui excitent la passion et la chaleur des cœurs qui aiment la beauté. La jeune fille ignorait l’impact du pouvoir de la pureté de son charme. Cette pudeur, l’aida à écriture les résolutions du congrès de la Soummam, sous l’emprise d’un enthousiasme de deux cœurs unis par la même passion. Elle devint la Gina, ce surnom cher qui caressait les sentiments intimes et faisait battre, comme une brise douce, le cœur fiévreux de Abane Ramdane. 

Seul le bruit régulier des touches et les mouvements mécaniques, d’une machine à écrire troublaient le calme et le silence des murs d’une chambre exiguë. Izza frappait sur les touches, toute la journée, en mettant en forme, avec des mains de fée, les textes manuscrits empilés sur son petit bureau. Elle mit le cœur et la passion pour formuler les principes de la révolution, imaginés pendant les quatre années de captivité de Abane Ramdane. Youcef Benkhedda était de la partie et contribua, à son niveau, par ses écrits et ses conseils précieux pour étoffer le rapport du congrès de la Soummam. Ben M’hidi et Mohamed Seddik Benyahia, en phase sur tout, avec Abane apportèrent leurs contributions, l’un par les conseils et l’autre par la technique syntaxique du texte. Mohamed Seddik Benyahia, un jeune et brillant avocat, mit la dernière touche en affinant le style, la correction des fautes d’orthographe et la concordance des temps. Izza se trouva emmurée dans un espace réduit en pleine chaleur du mois d’août. Elle était entourée par Abane et la fine fleur de l’intelligence algérienne.  Elle fut la première à avoir lu et relu la totalité des textes fondateurs du rapport du congrès de la Soummam.  

En 1957, la situation était devenue tendue, par la répression de la police coloniale en forçant le blocage de tout l’espace public. Une chasse acharnée, sans précédent, menée contre tous les responsables du FLN. Abane Ramdane quitta, précipitamment, Alger pour Tunis et laissa Izza toute seule avec son enfant. Elle continua, cependant, dans la clandestinité la plus totale, à taper à la machine les premiers numéros du journal El-Moudjahid.

En 1958, Abane enjoignit à sa femme, Izza Bouzekri, de le rejoindre à Tunis. Elle fit le voyage à Tunis, mais il fut trop tard. Les mangeurs d’hommes du CMA (Commandement Militaire algérien), en occurrence Boussouf, Bentobbal et Krim eurent raison de la vie d’Abane Ramdane, en l’assassinant avec traîtrise. Izza resta cinq mois, à attendre à Tunis, avant d’apprendre la nouvelle de l’assassinat de son mari. 

Elle trouva un réconfort auprès de Slimane Dehiles, qui fut le fidèle ami de la famille. Le colonel Slimane Dehiles, le défenseur de la veuve et de l’orphelin devint son deuxième mari en 1959.

Mais la femme qui tapa, avec hargne et acharnement le rapport de la Soummam, avec l’espoir de vivre pleinement les beaux jours de l’indépendance, ne fut pas épargnée par la malédiction d’un triste destin qui l’accompagna durant toute sa vie. Elle perdit le fils unique, issu du lit de Abane Ramdane, par un accident mortel de moto. Elle trouva toujours les bras protecteurs de son mari Slimane Dehiles pour la consoler et de l’entourage de ses enfants en la comblant d’un amour indéfectible.

Izza Bouzekri mourut, en mai 2017 à l’âge canonique de 89 ans. Elle emporta avec elle l’histoire tragique d’une révolution inachevée. Elle partit avec l’amertume d’une justice au service des médiocres. Elle nous laissa, pourtant, le message de courage des humbles, comme la vertu des justes ; en désignant, de son vivant, les fossoyeurs de la révolution. Il suffit, aux générations futures, de suivre son regard pour remettre le pays sur des bases solides comme ils furent imaginées, jadis, par Abane Ramdane.  

Auteur
Abdelaziz Boucherit

 




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