16.9 C
Alger
lundi 23 juin 2025
AccueilCulturesJacqueline Brenot : « Je lui dois la vie, je lui rends...

Jacqueline Brenot : « Je lui dois la vie, je lui rends la mémoire »

Date :

Dans la même catégorie

Le président iranien promet une «riposte» à l’attaque américaine

Les États-Unis ont mené une attaque « très réussie » sur...

Que sait-on de l’attaque américaine contre les installations nucléaires iraniennes ?

Les États-Unis ont bombardé, dimanche 22 juin, trois sites...

John Steinbeck en ses trois entrées (II)

2. Les Raisins de la colère. Dans la fin...

Drame au stade du 5-Juillet : 3 morts et une commission d’enquête !

La bousculade meurtrière enregistrée dans l'enceinte  du stade du...

L’Île aux mots (Marseille) : une librairie entre deux rives

À Marseille, dans le quartier d’Arenc, tout près des...
spot_imgspot_img
- Advertisement -

Dans La dame du Chemin des Crêtes, Jacqueline Brenot retrace avec intensité la trajectoire de sa mère, figure lumineuse et déterminée, entre Algérie, France et Sahara. Entre l’exil, la douleur, l’héritage, l’écriture devient ici chant, résistance et offrande. Ce livre est un hommage vibrant et sans concession, une traversée intime de la mémoire algérienne et féminine.

Le Matin d’Algérie : Votre livre s’ouvre sur cette clameur : “Que la terre s’arrête de tourner, ma mère est morte…” Ce cri inaugural, c’est une révolte, un chant, un adieu ? Quelle nécessité intérieure a dicté cette ouverture ?

Jacqueline Brenot : Cette « clameur » est d’abord une révolte contre l’incompétence humaine doublée de mensonges de médecins et l’économie d’une transfusion exercée à l’encontre d’une dame âgée et confiante. D’ailleurs, quelque temps après sa mort par manque de soins dans cette clinique marseillaise, le scandale des homicides par négligences à l’égard des personnes âgées en milieu hospitalier, a éclaté lors des canicules.

C’est aussi un cri de désespoir et un « refus » face à la violence de la situation ayant entraîné la mort d’une mère, une sorte de mise à mort involontaire qui resterait impunie si ce n’est, dans le cas d’une longue procédure contre le corps médical, un « Rappel à l’Ordre des Médecins ». Mais vous avez raison de proposer une troisième option un « adieu », en deux mots : à-Dieu, je remets la disparition de ma mère dans les mains de Dieu, mais avant je dois accomplir son vœu essentiel, celui d’être enterrée dans le Sahara.

Le Matin d’Algérie : La figure maternelle irradie tout le récit. Qui était cette mère que vous dépeignez ? Une femme libre ? Une survivante ? Une mémoire en mouvement ?

Jacqueline Brenot : Cette mère, au caractère très affirmé, était généreuse de son temps accordé aux siens, à son entourage et à ceux qu’elle croisait, somme toute de sa bonne humeur. C’était un être solaire et très intuitif. Elle avait résisté à beaucoup d’épreuves et savait le prix de la vie. Son éducation très stricte de fille méditerranéenne lui avait instillé le goût de la liberté, mais toujours avec mesure et discernement. Survivante dans les années 40 fascistes à Constantine, puis durant la folie meurtrière des Ultras qui s’exerça à l’encontre de l’engagement de mon père, donc de la famille.

Mon dernier ouvrage « Autant en emporte l’enfance… » le raconte en détails. Votre expression « une mémoire en mouvement » l’évoque parfaitement, puisque cette « dame du Chemin des Crêtes » cultivait les roses et leurs épines de la mémoire familiale et jijellienne dont elle était dépositaire. Ce récit existe car nécessaire après son décès pour conserver les traces de ce trésor mémoriel.

Le Matin d’Algérie : Vous évoquez l’exil de votre mère en terre de France. Comment cet exil a-t-il marqué son corps, son cœur, et la transmission silencieuse qu’elle vous a léguée ?

Jacqueline Brenot : Le sentiment de l’exil est un cancer qui ronge l’esprit quel que soit le traitement curatif. Le départ en 1986 d’Alger motivé surtout pour un rapprochement familial, suivi deux ans plus tard du décès de mon père par erreur médicale, s’était avéré une épreuve supplémentaire. En même temps, sa force vive l’avait guidée à reprendre ses encres et ses pinceaux, et à l’occasion sa cuisine, pour apporter au quotidien un peu des couleurs et senteurs de l’Algérie qui l’habitait.

Le Matin d’Algérie : Alger, Marseille, Tozeur… Trois étapes, trois mondes, trois respirations. Que représentent ces villes pour vous – en tant que fille, écrivain et témoin ?

Jacqueline Brenot : « Alger, Marseille, Tozeur », au niveau du temps, en effet : trois étapes et expériences successives de vie, puis de mort, pour ma mère et pour ses proches. Au niveau de l’espace, le même toujours, ancré, aussi motivant : l’Algérie. La vie apprend que l’on n’habite pas un pays, mais que c’est le pays qui nous habite, surtout si celui-ci demeure le même depuis l’enfance. D’ailleurs le titre eut été trop long, si j’avais respecté les cinq étapes essentielles avec les dénominations anciennes de Djidjelli ou l’enfance, de Constantine ou l’adolescence et l’âge adulte. Mais ces lieux agrémentés d’histoires inédites sont là pour évoquer la richesse que chaque individu porte en soi, sa faculté à tisser les liens avec son territoire intérieur qui sauvent de la tristesse et de l’indifférence.

Le Matin d’Algérie : Le Sahara est sa dernière demeure. Pourquoi ce choix ? Était-ce pour elle un retour aux sources ou une manière de s’ancrer à jamais dans une terre de lumière et de silence ?

Jacqueline Brenot : Le désert, en effet, fut pensé comme ultime demeure sur sa terre natale. Indépendamment de son attraction esthétique et mentale, ce lieu a toujours fasciné l’esprit mystique de ma mère. Pour faciliter le transport et surtout le choix de l’inhumation difficile à obtenir dans les meilleurs délais, ma mère avait imaginé cet espace désertique comme territoire idéal.

Les pérégrinations semées d’embûches qui accompagnèrent la réalisation de ce vœu semblent rocambolesques, mais c’est oublier que ce genre de mésaventures guette celui qui veut accomplir le vœu post-mortem de ses proches. Ce fut un « dernier voyage » hors norme mais compensé par ces lieux de silence, loin du tumulte du monde, et surtout l’accès à une paix intérieure du devoir accompli .

Le Matin d’Algérie : Vous écrivez : “Ma mère portait son pays au cœur et aux nues.” Le lien entre la mère et la terre — l’Algérie — est au centre de votre livre. Est-ce ce double amour qui vous a inspirée, voire poussée à écrire ?

Jacqueline Brenot : Beaucoup d’écrivains ont eu pour première motivation avouée ou non l’hommage à la mère. Celui-ci se doublait de l’amour partagé pour l’Algérie. L’inextricabilité des deux entités m’a conduite à écrire presque d’un seul jet cette histoire, même si l’enjeu de départ me parut vertigineux. Les deux sources d’inspiration ont fini par se mêler comme les fleuves aux mers et océans, c’est-à-dire le plus naturellement possible, avec la douleur et le rire en supplément d’âme. Bien sûr, je me devais d’ancrer les mots d’attachement profond à la terre d’Algérie, devenus plus précieux une fois ma mère disparue, ce fameux devoir de mémoire qui guette chacun. Il fallut dans l’urgence les emperler sur le fil de mes propres certitudes en chapelet de prières.

Le Matin d’Algérie : Votre style est à la fois mordant, incisif et poétique. Pourquoi cette forme ? Est-ce une manière de traduire l’ambivalence des sentiments : douleur, tendresse, colère, nostalgie ?

Jacqueline Brenot : Le style c’est la respiration de chacun. Les sentiments ne sont jamais uniformes et surtout volatils. L’écriture doit saisir la mesure d’événements et de sentiments qui opèrent à l’instant T d’une histoire, d’une phrase. C’est sans doute ce que l’on nomme Poésie, la couleur et le pouls d’un instant. La matière vivante compressée dans l’encre des mots est faite d’écoutes, d’observations, de larmes et de rires libérateurs, de rêves et de toutes les peurs générées par ce monde toujours injuste et cruel. L’existence demeure un grand théâtre oscillant entre rire et larmes.

Le Matin d’Algérie : La musique traverse le récit — darboukas, violons, flûtes… Est-ce un moyen de faire parler ce qui ne peut l’être autrement, de restituer l’invisible ?

Jacqueline Brenot : La musique c’est le fond sonore attaché au cortège des souvenirs d’enfance. Mes parents m’ont communiquée ce goût du chant pour ma mère et des airs d’harmonica pour mon père. Le bas de la Casbah relayait aussi des chants, des mélodies, des psalmodies, des habitants des lieux. Ils m’ont bercée comme la musique des vagues pas très loin de ma première école.

Le Matin d’Algérie : La mémoire est très présente, mais jamais figée. Elle circule dans les gestes, les silences, les paysages. Comment avez-vous travaillé cette matière vivante ?

Jacqueline Brenot : J’ai toujours beaucoup lu depuis ma prime enfance. J’étais et je reste une boulimique de livres, tout genre confondu, d’essais philosophiques et historiques aussi. Enfant, la littérature m’a sauvée des angoisses de la guerre. Sa compagnie m’a libérée du poids de l’autorité parentale, donné aussi le goût du savoir universel et de la réflexion. Cette stimulation continue de la lecture doublée de mon enseignement de la littérature impose une rigueur de l’écriture et une exigence de chercheur au plus de la réalité qui nous échappe.

Le Matin d’Algérie : Diriez-vous que ce récit est une forme de réparation ? Ou plutôt un passage obligé pour continuer à vivre, à transmettre, à vous tenir debout ?

Jacqueline Brenot : Rien ne peut « réparer » l’erreur et la négligence humaines qui conduisent à la mort comme ce fut le cas du décès de ma mère, puis de mon père. Ce récit avait pour but de partager les dons dont je pus bénéficier en ayant une mère aimante, attentionnée et artiste dans l’âme. Son don de conteuse, comme celui de sa mère, ne pouvait disparaître. Il est des trésors qui doivent se transmettre de génération en génération. D’une certaine façon, j’ai poursuivi ce travail de partage avec mes chroniques littéraires algériennes.

Le Matin d’Algérie : En guise d’au revoir – si votre mère vous écoutait aujourd’hui, depuis les dunes de Tozeur, quels mots ou quel silence lui adresseriez-vous ?

Jacqueline Brenot : Je la remercierai de m’avoir donné la vie et l’immense attention et vitalité sa vie durant, son attachement et son culte de l’Algérie. Pour retrouver son sourire et l’éclat bleu de ses yeux, je lui raconterais tout ce que l’écriture de ce livre a engendré depuis son départ, dont les marques nombreuses et indélébiles d’amitié.

Entretien réalisé par Djamal Guettala

Dans la même catégorie

Le président iranien promet une «riposte» à l’attaque américaine

Les États-Unis ont mené une attaque « très réussie » sur...

Que sait-on de l’attaque américaine contre les installations nucléaires iraniennes ?

Les États-Unis ont bombardé, dimanche 22 juin, trois sites...

John Steinbeck en ses trois entrées (II)

2. Les Raisins de la colère. Dans la fin...

Drame au stade du 5-Juillet : 3 morts et une commission d’enquête !

La bousculade meurtrière enregistrée dans l'enceinte  du stade du...

L’Île aux mots (Marseille) : une librairie entre deux rives

À Marseille, dans le quartier d’Arenc, tout près des...

Dernières actualités

spot_img

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici