25 novembre 2024
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« J’ai combattu l’ostracisme de l’Amicale des Algériens en France pour tamazight »

Muhand-Ouramdhane Khacer, ancien membre de l’Académie berbère (I)

« J’ai combattu l’ostracisme de l’Amicale des Algériens en France pour tamazight »

Ouramdhane Khacer est l’un des plus anciens militants de la cause amazighe. Son exil forcé n’a altéré en rien sa volonté de continuer son combat. Un combat entamé au lendemain de l’indépendance algérienne. Figure emblématique au sein de la fameuse Académie berbère, Muhand Oramdhane prône toujours l’unité des peuples amazighs en Afrique du nord et défend, bec et ongles le choix des caractères Tifinagh pour la transcription de la langue de Massinissa.

Le Matin d’Algérie : Pouvez-vous nous rappeler votre parcours au sein de l’Académie berbère ?

Muhand Ouramdhane Khacer : Tout d’abord permettez-moi de me présenter aux lecteurs. Dans mon village, je suis connu sous le nom d’Avdhela Atsamruc. Je suis né le 28 juillet 1948 dans le village d’At Lahcen, Commune d’At Yanni. Dès mon jeune âge, j’ai commencé à défendre notre identité historique amazighe. Identité réprimée depuis près de deux millénaires par les différents envahisseurs venus d’Orient et d’Occident. Ma prise de conscience identitaire remonte à l’indépendance de notre pays. Originaire d’une famille patriotique, très jeune déjà, je suis entré en rébellion contre la colonisation. A huit ans déjà, j’accompagnais ma mère Ghenima At Alandlous (Kedache Ghenima) et ma grand-mère Fatima At Mehdjouva (Kamel Fatima) pour ravitailler nos maquisards. Mon oncle maternel Ali At Alandlous (Kedache Ali) était le premier maquisard du village. C’était un combattant intrépide qui faisait trembler l’armée coloniale, allant jusqu’à ce qu’elle écrive à la peinture noire en grosses lettres sur le fronton de l’abreuvoir d’Asekfel du quartier Taghlitt de mon village : “Kedache Ali est un assassin, Kedache Ali est un criminel, Kedache Ali sera tué”. A l’indépendance, (Plutôt la dépendance) attendant son retour, on nous annonça qu’il est tombé au champ d’honneur à la frontière tunisienne. Mon père Voukhalfa Atsamrouch (Khacer Boukhalfa) de tendance communiste travaillait chez Hutchinson à Puteaux dans la région parisienne et cotisait à la Fédération de France du FLN.

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Mon frère Amokrane était responsable de groupe de cette célèbre fédération de France pendant la colonisation à Roubaix. Cette fédération s’est transformée après l’indépendance en «Amicale des Algériens en Europe» qui n’a d’amicale que le nom. C’est une organisation mafieuse de basse police politique de contrôle de notre émigration, cordon ombilical du néo-FLN, au service de la dictature sanguinaire d’Alger. J’ai combattu culturellement et politiquement cette officine au sein de la Direction du Nord de l’Académie Berbère que j’ai fondée dans le Nord de la France, 17, rue du pays à Roubaix (1971 à 1975). Mes compagnons de la première heure dans le combat identitaire peuvent en témoigner : Chebli Mohamed, Makhlouf Rachid, Ali Fateh, Mohand Ousaid, Oumouchi Lounas…

Mais revenons en arrière si vous le voulez bien. En 1958, ma grand-mère a été dénoncée, arrêtée avec deux partisans elle a été torturée pendant plusieurs jours dans la caserne militaire de Taourirt Mimoun. Elle fut fusillée par l’armée française sur la place du village avec les deux partisans. Depuis cette tragédie, ma mère qui a ramené son corps, commença à perdre la raison. Comme son état s’aggravait, mon père a pris sa préretraite et est rentré précipitamment de France en 1960 pour soigner ma mère.

A l’enterrement de mon père je ne pouvais pas être présent car j’étais réfugié politique. Mais ma maman qui aimait me magnifier dans ses poèmes est morte dans mes bras, trois ans après mon retour d’exil le 22 décembre 1990. C’est avec émotion et une grande fierté qu’en tant que membre d’une famille patriotique qui a côtoyé très jeune les maquisards que je rends hommage aux membres de ma famille et à tous ces artisans de notre libération du joug colonial. C’est dans leur sillage que j’ai repris le flambeau pour combattre l’injustice, le déni identitaire, pour défendre notre culture et la réhabilitation de notre identité historique amazighe, commune à l’ensemble du peuple algérien. C’est avec une très grande émotion que j’évoque cette période qui fut pour moi une période d’inhumanités et de déchirement. J’ai été traumatisé dans mon enfance par les atrocités de la guerre. J’en garde encore des séquelles psychologiques. Jusqu’à maintenant, je fais encore des cauchemars.

C’est en 1963 au collège des Pères Blancs «Saint Louis» d’At Larva que j’ai appris avec fierté par le professeur Dessomme que les Berbères possédaient leur propre système d’écriture appelé tifinagh depuis des temps reculés. A l’écoute du professeur, tout de suite, je traduis tifinagh par “Tifinnnegh”. Rebelle, je m’oppose au professeur Vialleton qui nous apprenait l’arabe classique en lui répétant que cette langue n’est pas la mienne. Souvent, il me punissait en me mettant dans le coin de la classe accroupi sur les genoux sur des petits cailloux. C’était une torture. Depuis, je cherchais à connaître l’histoire de nos ancêtres Les Amazighs à travers les livres. Au collège, je devenais réfractaire à l’arabisation que j’ai qualifié en 1971 “d’arabêtisation”, vecteur de l’idéologie arabo-islamo-baathiste que je qualifie de mortifère.

En 1964 après avoir quitté le collège Saint Louis, à la rentrée scolaire, je me suis retrouvé ré-orienté au collège Verdi, aujourd’hui “Si Larvi Mezani” de Taourirt Mimoun. Dans ce collège, c’est en classe de 5ème que je me suis opposé au professeur d’arabe M. Swan, d’origine palestinienne, coopérant moyen-oriental en mission idéologique pour nous arabiser et falsifier l’histoire de notre pays.

En juillet 1969, après une formation de technicien radio à Ben Aknoun, je fus recruté par la RTA et j’entre à la radio algérienne Chaîne nationale II (chaîne Kabyle) pour exercer mes fonctions de technicien radio. C’est durant cette période que commence pour moi le véritable combat identitaire en luttant contre la politique de discrimination et d’exclusion envers la chaîne kabyle et son personnel. Membre de l’Académie Berbère depuis 1968, avec quelques-uns de mes collègues, je militais pour que cette chaîne radiophonique dépourvue de tout moyen ne meure pas.

Ainsi, il me semble utile d’ouvrir une parenthèse pour parler un peu de cette période. Rebelle dans l’âme, je ne pouvais pas accepter que les schizophrènes au pouvoir de mon pays, l’Algérie, qui ont organisé le 1er festival panafricain d’Alger en 1969, refusent la participation de Marguerite Taos Amrouche, renient et marginalisent notre culture amazighe socle de notre identité historique commune. Lors de ce festival, j’ai été détaché en tant que technicien au Colisée «Le Mouggar» pour m’occuper de l’installation radiophonique. Suite à mes différentes interventions pour dénoncer l’ostracisme, Injustice du pouvoir et son déni identitaire, j’ai été agressé physiquement par les sbires du régime à la cérémonie de clôture où j’ai perdu conscience. Malgré les menaces permanentes et les souffrances endurées, cela ne m’a pas empêché de brouiller (réception inaudible, effet Larsen, coupures) à plusieurs reprises certaines émissions idéologiques, archaïques frappées de stérilité, notamment celles animées par les Zoubir Toualbi et autre Ahmed Cheqare pour endormir notre peuple.

Durant cette période, je n’hésitais pas à faire à plusieurs reprises la même chose aux discours du dictateur Houari Boumediene, lors de leur retransmission par la voie des ondes (réception inaudible, effet Larsen, coupures…). Un soir du mois de ramadan, lors de mon service à l’antenne, pour faire prendre conscience aux auditeurs de la censure qui frappe notre grand chanteur Dda Slimane Azem dans tous les médias dans son propre pays, j’ai décidé de passer une de ses chansons «Tlata Iqjan», les personnes qui étaient avec moi dans la cabine technique dès qu’ils ont entendu les aboiements des trois chiens à l’antenne sont sortis en courant.

J’ai aussi lutté pour que soient sautés les verrous qui entravent cette chaîne. Lors de l’un de mes services, j’ai trouvé une note signée du Ministère de l’information Mohammed Seddik Benyahia ordonnant un jumelage avec la chaîne arabe lors de l’heure de retransmission des matchs de football. C’était la fin des reportages en amazigh de Kabylie. Après quelques minutes de réflexion et afin de faire prendre conscience aux auditeurs j’ai juré de ne pas établir le jumelage avec la chaîne nationale 1 (en arabe) et mis à la place de la retransmission des matchs, de la musique de transition d’Iguerbouchen «Icevhit idurar is» et deux chansons de Djamila «Ay acufer u taxi» et «Idjad Lhad Amiruch». Cette suppression de reportages en amazigh de Kabylie m’a profondément indigné. Cette épisode m’a valu l’agression physique et verbale de deux ads «amazighs de service». Je cite Abdelhamid Benhedouga, responsable de la programmation des chaînes nationales I et II et Rezouk Chef de section Basse Fréquence qui m’ont insulté et traité de contre-révolutionnaire). Je leur ai répliqués que c’étaient des traîtres et des renégats de notre culture. Ce sont deux camarades techniciens Belkacem Boudiaf et Ali Rebrab qui sont venus à mon aide. Je n’oublie pas le soutien militant et fraternel de Brahim Ait Yehia, chauffeur assistant, des journalistes Abdelkader, Belkacem, mon camarade Bouaaza technicien, de Ben Mohamed, Cherif Kheddam, Benhanafi, Nouara, mon ami Medjahed…

En plus de l’activité permanente que je menais à la radio, j’avais des relations avec les animateurs du C.E.B. (Cercle d’Etudes Berbères de Ben Aknoun), Madjid Bali, Hend et Ramdane Sadi… en tant que membre et militant de l’Académie Berbère. Souvent, je rendais visite à Dda Lmouloud au CRAPE (Centre de recherche Anthropologique préhistorique et ethnographique) où je rencontrais entre autre Ali Sayad. C’était là que j’ai rencontré Maître Antonio Cubillo avocat et fondateur du mouvement pour l’Autodétermination et l’Indépendance de l’Archipel canarien basé à Alger.

C’est suite à cette rencontre avec Maître Cubillo que j’ai approfondi mes connaissances sur les liens fraternels amazighiens qui nous unissaient aux habitants des Îles Canaries (Les Guanches). L’amazighité est d’ailleurs revendiquée dans la Plate-Forme du MPAIC. Dans le cadre de mon combat identitaire, je distribuais périodiquement dans les boîtes aux lettres, surtout dans celles des administrations, des tracts avec l’alphabet tifinagh et sur l’histoire de nos ancêtres que je recevais que je de l’Académie Berbère de Paris.

Au mois de novembre 1970, un climat malsain régnait au sein de la maison de radio située au 21 bd des Martyrs. J’avais un pressentiment de mal à l’aise qu’on allait m’arrêter. Suivant les conseils de certains de mes amis, je me suis senti menacé, qui pouvait aller de l’arrestation jusqu’à la liquidation physique. C’est grâce à des militants qui m’ont obtenu le passeport et une autorisation de sortie en 48 heures, que je suis parvenu à quitter le pays le 2 décembre 1970 pour la France parce qu’il fallait continuer le combat identitaire. L’Académie berbère Agraw Imazighen de Paris, de Roubaix, l’OFB, l’UPA diffusaient des messages de vulgarisation de l’histoire, la réhabilitation des grands personnages et autres héros de l’histoire et de la civilisation amazighe. Ces organisations ont eu l’intelligence de réhabiliter et d’utiliser l’alphabet amazigh tifinagh qui avait servi de support à la prise de conscience identitaire. C’est ainsi qu’elles ont su redonner la fierté à tous les Amazighs. Toutes les générations qui ont suivi le Printemps amazigh de 1980 leur doivent leur conscientisation politique et identitaire.

Aujourd’hui, nous pouvons dire que ces organisations ont accompli leur mission avec succès. Face aux dangers, menaces et aux pressions incessantes sur l’immigration algérienne par Dame Amicale des Algériens en Europe, cordon ombilicale du néo-FLN, les militants de ces associations ont accompli avec courage et acharnement le travail d’éveil, de sensibilisation et de réhabilitation de la langue amazighe, de son alphabet tifinagh officiellement utilisé dans les écoles pour l’enseignement de la langue amazighe au Maroc et dans les régions amazighophones de Libye. Grâce à cet engagement militant, aujourd’hui, les Amazighs se sont forgés une mémoire et une identité commune qui s’étend de l’Egypte aux Iles Canaries et du Nord de l’Algérie jusqu’au sud du Niger. (A suivre) 

Auteur
Abdenour Igoudjil

 




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