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vendredi 20 juin 2025
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Julien Colliat : l’escrime du verbe 

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Julien Colliat est un écrivain français, diplômé en Histoire, spécialisé dans l’art de la répartie et l’esprit des grandes figures historiques. Il contribue régulièrement à plusieurs sites et revues spécialisés, où il explore les subtilités du langage, de la rhétorique et de la communication vive et percutante.

Son œuvre s’articule autour de la mise en lumière de la vivacité d’esprit à travers les siècles. Il s’est fait connaître avec Anthologie de la répartie, un recueil devenu une référence, qui rassemble 1000 des meilleures répliques de l’histoire. L’auteur y classe les répliques par personnage, révélant comment de grandes figures historiques ou littéraires ont su user du mot juste pour marquer les esprits. Le succès de ce volume a conduit à la parution d’un Tome 2 en avril 2025, enrichi de plus de 800 nouvelles répliques, parfois issues de personnages moins connus mais tout aussi brillants. Ces recueils proposent une plongée savoureuse dans l’histoire de la répartie, entre piques mordantes, saillies élégantes et dialogues d’anthologie.

En complément de ces anthologies, Julien Colliat a publié L’Art de moucher les fâcheux : Les secrets de la répartie en 37 stratagèmes. Ce guide pratique développe des techniques précises pour répondre avec finesse aux importuns. À travers des stratagèmes comme celui du «miroir », du « prophète », ou encore de « la tache », l’auteur propose une méthode à la fois ludique et efficace pour faire face aux situations verbales délicates avec intelligence et humour.

Les livres de Julien Colliat sont appréciés autant pour leur richesse culturelle que pour leur accessibilité. Ils révèlent que l’art de la répartie n’est pas qu’un don naturel, mais aussi une compétence que l’on peut affiner grâce à la lecture, la connaissance historique et un entraînement à la logique du mot juste.

Son impact réside dans sa capacité à préserver et transmettre une tradition intellectuelle précieuse, où la parole devient arme, jeu, élégance et résistance. Dans un monde saturé de communication, Julien Colliat réaffirme l’importance du vocabulaire, de la culture et de la créativité comme leviers pour mieux penser et mieux dialoguer.

Son apport essentiel tient dans la revalorisation de l’esprit comme outil de liberté, d’humour et de finesse, et dans sa capacité à transmettre cet art avec rigueur sans jamais sacrifier le plaisir du mot. Par son travail, il enrichit la tradition littéraire française et redonne à l’intelligence verbale une place centrale dans les échanges contemporains.

Dans cet entretien, Julien Colliat revient sur son parcours d’écrivain passionné par l’histoire, la rhétorique et l’art de la répartie. À travers ses ouvrages, il redonne ses lettres de noblesse à l’esprit et au mot juste. Il nous parle de ses influences, de sa méthode de travail, de l’importance de la finesse verbale dans notre époque, et nous dévoile quelques pistes sur ses projets à venir.

Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a donné envie de consacrer vos ouvrages à l’art de la répartie ?

Julien Colliat : Je crois que mon intérêt pour la réplique spirituelle a été suscité par le film Ridicule de Patrice Leconte, que j’ai adoré adolescent. Il n’a eu de cesse de se développer ensuite à la lecture des bons mots politiques ou historiques, des traits d’esprit des écrivains et des humoristes, des œuvres de Sacha Guitry, des comédies populaires…

La répartie est la forme d’humour qui m’impressionne le plus. Elle implique un esprit de créativité, d’ingéniosité, de finesse et de réactivité qui doit sans cesse se renouveler, une bonne répartie ne pouvant fonctionner qu’une fois. Malheureusement, les plus belles répliques ont été longtemps mentionnées dans des ouvrages épars et fourre-tout, mêlant aphorismes ou simples anecdotes. Je souhaitais les regrouper dans un même ouvrage.

Le Matin d’Algérie : Selon vous, la répartie est-elle un talent inné ou un art que l’on peut véritablement apprendre ?

Julien Colliat : La répartie nécessite des aptitudes de maîtrise de soi, de psychologie et de sens de la logique. Mais l’esprit c’est avant tout l’humour par les mots. Être sensible aux subtilités et raffinements de la langue, aux jeux de mots, aux ingéniosités rhétoriques ou aux figures de style, sont des qualités prépondérantes.

La repartie est un art, avec ses virtuoses, et repose sur d’innombrables techniques lesquelles peuvent s’expliquer et donc s’enseigner. Pour progresser, le plus efficace est de s’en imprégner via les œuvres des maîtres de la discipline. Écouter ou même participer à des débats peut également constituer une bonne entrée en matière.

Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous sélectionné les répliques figurant dans vos anthologies ? Y a-t-il une réplique qui vous a particulièrement marqué ?

Julien Colliat : J’ai consulté plusieurs centaines de livres spécialisés, certains en langue anglaise, d’autres remontant au XVIIIe siècle, ainsi que des journaux ou des revues, rapportant des anecdotes et bons mots de personnalités ou d’anonymes. Je n’ai retenu que les répliques, c’est-à-dire les réponses drôles ou cinglantes à quelque chose qui a été dit, écrit ou fait. J’en ai sélectionné 1000 pour le tome 1 et presque autant pour le tome 2.

Mon type de répartie préférée est celle qui permet de retourner une attaque contre un agresseur, sur le modèle de l’arroseur arrosé. J’adore par exemple la réponse adressée au grand écrivain irlandais George Bernard Shaw par son épouse. Celui-ci soutenait que le jugement masculin était supérieur au jugement féminin et se vit répondre : « Absolument. La preuve c’est que tu m’as choisi comme épouse et que je t’ai choisi comme mari. » 

Le Matin d’Algérie : Dans L’Art de moucher les fâcheux, vous proposez 37 stratagèmes : avez-vous un favori ou un qui fonctionne particulièrement bien au quotidien ?

Julien Colliat : Le stratagème le plus simple, celui qui offre le plus d’opportunités au quotidien pour répliquer avec esprit, consiste à filer, c’est-à-dire prolonger, une métaphore, une allégorie ou une périphrase, prononcée par un interlocuteur, en visant un point sensible, généralement son manque d’intelligence. 

Quelques exemples. Après une colère, un fâcheux s’excuse en disant que ses mots ont dépassé sa pensée. Lui répondre : « Ils n’ont pas dû aller bien loin. » Un autre se vante d’avoir les idées qui fusent. Compléter : «  Elles finiront comme la navette Chalenger ». Et si un cuistre fait mine de ne pas prendre en considérations vos propos en utilisant l’expression « Ce que vous dites entre par une oreille et ressort par l’autre », répliquer : « Évidemment, il n’ y a rien entre les deux. »

Le Matin d’Algérie : Votre travail mêle humour, histoire et stratégie verbale : pensez-vous que l’esprit peut être une forme de résistance ou de pouvoir ?

Julien Colliat : L’esprit a toujours été l’arme du faible contre le fort. C’est une forme de contre-pouvoir par les mots. Un moyen pour le peuple de railler les tyrans, pour le valet de se venger du maître, pour la femme de rabrouer un mufle. Et les réparties sont forcément plus piquantes lorsque celui qui les prononce est dominé socialement ou symboliquement. Un des plus vieux exemples concerne l’empereur romain Auguste qui lors d’un voyage en Grèce fut présenté à un esclave qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. L’empereur lui lança d’un ton narquois :

– Quelque chose me dit que ta mère a été au service de mon père…

– Non, pas ma mère. Mais mon père a longtemps été au service de votre mère.

Le Matin d’Algérie : Quelle place l’art de la parole et de la finesse a-t-il encore dans notre société saturée de messages rapides et de réactions immédiates ?

Julien Colliat : À première vue, l’esprit connaît un net déclin, du moins en France où il fut pourtant durant plus de trois siècles érigés en fierté nationale. Ce déclin s’explique par l’appauvrissement de la langue, l’effondrement de la logique, le dépérissement de l’imaginaire, la faiblesse rhétorique et surtout le retour à l’exaltation des émotions, au détriment de l’ironie. 

Cependant, les nouvelles technologies, peuvent potentiellement, et paradoxalement, faire renaître un âge d’or de l’esprit. Car avec la révolution numérique, les échanges par texte interposé (sms, mails, réseaux sociaux…) ne cessent de gagner du terrain. Or, l’avantage de devoir répondre par écrit c’est de disposer de plus de temps pour formuler une réponse originale ou spirituelle. Sur les applications de rencontres amoureuses, par exemple, la maîtrise de la répartie est le meilleur moyen de sortir du lot.

Le Matin d’Algérie : Y a-t-il des auteurs ou penseurs qui ont façonné votre vision de la répartie et de l’esprit ?

Julien Colliat : Ceux qui m’ont le plus marqué ne sont pas les théoriciens mais les praticiens. Contrairement à l’idée reçue, les génies de la répartie ne sont pas les hommes politiques, comme Churchill ou de Gaulle, dont les bons mots ont largement été inventés. Il s’agit en premier lieu d’écrivains, de dramaturges, de journalistes ou de chansonniers. Une figure incontournable quoique largement oubliée aujourd’hui est Alexis Piron. Poète et dramaturge du XVIIIe siècle, son esprit de répartie était tel que Voltaire lui-même le fuyait comme la peste. Encore moins connu que Piron, Aurélien Scholl, un journaliste de la fin du XIXe siècle qui nous a laissé une pluie de répliques assassines. Et puis bien sûr il y a les classiques : Georges Feydeau, Sacha Guitry, Tristan Bernard, les dialoguistes Henri Jeanson et Michel Audiard, Frédéric Dard… 

Le Matin d’Algérie : Votre prochain projet est-il dans la continuité de vos précédents livres, ou préparez-vous un changement de registre ?

Julien Colliat : Actuellement, je poursuis mes travaux sur les répliques et les mécanismes stylistiques et rhétoriques sur lesquelles elles reposent. Ma tâche est loin d’être terminée. J’ai aussi une œuvre de fiction en préparation.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Julien Colliat : Je suis très heureux de voir la répartie, qui est la forme par excellence de l’humour à la française, susciter un intérêt au-delà de nos frontières. Cela prouve sa richesse et son universalité.

Entretien réalisé par Brahim Saci

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