28 mars 2024
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Kameleddine Fekhar : chronique d’une mort annoncée

Chronique-naufrage

Kameleddine Fekhar : chronique d’une mort annoncée

Docteur Kameleddine Fekhar, un homme humble, médecin, défenseur des droits de l’Homme connu pour sa défense de la communauté mozabite opprimée. Depuis des années, surtout après les affrontements entre les communautés mozabite et araqui cohabitent à Ghardaïa depuis des siècles (des affrontements pleins de mystères comme dans un polar), son nom était affiché sur la liste noire du pouvoir parmi d’autres militants.

En plus des intimidations et répressions récurrentes, Fekhar a  plusieurs fois été arrêté et emprisonné arbitrairement. Selon ses déclarations et celles de son avocat, il n’y a  jamais eu un dossier judiciaire sur lequel étaient fondées les accusations. Il s’agissait de procès kafkaïens qui avaient des motifs absurdes dont l’atteinte à l’Etat  et l’incitation à la division…Une histoire digne d’un roman absurde.

Sa dernière arrestation date de  mars 2019. L’Algérie était en pleine révolution contre le système corrompu. Fekhar entame une longue grève de faim pour protester contre cette injustice. Sa santé se dégrade dans le silence et l’indifférence. Il meurt ce mardi, le 28 mai 2019,  laissant sa famille et ses enfants orphelins.

Avant lui, en 2016, le journaliste Mohamed Tamalt est mort après sa grève de faim. Tamalt a été emprisonné  pour ses publications sur Facebook jugées comme insulte à Bouteflika et à l’Etat.

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Fekhar est mort. Martyr de la liberté.  Paix à son âme. Pensée et prière pour sa famille, ses proches, et ses petits anges. Allons au-delà de la mort !

Fekhar n’est pas mort à cause de la grève de faim qui a dégradé sa santé. Non. Il est mort à cause de l’injustice du pouvoir arbitraire qui l’a accusé sans procès  en piétinant la loi, la Constitution, et la dignité humaine. Son avocat a tout résumé en parlant de  « mort programmée ». Dans sa dernière interview, Fekhar fustigeait cette « justice de téléphone »,  celle qui emprisonne et libère par téléphone.

Le pouvoir algérien a changé d’armes pour liquider les militants qui le dérangent. Jadis, il tuait directement pour ne pas perdre de temps. Le pouvoir tyrannique appliquait cette équation: tu dis, tu meurs.

Après les années 1990, le pouvoir a changé d’armes. Il ne tue pas directement avec ses propres mains. Il a une nouvelle équation : il pousse le militant au suicide indirect. Il commence par  les intimidations et les répressions, ensuite il l’emprisonne sans procès grâce à la « justice de téléphone », puis il lui colle des accusations absurdes pour justifier son incarcération ; la victime fait la grève de faim et meurt en silence ; enfin le pouvoir parle d’une  mort naturelle due à la maladie. Bref, c’est la fable du berger qui mange les moutons et accuse les loups.

Pourquoi ce crime contre les militants ? Depuis l’Indépendance, la pensée unique règne en Algérie. Celui qui pense différemment du pouvoir corrompu  est donc l’ennemi de l’Etat, un harki moderne qui sert l’Occident pour un coup d’Etat. Le pouvoir peut facilement sacrifier des milliers de vies pour subsister. La  citation de Tahar Djaout assassiné en 1993, illustre ce phénomène : « Si tu parles tu meurs. Si tu te tais tu meurs. Alors dis et meurs ».

Suite à la mort de Fekhar, l’Algérie SEMBLE indignée. Une indignation hypocrite, virtuelle, qui consiste à mettre la photo de Fekhar sur les réseaux sociaux ou y publier des slogans creux.  

Amnesty et la ligue des droits de l’Homme accusent cette mort et demandent l’ouverture d’une enquête. Cela fait rire : demander une enquête à un pouvoir qui ne croit pas à la loi ! Et les deux faisaient quoi avant, lorsqu’on avait le temps pour le sauver ?

Yasmina Khadra publie sur sa page Facebook un texte plein de naïvetés, digne d’une rédaction scolaire. Parler pour ne rien dire. Il écrit : « Je ne connaissais pas ce militant du FFS, j’ignore s’il était bon ou pas, je sais seulement qu’il était Algérien et qu’il militait pour ce qu’il estimait être juste ». Pourquoi se taire avant? Il y a encore des détenus de la pensée en prison, si Khadra veut exhiber sa solidarité  virtuelle et pusillanime.

Les questions à poser : pourquoi pleurnicher en retard ? Pourquoi Fekhar n’a pas eu une solidarité concrète, digne de son combat? A quoi sert l’actuelle révolution si l’injustice continue à  tuer ?

Avant sa mort, il n’y avait que son avocat et quelques citoyens qui luttaient pour sa libération. Les pseudo-militants d’internet se contentaient de pétitions. Un pouvoir despotique ne croit pas aux pétitions : c’est un Bouddha énorme qui n’a pas d’oreilles pour écouter son peuple et qui a les pieds géants avec lesquels il piétine ses opposants.  Il fallait des actions concrètes.

Paradoxalement, de faux  opposants comme Louisa Hanoune (SG du Parti des travailleurs) ont eu un soutien plus ample que lui ! Depuis des années de bavardages, Louisa  défend son parti. Fekhar défendait des objectifs nationaux : la démocratie et la liberté.

Il est inutile donc de scander des poèmes funèbres comme Khansàa, d’allumer des bougies éphémères, de crier des métaphores…Fekhar est victime d’un pouvoir aveugle qui ne croit ni à la loi ni à la dignité parce qu’il est pétri de corruption.  Il est aussi victime de son peuple : par leur silence, tous les Algériens sont responsables de sa mort. À la place de «Nous sommes Fekhar», il faut plutôt dire : «Nous sommes la honte»

L’affaire Fekhar ressemble au récit de Garcia Marquez, « Chronique d’une mort annoncée ». L’histoire de deux frères qui annoncent à tout le monde leur intention de tuer Santiago Nasar. Bien que  le village entier soit au courant, le crime n’a pas été évité. Ainsi, Fekhar a eu malgré lui le rôle de Santiago Nasar. L’absurde est vraisemblable en Algérie.

Désormais, il est inutile de pleurer Fekhar. Il faut défendre les autres qui sont oubliés en prison pour avoir osé dire la vérité et qui risquent d’avoir le même destin que Tamalt ou Fekhar. Maintenant ou jamais !

Espérons qu’il n’y aura pas d’autres chroniques de morts annoncées dans la nouvelle Algérie !

Auteur
Tawfiq Belfadel, écrivain-chroniqueur

 




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