Kylian Mbappé et la légitimité de la parole politique

Le sujet est d’une actualité qui n’est plus tout à fait proche. Mais sa maturation nous permet une réflexion sur un événement qui se renouvellera avec certitude lors des JO du mois prochain.

Kylian Mbappé s’est exprimé lors d’une réunion concernant le football avec les journalistes pour appeler à ne pas voter en faveur des « extrêmes ». Il n’est pas le seul puisque bien d’autres sportifs de haut niveau, dont des footballeurs de l’équipe de France, ont fait de même mais la lumière s’est focalisée sur la star mondiale.

Comme dans tous les cas similaires, car ce n’est pas nouveau, le clivage s’est créé entre deux positions opposées. Ceux qui trouvent qu’il en a le droit comme n’importe quel citoyen puis ceux qui sont réticents à la prise de parole politique d’un sportif ou de toute personne dans le cadre d’une activité qui n’est pas directement liée au champ politique.

Parmi ces derniers, il y a ceux qui le pensent et qui l’expriment à demi-mots, Mbappé n’aurait pas le niveau intellectuel pour s’aventurer sur d’autres « terrains que celui du jeu de baballe ». Évidemment, l’ancien professeur s’interdit cette opinion (mais son métier a également été en partie l’évaluation, elle restera enfouie dans le profond de sa pensée).

Puis, il y a ceux qui estiment qu’il faut une compétence dans le domaine que la parole du sportif aborde, ce qui n’est absolument pas un jugement sur l’intellect. Là également s’oppose l’argument que Mbappé est un citoyen libre dans son expression comme n’importe quel autre citoyen et sur n’importe quel sujet.

Dans son étymologie, la politique est la « gestion de la cité », c’est donc l’un des droits fondamentaux qu’un citoyen puisse avoir une opinion politique et l’exprimer, par le discours et le bulletin de vote.

Bien entendu, ce serait risible, peu crédible et même inconvenant si Kylian Mbappé faisait une conférence sur les méthodes chirurgicales à propos d’un traumatisme survenu dans le nez. Ce serait même une interdiction légale en considération du danger à transmettre des gestes et autres pratiques sans compétence médicale requise.

Nous serions également sous le coup de la loi si la parole s’engage dans la diffamation, les paroles insultantes ou obscènes exprimées en public. Pire encore, un appel à la violence ou à la sédition. Autrement dit, Kylian Mbappé est à première vue dans le cadre général de la liberté d’expression.

Dans l’histoire récente du sport médiatisé, la parole politique avait été bridée pour de multiples raisons. L’une d’entre elles est assez traditionnellement évoquée, soit la philosophie de Pierre de Coubertin, créateur des jeux olympiques modernes. Il avait diffusé l’idée d’un nécessaire amateurisme, c’est-à-dire que la compétition sportive soit en dehors des sources de revenus et de toutes autres considérations.

Tout s’est véritablement déclenché (pour ce qui est d’une position forte) avec l’inoubliable poing ganté et levé sur le podium de deux  sprinters noirs américains lors des jeux olympiques de 1968 à Mexico.  Il en a été également ainsi avec les frasques et prises de paroles politiques du célébrissime Mohamed Ali.

Les premiers pour la lutte pour les droits civiques des noirs américains, de même pour le boxeur mais avec une dimension élargie au tiers-mondisme et à la place de l’Islam aux Etats-Unis.

Rien n’a jamais plus été comme auparavant, l’explosion des médias et réseaux sociaux plus récemment ont participé à la suite pour en arriver à notre cas d’aujourd’hui de Kylian Mbappé.

Pourtant, malgré tout mon développement qui accorde un droit à la libre expression, (comment puis-je avoir une autre attitude ?), je suis fermement critique et opposé avec cette pratique constante de prise de parole politique des sportifs lorsqu’ils sont dans le cadre de leur activité professionnelle.

Quelle est la légitimité d’accorder une dimension médiatique considérable à l’expression politique des personnes médiatisées au regard de celle de n’importe quel citoyen ?  L’équité est totalement bafouée. Bien entendu qu’il ne faut pas se faire des illusions, la parole de Mbappé est bien plus médiatique que celle d’une interview enregistrée d’une dame inconnue sur le pavé d’une rue ou d’un marché.

Mais malgré tout, quelle légitimité supérieure aurait Mbappé pour lui donner une résonance bien inégale dans un cadre strictement sportif ? Même si je suis personnellement en accord avec sa prise de position.

Le fait est encore plus problématique en période électorale. C’est la raison pour laquelle la loi impose que le temps de parole de chaque mouvance politique à travers les interventions des hommes politiques (ou de ceux qui font propagande pour leur compte) soit  strictement comptabilisé par l’Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique (Arcom) et soumis à l’obligation d’égalité.

Il faut dire cependant que les propos de Kylian Mbappé ont été exprimés hors de la période de campagne légale. Cela ne change rien au principe car c’est l’opportunité du moment et de la circonstance qui sont contestables et non la considération légale.

Monsieur Mbappé, si vous voulez transmettre une opinion politique ne le faites pas en profitant d’une réunion sportive, avec une audience médiatique qui n’est prévue que pour le football.

« Mouillez le maillot » en le faisant à l’extérieur de ce cadre et mettez votre notoriété au service d’une cause uniquement au service de l’expression politique. Manifestez, adhérez à un parti politique ou présentez-vous aux suffrages du peuple puisque, contrairement aux autres citoyens, vous avez les medias du monde braqués sur vous.

Par ailleurs, il faut avoir peu de jugement personnel pour adhérer à une opinion politique par l’appel d’un sportif. Je sais que dans le pays des Mc Donalds, des millions de fans de la jeune Taylor Swift attendent sa déclaration pour orienter leur vote comme elle l’avait fait en faveur de Joe Biden lors de la précédente élection. Mais c’est une autre culture car il est de tradition dans ce pays de le faire par de nombreuses stars et hommes d’affaires.

Là, nous sommes au degré zéro du combat des idées politiques.

Boumediene Sid Lakhdar