C’est tout de même étonnant que ce pays ait tant de langues pour des bouches qui ne peuvent exprimer un seul mot en opinion. Lisons ce que dit ce chef-d’œuvre pour opéra-comique qu’on appelle la constitution algérienne à propos des langues.
Passons la dissertation philosophique du Préambule sur les valeurs de la nation, la guerre de libération et ses chouhadas et toutes ces choses aussi burlesques qu’ennuyeuses lorsqu’elles sont rédigées par des constitutionnalistes aux ordres de gens qui n’en comprennent pas la moindre utilité pour les appliquer.
C’est au chapitre 1, portant le titre « De l’Algérie » que sont incluses les dispositions sur les langues. L’article 3 précise que la langue arabe est « nationale et officielle ».
L’article 4 nous dit que « tamazight est également langue nationale et officielle». L’adverbe « également » nous signifie la nécessité de le rappeler car la disposition a été rajoutée après des tensions politiques et ne semblait pas se concevoir naturellement.
Mais mieux encore, la dernière phrase de l’article 4 précise que « Les modalités d’application de cet article sont fixées par une loi organique ». En clair, pas la peine de préciser les modalités d’application pour l’arabe classique, elles s’imposent d’elles-mêmes.
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Par contre pour tamazight, la langue est nationale et officielle mais conditionnée à un périmètre d’application par une loi qui ne donne absolument pas la même solennité que la loi fondamentale.
Personnellement je ne sais pas ce qu’est en droit une langue nationale et une langue officielle par la simple lecture de la constitution algérienne.
L’Algérie a-t-elle signé une convention internationale qui définit les deux notions ? Assurément non puisque même l’ONU ne parle de langues officielles que pour l’utilisation interne des langues dans l’institution. Quant au débat entre les théories et les doctrines, ils nous entraînent vers un flou encore plus fort.
La Constitution algérienne en bon esprit : le contrôleur contrôlé
Alors, la seule façon de s’en sortir pour comprendre ce que veut entendre la constitution algérienne est de rechercher des références dans de nombreuses constitutions dans le monde afin d’en extraire une définition à peu près commune.
Pour ce qui est de la langue nationale, il apparaît que c’est une langue existante sur le territoire et que l’Etat souhaite encourager et financer dans son apprentissage, son utilisation et sa participation à la culture. Mais il n’est pas contraint légalement de le faire.
Et c’est exactement ce que précise l’article 3 sur la langue arabe, « Le Haut Conseil est chargé notamment d’œuvrer à l’épanouissement de la langue arabe et à la généralisation de son utilisation dans les domaines scientifiques et technologiques, ainsi qu’à l’encouragement de la traduction vers l’arabe à cette fin ».
L’arabe classique est donc bien une langue nationale alors que l’article 4 sur le tamazigh affirme qu’elle est nationale mais n’a pas jugé utile de donner des précisions sur les actions de l’Etat à son égard. C’est une médaille en chocolat car sans réalité statutaire.
Quant à la qualification d’officielle, c’est encore plus marquant. Pour l’arabe classique l’article 3 nous dit qu’elle « demeure la langue de l’Etat ». Et c’est bien dans la définition d’une langue officielle.
Pas la peine d’être docteur en langue française, cette phrase signifie qu’elle est « la seule langue officielle ». Le mot est une seconde médaille d’honneur en chocolat. Le tamazight collectionne les honneurs sémantiques mais sans la réalité du statut.
Pour ma part la constitutionnalisation da tamazight est très loin de résoudre le problème et j’irai jusqu’à dire qu’elle en crée davantage. Car il faut se rendre à l’évidence que l’officialisation d’une langue sans définir le périmètre de ses droits est un mot abstrait et inutile qui peut rajouter une frustration à la hauteur de l’espérance née de l’introduction dans le texte constitutionnel.
Dans tous les pays démocratiques multilingues il a fallu aller plus loin dans les précisions juridiques. Le multilinguisme « officialisé » suppose une existence de territoires dans lesquels une langue est prioritaire dans chacun d’eux dans la communication administrative et dans toutes les autres manifestations de la vie sociale.
Quand le tamazight fut une victime collatérale de la religion
En Belgique, les deux langues que sont le flamand et le français sont le fait de deux régions bien distinctes avec une zone bilingue à Bruxelles et quelques territoires dont la mixité est régie d’une manière assez complexe. Le Flamand et le Français sont donc les deux langues officielles du pays.
La délimitation territoriale permet à une administration de communiquer avec sa langue attribuée sur un territoire mais en même temps répondre avec la langue de l’autre communauté linguistique lorsque le citoyen communique avec elle dans cette autre langue. C’est à peu près identique au Canada avec les territoires anglophones et ceux de la francophonie.
Et ainsi de suite pour d’autres exemples. Voilà pourquoi j’avais été partisan d’une régionalisation de l’Algérie et assez réservé pour l’inscription d’une quelconque langue dans la constitution. L’exemple français est absolument différent et l’inscription a été très tardive, en 1992, pour des raisons qui nous éloigneraient de notre sujet sur la constitution algérienne.
Une officialisation des langues dans un pays multilingue suppose dans les régions concernées un ancrage par l’existence d’un environnement linguistique total, sur les inscriptions et affichages, dans les relations administratives, dans les programmes scolaires et ainsi de suite.
Mais alors quel lien linguistique national dans une pluralité des langues ? L’Algérie possédait un lien national qui permettait aux différentes langues de coexister dans leur plénitude, elle les a détruites comme a massacré toute vie sociale sereine le régime militaire et les furieux nationalistes de façade. La coexistence n’était pas facile mais c’est pourtant la définition de la communauté humaine.
Nous avions le français et l’arabe dialectal comme lien national. Quelle que soit la langue maternelle des uns et des autres nous communiquions tout à fait naturellement avec ces deux langues lorsque nous passions à la relation au niveau national. Tout est à refaire.
Et puis, en ce mois de ramadan, la seule langue nationale que connaît le pays dans son entièreté, c’est le prix de la zlebia.
Sid Lakhdar Boumediene