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La déchéance de la nationalité et le lien national

DECRYPTAGE

La déchéance de la nationalité et le lien national

Décidément tous les moyens légaux et illégaux sont mobilisés y compris la torture et la menace de la déchéance de la nationalité pour empêcher en vain la reprise du hirak.

En effet, le garde des Sceaux a présenté le mercredi dernier au Conseil du gouvernement un avant-projet de loi qui prévoit la procédure de déchéance de sa nationalité acquise ou d’origine tout citoyen algérien résidant à l’étranger qui porte de graves préjudices aux intérêts de l’État ou à l’unité nationale, active, finance ou adhère à une organisation terroriste ou en fait l’apologie, ainsi que tout algérien qui collabore avec un État ennemi.

Priver une catégorie d’Algériens non seulement de sa nationalité d’acquisition, mais aussi de sa nationalité jus sanguinis ou d’origine, ce texte, s’il venait à être adopté, viendrait étoffer l’arsenal des lois liberticides et établirait la privation arbitraire de leur nationalité de certains Algériens de la diaspora, comptant environ 6 millions d’Algériens, à des fins dissuasives et discriminatoires.

La déchéance de la nationalité est régie par les articles 22 à 24 du code la nationalité de 1970, modifié en 2005, dans les cas de condamnation pour un crime ou délit portant atteinte aux intérêts fondamentaux du pays ; un crime commis en Algérie ou à l’étranger passible de 5 ans de prison ; les actes commis au profit d’une partie étrangère préjudiciables aux intérêts de l’État. Il n’existe donc aucune raison valable de légiférer de nouveau sur la déchéance de la nationalité.

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En mobilisant des notions juridiques aussi vagues que dangereuses pouvant donner lieu à des interprétations abusives comme « l’atteinte à l’unité nationale, aux intérêts de l’État… », passible jusqu’à 10 ans de prison lorsque ces « actes » sont commis à l’intérieur du pays et la déchéance de la nationalité quand ils sont perpétrés à l’étranger, l’on assiste à une dérive extrêmement grave portant atteinte à un droit naturel de l’homme, le droit à la nationalité garanti tant par la constitution et le code la nationalité que par la déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948 (art. 15) que l’Algérie a ratifiée depuis la constitution de 1963 et d’autres accords internationaux auxquels l’Algérie a souscrit.

Cet avant-projet est d’abord contraire au principe de séparation des pouvoirs étant donné que la nationalité est l’une des matières qui relève du domaine de la loi (art. 139. 4 de la constitution), c’est-à-dire des représentants du peuple et non du gouvernement alors que l’Assemblée est dissoute, le texte sera donc édicté par ordonnance présidentielle.

La possibilité de déchoir de leur nationalité des Algériens établis à l’étranger est d’autant plus dangereuse qu’elle est, d’un côté, à contre-courant de la tendance internationale à mettre fin à l’apatridie puisque le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) et d’autres agences des Nations Unies œuvrent à éliminer l’apatridie à échéance de 2024, et de l’autre elle porte gravement atteinte à la cohésion de la société algérienne.

Le régime, né des divisions de l’Armée de Libération Nationale (ALN) provoquées par l’état-major de l’armée de l’extérieur stationné à Ghardimaou (Tunisie) et à Oujda (Maroc) conjuguées à la fragilité de la société sortie exsangue et usée d’une guerre sanglante de près de huit ans, n’a pas cessé depuis d’œuvrer à la fragilisation du lien national par toutes sortes de manœuvres de division, de diabolisation et de stigmatisation des personnalités et communautés nationales en édifiant entre elles des murs là où il fallait construire des ponts.

L’histoire retiendra que le général Gaïd Salah a libéré la parole raciste.

Le régime désintègre plus qu’il n’intègre ; depuis 1962 tout est fait pour pousser nombre de personnalités politiques et historiques (Boudiaf, Khider, Aït Ahmed, Harbi, Hadjeres, Ben Bella…), mais aussi des artistes, chanteurs, intellectuels, universitaires… à l’exil.

Des milliers d’Algériens ont dû fuir leur pays au cours de la décennie 1990, des dizaines de milliers d’étudiants tentent de s’inscrire dans les universités étrangères pour fuir leur pays et des milliers d’harragas tentent chaque année la traversée de la Méditerranée sur des embarcations de fortune au péril de leur vie… Les Marocains n’ont pas été épargnés par l’exclusion ; des dizaines de milliers de Marocains établis dans l’Oranie depuis plusieurs générations ont été chassés d’Algérie en 1975.

La nation algérienne n’a rien d’un donné ; elle est un construit tout à la fois de son histoire plusieurs fois millénaire, ses brassages, sa résistance au cours de la longue nuit coloniale, sa rencontre conflictuelle avec la colonisation, sa révolution de 1954-1962 qui a cimenté l’unité nationale, et de ses nombreuses luttes démocratiques et sociales postindépendances…

Cette construction au long cours est aujourd’hui consolidée par le hirak qui a réussi, et c’est heureux, à fédérer les Algériens dans leur grande diversité en revivifiant de façon remarquable le lien national ; depuis son déclenchement tout converge et tout concourt dans ses actions, banderoles, pancartes, mots d’ordre… pour faire nation.

La longévité de ce soulèvement citoyen inédit a permis, grâce au foisonnement d’échanges, de débats qu’il charrie, et surtout à l’élan extraordinaire de solidarité avec les personnes arrêtées ou condamnées, à la société tout à la fois de dépasser les suspicions réciproques, de dissiper nombre de malentendus, de déjouer les manœuvres de division, de retisser et de resserrer ses liens

T.  Khalfoune

Auteur
Tahar Khalfoune, juriste

 




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