23 novembre 2024
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La désertification politique en Algérie  

DECRYPTAGE

La désertification politique en Algérie  

Sous le règne de Bouteflika, la politique se résume à l’alliance présidentielle et sa périphérie.

Parmi les actions dévastatrices à mettre à l’actif d’Abdelaziz Bouteflika, durant son règne de vingt ans, c’est certainement la « désertification politique » de notre pays, qui à mon sens, a été la plus destructrice.

En effet, compte tenu que son accession au pouvoir n’a pas été l’œuvre d’un vote populaire démocratique (1), en bonne et due forme mais le résultat d’un compromis entre les chefs de l’institution militaire (corps de bataille et services de sécurité) du moment, il se sentait en droit de ne négocier qu’avec cette dernière, la « place » qu’il entendait occuper dans cette prise de pouvoir (pour éviter le terme coup d’état, puisqu’il n’y avait pas d’état), en 1999.

C’est d’ailleurs logique (2), de son point de vue, puisqu’il a été intronisé par l’institution militaire (3) et il n’entendait négocier qu’avec elle (ou la combattre) à chaque fois que des espaces s’offraient à lui, pour consolider et élargir son pouvoir personnel, afin de ne pas être un « trois-quarts Président », comme il se plaisait à l’affirmer.

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A ce jeu de dupes et d’ombres chinoises, force est de constater, qu’il a été plus rusé que les chefs militaires du moment, jouant sur leurs antagonismes et leurs ambitions personnels, en utilisant habilement, tour à tour, le corps de bataille contre les services de sécurité et vice et versa, pour éliminer, à doses homéopathiques, tous ceux qui tentaient de lui contester son pouvoir absolu et la destinée du pays, y compris pour ce qui concerne l’institution militaire elle-même (4). Je ne reviendrais pas sur toutes les péripéties de cette période, puisque que longuement décrites, durant plusieurs années, par mes contributions, dans les différents organes de presse (5) qui ont accepté, généreusement, de me prêter leurs espaces rédactionnels.

Pour ce qui concerne les affaires civiles (pour ne pas dire indigènes), son subterfuge est un classique du genre, à savoir l’achat de la paix civile, surtout « après une décennie noire » sanglante et ruineuse, parallèlement à une « désertification » de l’activité politique partisane, qu’il a toujours considéré comme un instrument secondaire de la consolidation de son pouvoir personnel.

Pour le premier volet, les ressources extérieures de notre pays s’améliorant, sans que nous y soyons pour quelque chose (augmentation des prix de l’énergie), il va mener une politique de redistribution, sous la forme de multiples subventions, des ressources rares que l’on aurait pu investir utilement dans la réalisation de projets structurants pour notre économie. Cet immense gaspillage de ressources va également permettre aux oligarques, détenteurs du monopole sur les investissements publics, d’accumuler des fortunes colossales, en lui renvoyant l’ascenseur, en partie, lors des élections présidentielles, législatives et communales.

En même temps, une « démocratisation de la corruption » va s’opérer au sein de la société (l’exemple venant d’en haut), ce qui va lui permettre, également, de faire taire la contestation interne et externe, lorsqu’elle existe et lui assurer un soutien messianique de la population, pour partie orchestré par les zaouïates richement récompensées.

Pour ce qui concerne l’activité partisane (partis, associations, syndicats, organisations…), elle ne pouvait se réaliser qu’avec lui à la tête (physiquement puis dans un cadre à son effigie), de manière directe (il est Président d’honneur du FLN) ou indirecte (soutien indéfectible à Fakhamatouhou), sous peine de voir les subventions directes et indirectes se tarir, immédiatement ou, punition suprême, voir l’organisation d’un « redressement interne » du parti, afin de l’atomiser ou de le neutraliser définitivement.

Quant à ceux des organismes qui lui échappent complètement ou jouissant d’une certaine autonomie (pour des raisons historiques ou de représentativité), ils n’auront pas d’agrément ou subirons les pires tracasseries administratives et financières pour pouvoir activer.

Cette politique, de la terre brûlée (6), va tuer dans l’œuf toute possibilité de promotion d’une élite politique réelle et des contrepouvoirs, construite sur la base d’un combat d’idées et de convictions sincères, pour laisser émerger une armée de « cachiristes » (7), formatée dans les partis au pouvoir, après leur apprentissage des deux cent mots politiques, en arabe et en français, pour seul bagage politique.

Aujourd’hui et demain surtout, nous paierons les conséquences de ce crime contre notre pays, commis par vingt ans de pouvoir mégalomane et narcissique car les élites politiques ne se forment pas en l’espace d’une ou de plusieurs marches, fût-elle de plusieurs millions de participants mais par un long parcours militant, jonché de sacrifices, au nom de ses convictions profondes et de ses principes.

De même, que les élites formées, dans les plus prestigieuses universités mondiales, durant des années, à coups de Milliards de US$ publics et qui ont choisi, contraints et forcés, de prendre le chemin de l’exile intérieur et extérieur, ne se renouvelleront pas, en quelques années. Notre pays a été vidé de sa « substantifique moelle » par ce pouvoir irresponsable et nos élites font aujourd’hui le bonheur des pays étrangers, médecins, ingénieurs, informaticiens, professeurs, toutes spécialités confondues… mais également techniciens, infirmiers, ouvriers spécialisés, maitrises et autres métiers qualifiés, dans le cadre de ce qu’ils appellent la politique de « l’émigration sélective ». Les dégâts, causés à notre pays, vont devoir être définis et recensés et notamment ceux commis en direction de la société et qui me paraissent de loin les plus importants car les aspects purement matériels peuvent être plus facilement réparables.

A l’heure où notre pays s’engage sur une autre trajectoire que nous souhaitons tous ou presque, allant vers la démocratie et les libertés individuelles et collectives, la désertification politique que le pouvoir antérieur nous laisse, en héritage empoisonné, va nous handicaper ou du moins nous ralentir dans cette quête d’un devenir meilleur pour les autres générations. Nous sommes les seuls coupables que ce qui nous arrivent, pour avoir laissé faire (8), chacun pour ce qui le concerne mais tous collectivement. Il est primordial, de laisser aux autres générations, un pays où elles puissent s’épanouir, sans souffrir de l’héritage empoisonné que nous leurs laissons. C’est possible mais pas facile. Il est donc impératif, de mettre de côté nos ambitions et nos agendas personnels et d’œuvrer à la construction de cet état, tant rêvé par les martyrs de la révolution de novembre 54.

M. G.

Renvois

(1) Ce fut le cas pour L. Zeroual, qui a joui d’un vote populaire massif, le plus transparent depuis notre indépendance.

(2) En effet, tenant son pouvoir de l’institution militaire, il considérait, à juste titre, de ne rien avoir à négocier avec le peuple pour lequel il avait un profond mépris.  

(3) La deuxième tentative réussie d’intronisation, a été le fait du général L. Belkheir et d’autres officiers généraux, pour la plupart issus de l’armée française et qui ont été tous liquidés après l’avoir intronisé.

(4) L’un des instruments qu’il a manillé avec roublardise, c’est la « distribution généreuse » du grade de général, pour mieux le dévaloriser et le banaliser, afin de dévaloriser ceux qui, à la tête de la hiérarchie militaire, avaient pour ambition de l’utiliser comme un instrument de contrepouvoir.

(5) Voir mes différentes contributions sur El Watan, intitulées : la désignation élective présidentielle.

(6) Une épitaphe posthume est imaginée par un anonyme au sujet de M. de Robespierre : « Passant, ne t’apitoie pas sur mon sort, si j’étais vivant, tu serais mort ».

(7) C’est le terme à la mode, sorti des marches, pour qualifier les tenants du pouvoir et leur propension à la prédation.

(8) A cet endroit, il faut rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui ont courageusement combattu le pouvoir, aux prix d’importants sacrifices et mêmes ceux suprêmes.  

 

Auteur
Dr Mourad Goumiri, Professeur associé.

 




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