Samedi 30 mars 2019
La fin du feuilleton Bouteflika : le crépuscule des idoles
Photo de Chahrazed Tifouti.
L’annonce du 5ème mandat était la goutte d’eau, tant attendue, qui a fait déborder le vase du ras-le-bol populaire. Le coup qu’il fallait pour déclencher une avalanche de colère sans précédent. Le silence longtemps assimilé à l’inertie, s’est explosé en grogne.
Anesthésié, le peuple dont on est persuadé que l’on a tué en lui l’élan de se mouvoir jusqu’à l’ultime once, dans son sommeil du juste, garde ses rêves, farouchement, intacts, à l’abri des prévisions. Il a pris les spécialistes avertis à contre-pied et a déjoué les calculs des mal-saints tutélaires. Les rues gonflées de la vérité des jeunes, rugissent de toute part et font tinter le glas des charognards figés dans leurs creuses certitudes. La vérité de ceux qui ont tout perdu, de ceux qui n’ont rien à perdre, rien à attendre, sinon l’espoir du changement, est crue, proportionnelle à la cruauté des sangsues et nue à l’image de leur dépossession. Tandis que la vérité des intellectuels est édulcorée, transformée dans la centrifugeuse des mille-et-un calculs, elle est light, parfois molle…
La colère populaire n’est pas une bourrasque sporadique, mais un cyclone collectif auto-organisé, puisque il connaît sa cible, il ménage les malades, respectueux de la propreté urbaine et soucieux de la paix et de l’unité nationale. Le peuple fait montre de ce dont il est capable de valeurs morales, de civilité, de surpassement de soi… Lui seul aujourd’hui est digne du titre Fakhamatouhou, Fakhamatou Al chaâb, Fakhamatou Al Chabab, la locomotive du souffle de la dignité.
La rue, stridente, porte tout haut ce que les plaies silencieuses couvent tout bas. La rue fait son long feu de tout bois, elle ramasse tout sur son passage, elle ne rejette rien. Elle se nourrit des frustrations, des faims, des soifs, des blessures, des humiliations, des affronts, des angoisses, des peurs, des attentes inassouvies, des bribes de rêves jusqu’aux songes débridés, des cauchemars, des fièvres froides et ardentes, des résidus de feux éteints dans l’œuf, de l’enthousiasme, des blessures non pansées, des chaudes larmes, de l’avenir confisqué, de l’histoire amputée, de la colère, de la volonté démesurée, de la naïveté de croire que les étoiles sont à portée de main et que la brise vient avec le soir, il suffit de dormir que tout sera mieux demain. Tous les ingrédients nourrissants sont les bienvenus.
Boulimique, la rue se gave de tout, sauf de la putréfaction morale, car elle tient à sa dignité. Longtemps étouffée, elle s’exprime enfin sans ambages. Son verdict est plus éloquent que tous les scrutins confondus de 1962 à ce jour.
Le grondement de la justice est si effrayant et attractif à la fois que même ceux qui rechignent à payer la facture, rejoignent le train, en marche, ils finiront, vraisemblablement par bousculer les vertueux entassés debout et revendiquer leur droit à la première classe. Tandis que les véreux hautains, dans une manœuvre honteusement kaleidoscopique, tentent de s’approprier le chant de liberté, qu’ils ont essayé en vain d’étouffer. Certes, d’une part pour mieux le discréditer et d’autre part désincarner la figure du mal et la disperser dans tous les recoins.
Les sangsues sucent les veines de la plèbe, les sources et les ressources, elles assèchent la terre algérienne du sang des martyrs, du haut de leur nombrilisme lorgnent le peuple, mineur dans leur rétroviseur, est placé sous leur tutelle indéfectible. Il n’a droit au chapitre que quand il caresse dans le sens du poil et chante sur tous les toits, à longueur de journée fakhamatouhou.
En revanche quand il se meut pour arracher un pan de liberté, il est affublé de marionnette à la solde de l’étranger, du diable… Un peuple adulte dans l’obéissance et l’inconscience est mineur quand il prend conscience. Gare à ceux qui infantilisent ! L’infantilisation joue des tours, elle multiplie les bouches, où la vérité éclot à l’envi. Rien de plus beau, rien de plus puissant qu’un essaim de bouches chantant l’hymne de l’aube à venir.
L’infantilisation du peuple cache maladroitement l’immaturité des décideurs et la fragilité de leur pouvoir. En vérité, ce sont eux les mineurs sur la scène internationale, les marionnettes des forces occultes qui tirent les ficelles derrière le rideau de l’opacité. Malgré leur surdité, ils frissonnent au moindre souffle venant de l’intérieur ou de l’extérieur… Ils se savent illégitimes, honnis, vomis par l’Algérie profonde, ils s’agrippent obsessionnellement au pouvoir et vivent en constance sous l’épée imaginaire de persécution. Cette obsession est incarnée par la bureaucratie à outrance, la multiplication des responsables-vigiles afin de diluer la responsabilité. La pollution mentale générée par la médiocrité étouffe tous les secteurs de la société. La corruption des consciences transforme l’insensé en norme et le normal en déviance.
Un carcan juridique justement inapplicable car imposé aux couches populaires et constamment piétiné par les puissants qui font de la transgression la démonstration de leur force, le travail ne paye pas, la fonction présidentielle décrédibilisée et transformée en comédie, le syndicat et la caste de la Chkara mangent du même pain le plus normalement du monde. Les compétences sont marginalisées et l’incapacité cultivée. Une paix sociale achetée aux dépens de la dignité, une « racourciliation » nationale non respectueuse des termes de la justice. La hogra. Une gestion autiste, une jeunesse sans cesse méprisée et rendue incapable de reprendre la relève…
On est tombé si bas, dans l’état de « la dégénérescence de la chair humaine », le culte de la personnalité frisant l’adoration est une qualité prisée dans la promotion sociale. Tous secteurs confondus, la règle de l’obéissance aveugle au supérieur hiérarchique prime sur les règles déontologiques et sans cesse rappelée à celui qui veut s’éterniser dans son poste et gravir les échelons de la honte.
Le « prodramme » bouteflikien est un feuilleton interminable. Bien que stérile et sombre, ceux qui le soutiennent brandissent l’apocalypse pour le justifier. Après nous, avant nous c’est le déluge. La décennie noire et l’ennemi conspirant guettent les brebis galleuses dont ils se donnent une mission divine : le pasteur du peuple orphelin. A chaque fois que les petites gens soulèvent leurs imminents questionnements, les gardiens du temple les renvoient au passé décomposé et conjuguent leurs aspirations à l’imparfait. Ils n’ont de vérité à leur donner que « l’agonie qui ne finit pas ».
Le terminator de cette série noire, je ne sais par quelle malédiction, nous emporte dans une aventure digne de Gulliver. Des êtres immortels, abandonnés par leur jeunesse s’éternisent dans la sénilité, altérés par toute sorte de maladies, ils prennent une forme spectrale terrifiant leur entourage, finissent par être haïs par tout le monde y compris la terre qu’ils foulent. Repus de luxuriances, ils envient le commun des mortels de tirer sa révérence !
Le prodramme rime avec psychodrame. Le culte du roi thaumaturge est poussé jusqu’à la caricature. La surenchère de l’insulte à l’égard du peuple et la vénération de « l’envoyé de Dieu » n’a de limite que la stupidité des adeptes. Les prêches narcotiques stipulent qu’une femme qui retire ne serait-ce qu’un cil est indigne de l’odeur du paradis, tandis qu’un gouverneur despotique on lui doit obéissance. A l’inverse, lui désobéir est Haram, les textes sacrés à l’appui.
Les ciments de l’hémiplégie étatique pompeusement nommée stabilité ne pénètrent pas l’entendement des jeunes affranchis des litiges du passé et n’ont d’autre ennemi que celui qui embrouille leur présent et prend en otage leur futur. bouteflika n’a pas su amener l’Algérie à bon port. L’épée de Damoclès qui pesait sur le pays à son arrivée au pouvoir en 1999, est toujours d’actualité.
Frondeuse, la jeunesse d’aujourd’hui a mis du sang neuf dans les revendications. Décomplexée et hédonique, elle veut vivre son temps à l’instar de la jeunesse des pays développés. Elle a délivré la population de ses peurs, le masque mensonger est tombé et l’armée finit par la rejoindre timidement, en partie, dans ses revendications. Le chef d’état-major, l’homme fort du pays, appelle à déclarer le président inapte, mais la réponse tardive est dépassée par la demande populaire.
Les intentions sont obscures et les incertitudes béantes. Pour cette jeunesse, la misère n’est pas une vertu et il n’est pas nécessaire de plonger dans la nuit pour revenir lucide et bien conseillé. Elle marche, aussi légère qu’un rire ou une rose, persuadée que la révolution est déjà loin, la liberté n’est toujours pas là, elle se dit « saisis cet instant, cet instant porte les germes de ton destin », pour peu que le Galérien ne soit pas fourvoyé par les mirages et que l’hydre de l’éternel retour ne revienne pas s’emparer de la vache des orphelins !