27.1 C
Alger
dimanche 15 juin 2025
AccueilCulturesLa mémoire, la douleur et l’étoile : à la rencontre de Julia...

La mémoire, la douleur et l’étoile : à la rencontre de Julia Brandon

Date :

Dans la même catégorie

Houria Bahloul : la voix des insoumises

Elle vient de Batna, au cœur des Aurès. Une...

La guerre des caftans !

Sur les réseaux sociaux, ça s'agite depuis un moment...

Samir Toumi, l’écrivain qui fait dialoguer l’intime et le politique 

Dans cet entretien exclusif avec Le Matin d’Algérie, Samir...

Attaques israéliennes contre l’Iran : le chef des Gardiens de la Révolution tué

Plusieurs fortes explosions ont été entendues dans la nuit...

Basma Omrani : « L’écriture nous confronte à la solitude »

Du silence naissent des voix qui portent en elles...
spot_imgspot_img
- Advertisement -

C’est dans une librairie marseillaise que mon regard s’est posé sur une affiche singulière : Julia Brandon, élue « Plume marseillaise de l’année », elle y présentait son roman choc Vita. Des critiques enflammées parlaient d’une œuvre «violente », «étrange», «psychiatrique » et «phénoménale ». Intrigué par cette aura et la promesse d’un voyage littéraire intense, j’ai décidé de plonger dans son univers.

À travers la trilogie Les Passagers et son personnage central Nejma — dont le prénom signifie « étoile » — Julia Brandon nous entraîne dans une quête à la fois temporelle et spirituelle, portée par Gustave, un professeur aux dons mystérieux, et ses émotions déchirées. Dans Vita, la douleur intime et les combats de l’âme se mêlent pour révéler la force de la résilience.

Dans cet entretien exclusif, Julia Brandon révèle son écriture instinctive, les symboles qui l’habitent, et les liens profonds qui unissent ses œuvres. Elle nous invite à suivre cette étoile qui éclaire la mémoire, transcende la souffrance, et éclot dans la lumière de l’amour.

Le Matin d’Algérie : Le prénom Nejma, qui signifie « étoile », est un symbole fort dès le premier tome de Les Passagers. Comment ce symbole évolue-t-il au fil de la trilogie, en particulier avec l’introduction mystérieuse d’un garçon dans le tome 2 ?

Julia Brandon : Dans le tome 1, tout particulièrement, Nejma représente l’espoir pour Gustave, son père. Sa vie a été bouleversée par sa perte tragique et il se lance alors dans une quête désespérée pour la ramener à la vie. Comme une étoile lointaine, elle guide l’élu dans sa volonté de réécrire le temps pour la sauver. Dans le tome 2, Ainsi soit-il, Gustave réalise que sa quête s’avère être beaucoup plus difficile à accomplir qu’il ne l’imaginait. Son « étoile » s’éloigne petit à petit et apparaît même désormais comme inaccessible. Dans le tome 3, Prescience, Gustave comprend qu’elle doit néanmoins le rester.

Le Matin d’Algérie : La trilogie suit l’obsession de Gustave, un professeur « élu » capable de voyager dans le temps grâce à des confiseries ensorcelées. Comment Julia Brandon maintient-elle la tension émotionnelle et narrative sur ces trois tomes ?

Julia Brandon : J’ai construit les personnages et leurs histoires au fil de l’écriture. Au départ, je n’avais pas de plan, pas d’idée précise de ce que je voulais obtenir. D’ailleurs, l’écriture du tome 2 et du tome 3 n’étaient pas prévues. Mais les personnages me manquaient et j’ai eu envie de les retrouver. J’ai donc cherché les clés dans le tome 1 pour écrire le tome 2 et j’ai répété ce processus pour écrire le tome 3. J’ai décortiqué mon travail pour trouver les accroches possibles et j’ai creusé, j’ai retravaillé la structure, j’ai repensé l’histoire dans sa globalité.

Une fois l’histoire suffisamment avancée, j’ai pris des notes, posé les questions sur le papier, mais je me suis laissé porter par mes propres émotions en écrivant. J’y suis véritablement allée à l’instinct. Je n’ai pas cherché à maîtriser mon écriture et je pense que c’est cette mise à nu et ce lâcher prise, qui ont permis de maintenir la tension émotionnelle sur les trois tomes.

Le Matin d’Algérie : Gustave efface ses souvenirs dans le tome 3, Prescience, ce qui complique la quête qu’il mène. Quel est le sens de cette amnésie volontaire dans le parcours du personnage ?

Julia Brandon : Il efface ses souvenirs dans le tome 2, Ainsi soit-il, mais le découvre dans le tome 3, Prescience. Il n’y a pas forcément de sens caché. Gustave est père avant tout et il n’aurait jamais pu vivre avec le poids de ses actes sur les épaules. Il a donc cherché à se soulager pour pouvoir poursuivre sa vie sans rester aliéné à son passé.

Le Matin d’Algérie : Le dernier tome évoque la dualité « culture contre nature », la lutte entre maîtrise de soi et instincts profonds. Comment cette thématique complète-t-elle la quête temporelle et spirituelle entamée dans les tomes précédents ?

Julia Brandon : Cette dualité « culture contre nature » se retrouve dans le quotidien de tout le monde. J’ai fait le choix de la développer davantage dans Prescience car elle me permet d’élargir encore un peu plus la psychologie des personnages, de Gustave en particulier. Dans Prescience, on arrive à l’apogée de la quête de Gustave, à l’ultime, à ce qui n’est plus maîtrisable. Gustave est tiraillé entre raison et émotions. Ce tome symbolise le lâcher prise et l’acceptation du fait que l’on ne peut pas tout maîtriser, que la nature et nous-mêmes obéissons à des règles qui parfois nous échappent.

Le Matin d’Algérie : En quoi Les Passagers et Vita forment-ils un diptyque thématique autour de la douleur, de la rédemption et de l’amour, malgré des univers très différents ?

Julia Brandon : Même si deux mille ans séparent les deux intrigues, la trilogie et Vita se répondent. Je ne sais pas si l’on peut appeler cela un diptyque mais en tout état de cause, ce sont des thèmes qui ont une résonance particulière pour moi du fait de ma propre histoire. Ils ont marqué mon vécu. De fait, ils me font vibrer et j’aime les traiter sous différentes formes.

Le Matin d’Algérie : Dans Vita, Automne et Christ affrontent leurs démons personnels. Peut-on voir un parallèle entre leur combat et celui de Gustave face à la perte de Nejma ?

Julia Brandon : On peut bien sûr mais l’amour que partagent Automne et Christ n’est pas le même que celui qui unit Gustave et Nejma. D’un côté, il s’agit d’un couple qui doit se battre pour s’aimer, qui doit même réinventer une façon de s’aimer pour exister. Et cet amour entre effectivement sans cesse en lutte avec leurs démons, qu’ils soient matériels, humains ou psychologiques. De l’autre, il s’agit d’un père et de sa fille. Et Gustave, jusqu’à la fin du tome 3, ne lutte jamais que contre lui-même.

Le Matin d’Algérie : Julia Brandon explore les traumatismes familiaux, entre violence fraternelle dans Vita et perte filiale dans Les Passagers. Que révèle cette insistance sur la famille dans son œuvre ?

Julia Brandon : Certainement des blessures personnelles. Il y a dans mon processus d’écriture quelque chose de très cathartique.

Le Matin d’Algérie: Jonas, peintre tortionnaire dans Vita, incarne une ambivalence troublante. L’artiste destructeur est-il une métaphore du pouvoir créatif et destructeur de l’art ?

Julia Brandon : Je ne vois pas l’art comme destructeur. Au contraire, il permet généralement à l’artiste de se réaliser, même si parfois, dans le processus créatif, on est amené à se faire mal, à repousser nos limites. Mais effectivement, dans Vita, je joue la carte de l’art destructeur. En construisant mon intrigue, je prends le contrepied de ce qui, pour moi, représente l’art.

Le Matin d’Algérie : Le nom « Christ » dans Vita évoque la figure rédemptrice. Comment interprétez-vous cette symbolique dans le cadre de l’histoire et des thèmes abordés ?

Julia Brandon : Lorsque j’ai choisi ce prénom, je n’y mettais aucune symbolique religieuse. En tous cas, pas consciemment. Mais peut-être qu’inconsciemment, j’ai voulu exprimer quelque chose de l’ordre de l’intouchable, de l’être suprême, de l’absolu. Je trouve que le nom Christ est assez pur, je le vois bleu. C’est davantage une référence à L’amour Majorelle, une peinture bleue réalisée par Christ, dont je parle dans Vita.

Le Matin d’Algérie: Les confiseries ensorcelées sont un élément central de Les Passagers. Quelle portée symbolique ont-elles dans la trilogie, au-delà de leur fonction fantastique ?

Julia Brandon : J’ai choisi d’incorporer les confiseries dans la trilogie car je suis titulaire d’un CAP pâtissier ainsi que d’un CAP chocolatier-confiseur. C’est donc un univers que je connais et que je peux ainsi développer assez facilement de façon réaliste. Par ailleurs, j’aime cette idée de prendre un objet assez anodin comme un berlingot ou un sucre d’orge et de lui conférer un pouvoir extrêmement puissant, voire dangereux. Ça crée une opposition, un déséquilibre que je trouve intéressant.

Le Matin d’Algérie : Julia Brandon mêle poésie, mysticisme et réalisme dans son écriture. Qu’est-ce qui, selon vous, distingue son style et sa voix dans la littérature contemporaine ?

Julia Brandon : Difficile de parler de soi. Je n’ai pas forcément le recul nécessaire pour juger ma façon d’écrire. Ce que je peux dire, c’est que j’aime particulièrement me laisser porter par mes propres émotions quand j’écris. Il s’agit presque d’écriture automatique. C’est mon état personnel qui guide mes personnages et mon intrigue et non l’inverse. Je ne sais pas si c’est moi qui me fonds en eux ou si c’est eux qui parlent à travers moi. J’écris jusqu’à avoir le sentiment de faire disparaître les frontières entre réel et fiction. Dans Vita tout particulièrement, les émotions d’Automne sont les miennes. Dans ce livre, je me suis vraiment mise à nu, j’ai mis mes tripes sur le papier. De la même manière, les émotions de Gustave dans Les Passagers sont aussi les miennes. J’avais cependant plus de retenue lors de l’écriture de Les Passagers que de Vita.

Le Matin d’Algérie : Après avoir créé des univers aussi riches et profonds, quelle part de vous-même trouvez-vous dans vos personnages, et quel message souhaitez-vous transmettre à vos lecteurs à travers leurs quêtes ?

Julia Brandon : Je suis mes personnages, ou alors ils sont moi, je ne sais pas. Je m’inspire aussi beaucoup de mon environnement, de discussions diverses, de tout ce qui m’entoure. Mes livres sont finalement un peu le prolongement de moi-même. En ce qui concerne le message, je n’ai pas la volonté d’en transmettre un en particulier. J’aimerais bien néanmoins que les lecteurs referment mes livres en se disant qu’il faut aimer quoi qu’il arrive, y croire, toujours. Mais aussi savoir faire preuve de sagesse. Ne pas s’acharner vainement. Ce n’est pas grave d’échouer. Ce qu’il faut, c’est tout faire pour y arriver afin de ne rien regretter.

Entretien réalisé par Djamal Guettala

Dans la même catégorie

Houria Bahloul : la voix des insoumises

Elle vient de Batna, au cœur des Aurès. Une...

La guerre des caftans !

Sur les réseaux sociaux, ça s'agite depuis un moment...

Samir Toumi, l’écrivain qui fait dialoguer l’intime et le politique 

Dans cet entretien exclusif avec Le Matin d’Algérie, Samir...

Attaques israéliennes contre l’Iran : le chef des Gardiens de la Révolution tué

Plusieurs fortes explosions ont été entendues dans la nuit...

Basma Omrani : « L’écriture nous confronte à la solitude »

Du silence naissent des voix qui portent en elles...

Dernières actualités

spot_img

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici