28 mars 2024
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La presse écrite algérienne à la croisée des chemins

Médias

La presse écrite algérienne à la croisée des chemins

Le pouvoir est en train de faire boire le calice jusqu’à la lie à la presse qui tente encore d’échapper à son contrôle. Concurrence d’internet et des télévisions privées, pressions politico-économiques: la jeune presse écrite indépendante algérienne, née il y a 25 ans, connaît désormais une crise sans précédent. Depuis l’ère Bouteflika, des dizaines de titres ont disparu et d’autres menacés de l’être à plus au moins courte échéance.

Née au début des années 1990, la presse écrite privée en Algérie est fille du « printemps démocratique » algérien, issu des émeutes d’octobre 1988, qui a mis fin à un quart de siècle de parti unique et de monopole des médias d’Etat.

Des dizaines de titres sont apparus. Certains ont connu des tirages importants et continuent de paraître, tels les arabophones El-Khabar, Echourouk ou les francophones El-Watan, Le Matin (interdit par le pouvoir depuis 2004) Liberté ou encore Le Soir d’Algérie et Le Quotidien d’Oran.

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Bien des titres ont subi les foudres de l’interdiction comme Le Matin, victime d’une liquidation pure et simple par le clan Bouteflika. Mais depuis 2014, 26 quotidiens et 34 hebdomadaires ont disparu, indiquait début octobre le ministre de la Communication, Djamel Kaouane. Dernier en date, le quotidien francophone La Tribune, journal au tirage réputé modeste, a disparu en août en raison de différends entre actionnaires et sur fond de difficultés financières.

Si quelque 140 quotidiens ou hebdomadaires paraissent toujours en Algérie, les ventes se sont effondrées ces dernières années. Selon une étude du Dr Redouane Boudjemaa, professeur à l’université d’Alger, le tirage de l’ensemble des quotidiens nationaux a chuté de 40 à 60% depuis 2012.

Tout gratuit

Le tirage quotidien d’El-Khabar est passé de 1,2 million d’exemplaires en 2000 à 465.000 en 2012 et 200.000 en 2017, selon un de ses ex-dirigeants, Ali Djeri. El-Watan n’imprime plus que 90.000 exemplaires contre plus de 160.000 exemplaires en 2012, selon son directeur, Omar Belhouchet.

En 2010, d’après une étude menée à l’époque par l’institut Immar, 60,5% des Algériens de plus de 15 ans lisaient la presse quotidienne.

Une étude « réalisée avant le lancement des réseaux mobiles 3 et 4G« , respectivement en 2014 et 2016, souligne le Dr Boudjemaa: depuis « les ventes de smartphones et de tablettes ont explosé » et « le nombre de lecteurs de la presse écrite a fondu« .

Le « tout gratuit » sur internet a accéléré la migration de nombreux lecteurs vers l’information en ligne, et les journaux n’ont pas réussi à s’adapter, explique l’universitaire à l’AFP.

La presse écrite a également souffert de la récente multiplication des chaînes de télé privées -notamment d’informations en continu depuis 2012- qui ont raflé le marché publicitaire en cassant les prix.

Le gouvernement a promis le déblocage en 2018, au profit des médias en « difficultés financières« , des quelque six millions d’euros d’un fonds d’aide, gelé depuis 2000 en raison d’un différend entre éditeurs et journalistes.

Mais de nombreux acteurs de la presse écrite privée et défenseurs de la liberté de la presse accusent ces mêmes autorités de faire pression économiquement sur les journaux via la publicité institutionnelle, qui représente, selon le ministre de la Communication, 20% du marché publicitaire.

Monopole

En Algérie, l’Etat, longtemps socialiste, reste omniprésent dans le domaine économique et est le principal annonceur du pays, via ses administrations et ses entreprises.

Or la gestion de leur publicité est légalement le monopole de l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep): un outil politique qui attribue ses encarts aux médias jugés conciliants avec le pouvoir et « punit » les voix dissidentes, affirment ses contempteurs. C’est désormais une lapalissade en Algérie : l’Anep n’arrose que les journaux acquis aux thèses du pouvoir. Pire encore, des pressions sont exercées sur les annonceurs privés qui essayent de passer leur pub dans des journaux jugés « impertinent » par le pouvoir en place. 

Directrice du quotidien arabophone El-Fadjr, Hadda Hazem, figure du journalisme féminin, a mené en novembre une semaine de grève de la faim pour dénoncer « l’asphyxie » de son journal, privé de publicité par l’Anep depuis, dit-elle, qu’elle a tenu des propos critiques envers le président Abdelaziz Bouteflika en août sur une chaîne française.

Plusieurs titres affirment avoir déjà été punis de la sorte et Mme Hazem est soutenue par la majeure partie de la presse privée, qui appelle à la fin du monopole de l’Anep sur la publicité institutionnelle.

Suspendu à plusieurs reprises dans les années 1990, « El-Watan est privé de publicité institutionnelle depuis 1993« , mais aussi largement sevré d’annonceurs privés depuis qu’il s’est opposé en 2014 à un quatrième mandat de M. Bouteflika, affirme Omar Belhouchet, qui a depuis dû augmenter de 50% son prix de vente.

« Après la présidentielle de 2014, les revenus publicitaires privés du journal ont baissé de 60%« , assure à l’AFP M. Belhouchet. La raison, selon lui ? Des « pressions » des autorités sur les principaux annonceurs du journal -des groupes dont les affaires dépendent souvent de bonnes relations avec le pouvoir-.

 

Auteur
Avec AFP

 




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