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La Sansalomania, une spirale absurde !

Boualem Sansal

On aurait pu faire simple dans l’affaire Boualem Sansal. Le remettre dans l’avion qui l’a ramené, accompagné d’une note bien sentie : “Retour à l’envoyeur”. Y ajouter une déchéance de nationalité pour sceller l’affaire, histoire de marquer le coup. Bref, une solution rapide, nette et sans vagues.

Mais non. Trop simple. Trop rationnel. À la place, on a opté pour l’option spectacle : l’arrestation théâtrale, le lynchage médiatique orchestré avec soin, et, aujourd’hui, une spirale infernale. Une spirale dans laquelle l’Algérie, et ceux qui ont pris cette décision, se retrouvent piégés, aspirés par leur propre mise en scène grotesque. D’un côté, une Algérie qui s’acharne avec une intensité frisant le ridicule. De l’autre, une mobilisation internationale massive. Jusqu’à l’ONU, où un bouclier se dresse contre cette folie. Des plumes, des politiques, des ONG montent au front.

On aurait pu éviter de tendre la joue aux gifles. Aux attaques d’une extrême droite qui sommeillait paisiblement, réveillée par l’odeur du scandale. À une droite française, désespérée, prête à tout pour se trouver une légitimité et redorer son blason. À un gouvernement au bord de l’effondrement, rongé par une faillite morale et économique. On aurait même pu éviter de réveiller un Benjamin Stora, bien occupé à arrondir son ventre d’histoires révisées, venu, comme par hasard, vendre son dernier livre en grandes pompes d’excuses.

Mais non. L’occasion était trop belle. Alors, on a déroulé le tapis rouge. Pour les chroniqueurs chassés de radio, pour les médias en mal de sensationnel, et pour les figures politiques en quête de lumière. Et ce n’est pas tout. Même les écrivains frustrés – ceux dont les livres se sont fait ignorer au SILA (Salon International du Livre d’Alger) – s’invitent au festin. Ils se jettent dans la mêlée avec l’enthousiasme des Tayabett El Hammam : ces commères de tout bord qui transforment le ragot en vocation nationale !

Et puis, il y a ceux qui semblent déconnectés de toute cette effervescence. Peut-être qu’ils n’ont pas réglé leur facture d’électricité et se retrouvent à la bougie. YK, notre cher… éteint !

C’est un divorce qui passe mal, très mal. À chaque séance, une nouvelle série d’épisodes dramatiques, parfois sentimentaux, souvent absurdes. Des antécédents impossibles à régler, dictés par l’humeur du moment. Et pourtant, malgré cette guerre froide à répétition, les départs clandestins, les demandes de visas officiels et officieux témoignent d’échanges toujours intenses.

Les mêmes qui hurlent au lynchage médiatique n’hésitent pas à passer Noël à Paris, à célébrer le Nouvel An sur les Champs-Élysées. De l’autre côté, on adore faire du tourisme, retrouver des lieux de mémoire, passer des vacances dans les ruelles où l’on a vécu, ou tout simplement traiter des affaires ensemble. Deux mondes qui se déchirent en public mais continuent de s’embrasser en coulisses.

L’Algérie, autrefois admirée pour le courage de sa diplomatie, pour ses gestes nobles comme porter secours au Liban, brillait par une parole forte et respectée. Elle récoltait une immense sympathie, sourde aux critiques sans en être affaiblie. Et aujourd’hui ? Aujourd’hui, elle se retrouve sous les projecteurs, désemparée, incomprise, incapable de contenir la tempête qu’elle a elle-même déclenchée.

Et tout ça, pourquoi ? Parce qu’un homme, la pierre à la main et le langage de rue en guise de discours, a décrété que cela devait être ainsi. Une humeur capricieuse, une impulsion mal contrôlée, et voilà tout un pays entraîné dans la boue, éclaboussé par ses propres décisions. Nos leaders se laissent gonfler par une illusion de popularité, se croyant invincibles, et finissent par tomber dans leur propre piège.

C’est là que la prétendue raison d’État dévoile son vrai visage : imprévisible, trompeuse, et capable de provoquer des séismes qui ne touchent pas qu’un individu, mais ébranlent tout un État, tout un peuple.

Agir bêtement ? Être le pantin de certains clans de l’ombre ? Vraiment ? Allons donc. Boualem Sansal n’est pas du genre à lancer des cailloux au hasard, ni à obéir aux ordres de l’invisible. Pour comprendre ce bonhomme, il suffit de lire ses écrits ou de l’écouter parler. Chaque mot est pensé, chaque geste est mesuré. Ce n’est pas de la provocation gratuite, c’est une stratégie bien rodée.

Avec le recul, on devine un double objectif : d’un côté, mettre à nu un système ; de l’autre, préparer l’après-Sansal. Parce qu’il faut bien l’avouer, rien de tel qu’un bon scandale pour bâtir une légende.

Je dirais, dans cette Sansalomania, il est le vainqueur. Un coup de maître, une pièce montée à l’algérienne. Avec un simple revers de la main – bien huilé de Zit Ezitoune locale – il relègue Kamel Daoud dans un coin poussiéreux : “Un Goncourt, c’est tout ce que tu as ? Regarde, moi, je fais trembler le monde !”

Et voilà Boualem, pas loin de décrocher la totale : une rue à son nom, un prix Nobel de la paix, une chanson populaire, et pourquoi pas un jour férié. Provoque un Algérien, et tu n’as pas une réaction, tu déclenches une éruption. Khalatt fi Djazayri, comme le dit si bien l’adage.

Za3im

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