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La torture en Algérie : une pratique courante et ancienne

DECRYPTAGE

La torture en Algérie : une pratique courante et ancienne

Arrêté le 26 novembre 2019 lors d’une marche des étudiants à Alger, l’étudiant en sciences maritimes à l’université d’Alger, Walid Nekiche, est condamné à six mois de prison ferme alors qu’il a purgé 14 mois de détention provisoire.

Accusé de « complot contre l’État », « organisation de correspondances secrètes pouvant porter atteinte à la défense nationale », « détention de tracts portant atteinte à l’intérêt national» et « incitation des citoyens à porter les armes contre l’autorité de l’État », ses avocats ont soutenu à bon droit que son dossier est vide tant il est vrai que le hirak a fait du cours pacifique un choix stratégique et que les aveux de l’accusé ont été arrachés sous la contrainte. Or il est de jurisprudence constante que tout aveu extorqué par la torture ou d’autres moyens coercitifs est juridiquement nul.

Plus grave, le jeune Walid a révélé au cours de son procès devant le tribunal de Dar El Beida (Alger) le 1er février dernier qu’il a fait l’objet lors de son interrogatoire d’une atteinte grave à son intégrité physique par des agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à Ben Aknoun sur les hauteurs à l’ouest d’Alger.

Une pratique dégradante, courante et couverte par les dirigeants et la justice depuis 1962 contre les opposants au régime. Le témoignage de l’historien Mohamed Harbi (El Watan du 17 mai 2001) est édifiant.

À l’occasion d’une réunion du Comité central du FLN tenue en 1964, il a eu l’audace de soulever la question très embarrassante de la pratique de la torture et à laquelle le colonel Boumediene avait répondu froidement : «Donnez-moi un autre moyen d’avoir des renseignements ». Cette réponse en dit long sur la brutalité, l’inculture et l’arbitraire des dirigeants pour qui tous les moyens sont autorisés y compris les traitements cruels et dégradants contre des Algériens, même contre ceux qui ont combattu pour l’indépendance du pays.

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Le Moudjahid et opposant Mouhoub Naït Maouche, encore en vie et que Dieu lui prête longue vie, m’a confié que la plupart des militants du FFS arrêtés en 1963 (3000 environ) ont été torturés y compris lui-même.

Les regrettés commandants Lakhdar Bouregaa et Slimane Amirat n’ont pas échappé à ces traitements cruels et inhumains. Feu Mohamed Haroun nous a révélés lors d’une visite que nous lui avons rendue avec des amis chez lui dans son village à Akbou dans la wilaya de Bejaia à sa sortie de prison au printemps 1987 qu’il avait vu des prisonniers à la prison de Tazoult Lambèse (Batna) brulés au chalumeau. De nombreux jeunes arrêtés lors de la révolte d’octobre 1988 ont été torturés. L’un des auteurs présumés de l’attentat de l’aéroport d’Alger en mai 1993 avait témoigné devant la Cour d’Alger qu’il avait été châtré.

Au mois d’avril 2019, des jeunes filles s’apprêtant à participer à une marche du Hirak au centre d’Alger ont été embarquées par la police puis contraintes de se déshabiller au commissariat de Baraki au Sud-Est d’Alger. Récemment encore avant Walid Nekiche, Karim Tabou et d’autres animateurs du hirak arrêtés (près de 80 personnes croupissent dans les prisons), ont subi des brutalités et des traitements dégradants. Et la liste des Algériens torturés et qui n’osent pas témoigner par pudeur est encore longue… administrant ainsi la preuve qu’il s’agit bien là, non pas de bavures, mais bien d’une pratique courante et ancienne qui doit être dénoncée avec la plus grande vigueur.

Nous espérons que le témoignage courageux de l’étudiant Walid Nekiche sera suivi par d’autres et que ces témoignages auront le même effet salutaire et une réelle prise de conscience citoyenne quant à la gravité de tels actes que la portée en France de la publication du livre bien connu d’Henri Alleg, « La question » aux Éditions de Minuit en février 1958, avant d’être interdit puis autorisé, sur la torture en Algérie pratiquée à grande échelle par des officiers de l’armée française au cours de la guerre d’Algérie. Une pratique d’une violence extrême qui heurte d’autant plus la conscience humaine qu’elle est contraire à la morale et au droit aussi bien interne qu’international.

L’intégrité physique et morale est un impératif du droit international humanitaire et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, il s’agit d’un droit absolu qui ne doit souffrir d’aucune dérogation en aucune circonstance.

Faut-il rappeler aux autorités militaires et civiles que L’État est tenu d’assurer « l’inviolabilité de la personne humaine » (art. 39 de la constitution révisée), que « la torture, les traitements cruels, inhumains ou dégradants… sont réprimés par la loi » (art. 39) et que le « juge est tenu d’appliquer les traités ratifiés… » (art. 171) par l’Algérie en ce qui concerne, notamment le respect de la dignité humaine.

Et il s’agit en l’occurrence de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987 et ratifiée par l’Algérie le 16 mai 1989 (JO n°20 du 17 mai 1989). L’article 2 de cette convention dispose : « Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture ».

L’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants crée une obligation pour les États partie aux conventions internationales pertinentes l’obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de penser qu’un acte de torture pour obtenir des aveux ou des informations a été commis sur tout lieu sous sa juridiction (art. 12 de la convention) en vue d’établir les faits et de punir les agents de l’État auteurs de ces actes.

Enfin, la victime et sa famille méritent d’être soutenues et l’accompagnement psychologique et judiciaire de Walid est indispensable. Et sur ce dernier plan, il est nécessaire que la justice soit relancée par les avocats de l’intéressé avec son consentement et dans son intérêt et que le rapporteur spécial des nations unies contre la torture soit saisi sans délai pour que les auteurs soient sanctionnés et que ces actes déshonorants ne se reproduisent plus.

T. Khalfoune

Auteur
Tahar Khalfoune, juriste

 




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