Sans laisser deviner ses intentions en prenant soin de les cacher en apparence, Emmanuel Macron a organisé une visite qui a dévoilé les limites des relations particulières entre les deux pays. Le gaz algérien et le problème sahélien font courir Paris.
Pour les présidents français, venir en Algérie est loin d’être d’une tâche facile pour ne pas fâcher ces dirigeants et quelques organisations jouant sur la mémoire. Pour mieux paraître devant leurs prélats et d’être moins prolixe sur tout ce qui irritable, ils sont tenus de respecter un agenda et des discours préparés dans les officines des deux pouvoirs. Cependant, les intérêts ont été préalablement discutés dans les coulisses de la diplomatie que chacune des deux parties doit en tirer. Pour celui de Macron, afin de ne pas entacher le voyage, l’annulation de la visite du grand rabbin de France, Haim Korsia, à cause du Covid-19, pourrait être interprétée comme un enjeu pour calmer les islamistes algériens qui soutiennent le pouvoir.
On marche sur les œufs avec les Algériens. Pourquoi ils ne nous aiment pas, rechignait Sarkozy…
En lisant Paris-Alger, une Histoire passionnelle, un livre écrit par deux journalistes français, Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois, certaines informations confirment les relations compliquées et parfois inexpliquées qu’ont les dirigeants français envers leurs homologues algériens et vice-versa. Tous les présidents de France rêvent de venir à Alger sans que le voyage soit un supplice. Du côté de l’Algérie, on trouve toujours un argument pour le rendre difficile.
En 2007, l’année de l’élection de Nicholas Sarkozy, sa venue en Algérie en décembre de la même année a été précédée par un incident diplomatique qui a mis Bouteflika dans tous ces états. Les deux journalistes avaient écrit : « Le nuage arrive de loin. Une affaire vieille de vingt ans. Ali André Mecili, avocat franco-algérien, a été assassiné le 7 avril 1987 à Paris. Il était membre fondateur du Front des forces socialistes, qui milite pour les droits de l’homme et réclame l’instauration d’une démocratie en Algérie. L’assassin présumé, interpellé le 10 juin 1987, avait été expulsé en urgence absolue sur décision du ministre délégué à la Sécurité de l’époque, Robert Pandraud. »1
Ils poursuivent: « Nicolas Sarkozy se tourne vers les amis incontestables de l’Algérie. En 2009, il reçoit discrètement Benjamin Stora, l’historien fétiche de François Hollande. Catherine Pégard, conseillère chargée du pôle « politique » de l’Élysée, a joué les intermédiaires pour organiser la rencontre. Terrorisme, pétrole, immigration… Le président français semble intéressé par l’analyse de l’historien. Mais il fait une fixation : « Sa principale obsession était : “Pourquoi ils ne nous aiment pas? se souvient Stora. »2
Même le socialiste de François Hollande n’a pas échappé à la règle. En juin 2015, sa rencontre avec un Bouteflika très infirme est inaudible s’est soldée par la fameuse déclaration qui lui faisant des louanges : « rare de rencontrer un chef d’État qui cette alacrité, cette capacité de jugement ». C’est une affirmation ridicule et complaisante que les médias ne l’ont pas laissé passer au hasard.
Bref, chaque président doit user de ses moyens pour plaire. Quand il s’agit des intérêts de la France, il ne faut jamais reculer, même à aller jusqu’à faire des scènes ridicules pour dorloter leurs homologues.
La France a besoin du gaz algérien et l’Algérie a besoin de maintenir son système politique avec la bénédiction française.
Le passé colonial et l’avenir énergétique sont deux sujets qui mettent les deux parties dans des situations délicates. La France qui doit reconnaître et même payer ses erreurs commises depuis 1830 contre l’Algérie, non seulement elle doit s’excuser, mais elle doit le faire dans une démarche populiste presque imposée par Alger. Un comportement dénoncé par la majorité de la classe politique, les historiens et les leurs intellectuels qui voient du mauvais œil cette attitude venant d’un pouvoir qui cherche à marchander la rente mémorielle et à quémander une légitimité.
D’ailleurs, les médias de l’autre côté de la Méditerranée n’ont pas hésité à descendre le pouvoir algérien. Absence de démocratie, la mise en échec du Hirak et les arrestations pour des délits d’opinion sont des sujets qui ont été longuement débattus pour démontrer à l’opinion que le système politique est loin de celui de la France. Ils ironisent sur l’attitude de Macron qui est disposé à négocier avec des responsables algériens issus d’une élection présidentielle largement boycottée par les Algériens dans un contexte de soulèvement populaire inédit qui a duré plus de deux ans. C’est une forme de complicité à un pouvoir autoritaire que tous les présidents français ont accepté de soutenir pour quelques dividendes.
Le russe Gazprom qui vient d’annoncer la suspension de ses livraisons au groupe Engie était prévisible en tenant compte de la position de la France depuis le début du conflit en Ukraine, il est un enjeu de grande importance que la partie algérienne a pris en considération pour plier Macron sur certains dossiers comme le problème sahraoui, les visas et les sans-papiers.
L’Europe qui cherche désespérément des contrats de Gaz avant l’hiver et particulièrement la France, l’Algérie reste un partenaire très intéressant pour régler en partie la crise énergétique qui survient. Les Russes avec qui elle entretient de bonnes relations économiques et politiques avaient déjà fait pression sur Alger à ne pas répondre aux sollicitations de l’Occident.
Sur ce point les autorités algériennes sont bel et bien prises entre le marteau et l’enclume. La crise économique et sociale qui touche le pays depuis la baisse des prix des hydrocarbures, le conflit russe avec l’Ukraine est opportunité pour renflouer les caisses de l’État et gérer socialement le problème politique initiée dans le cadre de la révolution et le Hirak comme il a fait déjà Bouteflika. L’argent calme les ardeurs.
Mais, le problème selon les spécialistes en gestion du pétrole et le gaz, l’Algérie qui fait partie de l’un des pays qui détiennent les plus grandes réserves mondiales en gaz (2 400 milliards de m3) n’a pas les infrastructures nécessaires pour répondre à la demande européenne. La production actuelle est limitée à satisfaire la consommation interne et les contrats engagés avec l’Italie, l’Espagne, la Turquie et la France. Donc, immédiatement, il est impossible d’augmenter sa capacité de production, et le temps à consacrer pour mettre en place des terminaux méthaniers, les réseaux de transport, les réseaux de distribution, les stockages, etc., peut être évalué de 2 à 5 ans. Les coûts d’investissement doivent être aussi évalués en sachant que si la crise ukrainienne se prolonge dans le temps ou pas, car en termes de logistique, il est plus intéressant d’acheter le gaz russe pour l’Europe.
Sans oublier le problème sahélien que la France souhaite régler via l’Algérie. Chassés du Mali pour être remplacés par les Russes, les Français font leur possible pour se maintenir en Afrique.
Visite folklorique de Macron à Oran, alors que le Centre culturel français de Tizi-Ouzou est fermé pour des raisons politiques et culturelles.
Venir à Oran, l’ouest, la région d’Émir Abdelkader, pour marquer la visite, est une stratégique médiatique. En visitant le studio de Disco Maghreb de Boualem n’est pas un fait de hasard, c’est le succès de DJ Snack qui a été suivi par plus de 70 millions dans les réseaux sociaux qui attire un Président en quête de popularité.
L’accueil est folklorique pour les Oranais, mais rentable pour Macron. Sûrement, il est au courant que le Centre Culturel Français de Tizi-Ouzou est fermé d’une manière arbitraire depuis 1995 alors que celui d’Alger, Oran, Annaba et Tlemcen sont en activité. Assurément, c’est pour sanctionner une région qui maitrise la langue française et qui la réclame comme un outil de communication, scientifique et littéraire.
L’ancien ambassadeur Xavier Driencourt l’a bien mentionné dans son dernier livre L’énigme algérienne : « La vraie raison tout ce qui concerne la Kabylie est par définition suspect alors que beaucoup de diplomates du ministère des affaires étrangères algérien, souvent kabyles, avaient été formés de leur jeunesse à ce qui s’appelait le CCF (Centre Culturel Français), ils craignaient désormais que les jeunes générations fussent formées dans un environnement français et l’irrédentisme kabyle fut alimenté par la fréquentation de ce centre ».3
Cette décision absurde révèle les intentions du pouvoir algérien qui fait l’unanimité concernant le traitement réservé à la Kabylie et ceux de la France qui refuse de s’engager clairement dans un processus de normalisation entre les Algériens et les Français.
Pour conclure, le feuilleton passionnant de l’Algérie – France, et il n’est pas à la veille de se terminer. Il va continuer à être joué pratiquement avec les mêmes acteurs du côté d’Alger et ceux de Paris qui changent à chaque échéance électorale.
Mahfoudh Messaoudene
- Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois, Paris-Alger, une Histoire passionnelle, p 160.
- Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois, Paris-Alger, une Histoire passionnelle, p 161.
- Xavier Driencourt, L’énigme algérienne, Chronique d’une ambassade à Alger, p 175.