L’Agence officielle algérienne (APS) s’est encore une fois illustrée en publiant, à l’occasion de la Journée internationale de la démocratie, une dépêche fustigeant la répression des libertés publiques au Maroc. C’est un peu l’histoire de la bosse du chameau.
La vénérable agence officielle du pouvoir y relaie un communiqué de la principale organisation marocaine de défense des droits humains dénonçant « l’extension du champ de la répression » et « la persistance des arrestations politiques ».
Jusque-là, rien d’étonnant : la critique du voisin marocain est un registre familier des médias publics algériens — et la réciproque vaut pour la presse marocaine. Ce qui surprend, ce n’est pas la dénonciation en soi, mais le ton indigné adopté par une agence de presse d’État dont le pays offre un tableau loin d’être exemplaire, presque miroir de celui du makhzen que l’organisation marocaine des droits humains dénonce.
Car qui, en Algérie, pourra se laisser convaincre que « l’herbe est plus verte » de ce côté-ci de la frontière ?
Depuis le soulèvement pacifique du Hirak en 2019, le paysage des libertés publiques s’est considérablement rétréci. Les manifestations hebdomadaires ont été interdites dès 2021. Les syndicats autonomes – enseignants, fonction publique, santé – peinent à organiser grèves ou rassemblements sans pressions ni interdictions.
Les associations indépendantes, qu’elles soient culturelles, environnementales ou de défense des droits humains, doivent franchir un véritable parcours d’obstacles administratifs, souvent sans aboutir. Plusieurs organisations, telles que la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, ont été suspendues ou dissoutes.
Sur le plan politique, le pluralisme existe sur le papier mais reste corseté. Les partis d’opposition non alignés voient leurs activités entravées : refus d’agrément, interdiction de réunions publiques, restrictions sur les congrès internes.
Quant à la presse, elle fonctionne sous une double contrainte : dépendance économique à la publicité publique et arsenal juridique – lois sur la cybercriminalité, l’information ou la sécurité de l’État – qui permet de poursuivre des journalistes pour des motifs vagues de « diffusion de fausses nouvelles » ou d’« atteinte à l’unité nationale ». Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est interdite de tout écrit ou parole qui ne cadre pas avec la propagande officielle.
Les organisations de défense des droits humains, de Reporters sans frontières à Amnesty International, relèvent régulièrement des cas de journalistes, d’activistes ou de simples internautes poursuivis ou emprisonnés pour leurs opinions. Depuis 2020, des centaines de prisonniers d’opinion ont été recensés, même si leur nombre fluctue au gré des amnisties ponctuelles et de nouvelles arrestations.
En Algérie, il n’y a plus de syndicats libres, plus de journal ou télévision qui échappe au contrôle et à la surveille des limiers de la censure et de la sécurité. C’est tout le pays qui est placé sous éteignoir.
Bien sûr, souligner les atteintes aux droits au Maroc est légitime : la critique des dérives autoritaires ne connaît pas de frontières. Mais quand elle émane d’un organe de presse d’État dont le pays est lui-même critiqué pour des restrictions similaires, la dénonciation sonne comme une leçon mal placée. Défendre la démocratie exige d’abord de balayer devant sa porte.
À défaut, la posture critique se transforme en exercice de propagande, où l’hôpital se moque de la charité.
Sofiane Ayache