Lundi 13 novembre 2017
Le chaoui, l’Afri et quelques autres
Il y a au moins deux éléments importants qui nous ont incités à nous poser la question de la concordance d’un fait préhistorique avec une branche de la linguistique (l’onomastique). Il s’agit de la traduction sociologique d’une réalité néolithique et d’un ethnonyme.
Pour la traduction sociologique, il revient à C. Roubet d’avoir entrepris une ethnologisation des Néolithiques aurasiens tandis que pour l’ethnonyme (Chaoui) il est un thème récurrent que nous rencontrons régulièrement chez beaucoup d’auteurs.(1) A ce jour, la plus importante investigation sur la vie sociale des Néolithiques nord-africains est l’œuvre de R. Roubet. Son travail inaugure une série d’études portant sur les néolithiques de l’Aurès. La sociologie des Néolithiques aurasiens est une forme élaborée de l’introduction par A. Leroi-Gourhan de l’ethnologie en préhistoire et de ses conséquences méthodologiques sur la pratique archéologique. Pour ne retenir que quelques éléments de ses travaux, un intérêt particulier s’est porté sur le rythme et le système social des pasteurs aurasiens. En ce sens, la vie agro-pastorale des Néolithiques aurasiens a engendré un cadre d’échanges avec d’autres entités néolithiques non identifiées par la préhistorienne française. Nous pensons à leurs « fournisseurs » en objets technologiques qui résidaient dans le Sud de l’Aurès. Ce lieu de résidence, nous fait penser aux Zibans à cause de l’alternance des périodes chaude et froide auxquelles étaient soumises les communautés agro-pastorales. C’est vraisemblablement à travers le rythme de la vie agro-pastorale qu’ils rencontraient leurs interlocuteurs.
A la rencontre des autres communautés sahariennes, une question se pose, est-ce qu’ils parlaient uniquement en tamazight et si c’est le cas en quelle variante? Bref, le « statut de berger des communautés atlasiques, néolithisées » porte dès 7000 BP, le nom de Chaoui. Quant à E. Masqueray, il donne une indication suspecte en disant que « le mot Chaoui est arabe ( il signifie peut-être pasteurs). Son équivalent berbère est Mazir, que j’ai entendu à Haidous. »(3) Bien entendu cette indication nécessite une étude linguistique plus approfondie afin de déterminer l’étymologie et l’histoire du mot chaoui. Pour le moment nous nous contentons seulement de la signification donnée par Emile Masqueray sans contrevenir aux usages scientifiques qui tendent à surcharger le lexique par d’inutiles approximations du type Mazig, Masias, Amzig, Mazig, etc.
La mise en place de tout un système social des communautés agro-pastorales des Néolithiques capsiens, tend à rendre plus complexe les relations sociales entre groupes néolithiques et une complexification de plus en plus accrue des échanges économiques. Certes, il ne nous revient pas ici, de parler de tous ces phénomènes qui ont une importance considérable du point de vue de l’histoire et par ricochet de l’Etat de la civilisation -terme utilisé par Ibn Khaldoun bien avant N. Elias- de l’Afrique du Nord et du Sahara. Nous nous sommes assignés comme but de nous concentrer uniquement sur les formes du discours de l’Etat social des anciennes communautés humaines. Si nous accordons, un certain crédit à l’adjonction du nom (Chaoui) à la fonction économique et sociale (Berger), il va de soi que tout concorde à que ce vieux terme désignant la population de l’Aurès, est une réalité socio-économique réifiée par l’appellation. Il en tout autrement du mot Afri qui apparaît dans la littérature gréco-latine. C’est un mot équivoque qui désigne soit les Afer antiques situés dans le territoire de l’actuelle Tunisie par J. Desanges soit une catégorie de la population nord-africaine romanisée.(3) Or, la journaliste d’El Watan fait dire à F. Benramdane que le mot Afri dérive de Troglodytes et que par conséquent, il désigne les Banu Ifrane, nom composé provenant de la terminologie de la généalogie musulmane et de Ifri, caverne en berbère. Si nous admettons bien volontiers qu’historiquement la dérivation du mot provient de la tradition gréco-latine, il n’en demeure pas moins qu’une conjonction aussi bien mythologique que sourcelogique, a largement contribué à la prégnance nominale du nom « Afri-ca ou Afriqua » qui remplacera l’ancienne appellation, la Libye des anciens Egyptiens et Grecs.
En l’occurrence, la connaissance géo-historique ne nous permet pas de déterminer l’existence des Banu Ifrane dans l’antiquité et à plus forte raison durant la période néolithiques. De plus, la plupart des Capsiens nord-africains occupaient des grottes. Il va s’en dire que la filiation mythologique ne reflète aucunement la réalité historique. De de fait et en toute logique, la pratique autonomasique aurait dû englober tous les communautés néolithisées et non pas une et seulement la tribu des Afer. Il semble que l’ethnonyme Banu Ifrane est une désignation tardive et que l’autonomase comme exercice de style est une autre forme de péjoration dont la plus connue et qui est lourd de surcroît à porter, est l’appellation: Berbère qui vient de barbare. Entre la version mythologique des traditions gréco-latine et arabo-musulmane et l’historique du mot Afer, il y a une étroite correspondance dont il faut se méfier parce qu’elle définit l’altérité du regard comme seule réalité des populations autochtones (4).
F. H.
Références:
1- C. Roubet, Statut de berger » des communautés atlasiques, néolithisées du Maghreb oriental, dès 7000 BP, L’anthropologie, no 107, 2003.
2- E. Masqueray, Documents historiques recueillis dans l’Aurès, Revue africaine no 122? 1877.
3- J. Desanges, Catalogue des tribus africaines de l’antiquité classique à l’ouest du Nil, IFAN, Dakar 1962. la carte 1, p.161 ne mentionne aucun nom de ce genre. les tribus connues sont: les Metagonitae, les Sokossii, les Masikes, les Lixitae, les Maurensii, les Ouerouies, les Ouerbikae, les Zengressii, les Baniuobae, les Ouoloubiliani, les Salinae, les Baquates, les kauni et les Macenites.
-R. Rebuffat, Les tribus en Maurétanie Tangitane, AA, no 37, 2002, Fig, 1, p.29.
4- Wikipédia, les références de l’étymologie dans Origine du mot Afrique.