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Le diable n’a pas de cravate !

Jordan Bardella

Jordan Bardella cache bien son jeu politique.

On dit que le diable a mille visages autant qu’il a de noms. Il se présente souvent en incarnation de la beauté, celle du charme pour envoûter et celle de la perfidie afin de duper et prendre contrôle sur les âmes. On dit bien la « beauté du diable ».

Pour ce qui est de l’envoûtement, la littérature, les mythes et les légendes lui en ont donné de multiples noms. Parmi ceux-là, Goethe qui en fait une promesse de beauté et de jeunesse par Méphistophélès.

Pour la perfidie, il est serpent dans le Genèse, il est Lucifer chez Byron, la bête à sept têtes dans l’Apocalypse, l’Inferno pour Dante, les monstres dans les Enfers de l’Énéide ou Satan pour John Milton. Ces références par les noms sont souvent reprises dans de nombreux textes.

Et nous en venons au sujet de cette chronique, l’une des représentations modernes du diable, celle du Rassemblement National, anciennement Front National. Totalement lestée par l’histoire et l’acharnement de son père à continuer un discours d’extrême droite décomplexé, sa fille avait compris que dans ces conditions le parti n’aurait jamais la possibilité d’atteindre le pouvoir.

D’ailleurs, son père n’avait aucune envie d’y accéder. Il savait qu’il n’y accéderait jamais et cela l’arrangeait car son statut d’opposant vociférant lui garantissait la survie, de sa personne médiatique comme du parti, le Front National, dont il a contribué à l’ascension  (il n’en n’était pas le créateur contrairement à une croyance tenace).

Elle percevait bien que le temps n’était plus à la nostalgie du régime de Vichy et à un nationalisme musclé et caricatural qui faisaient fuir les électeurs. L’image du partisan du Front National était incarnée par des personne bourrues, souvent en treillis militaire lors des parades du mouvement et, surtout, par des personnes d’âge avancé, survivants nostalgiques de tous les combats de l’immonde.

Marine Le Pen avait compris tout cela, il fallait donner au parti de son père dont elle a hérité la présidence une autre vitrine. Il faut dire qu’elle a des atouts que son père n’avait pas pour représenter un diable moins repoussant. C’est une jeune femme, assez jolie et d’apparence joviale. Elle avait compris que du côté des mœurs et de l’éducation, les dogmes chrétiens traditionalistes devaient se conformer aux transformations des sociétés.

D’ailleurs, sa vie personnelle ne pouvait se dissimuler derrière une petite fille sortant de la communion. Femme divorcée, fille de divorcée et beaucoup d’autres attributs de la société moderne, le diable ne pouvait porter le visage du sacristain dans l’office.

Au contraire de son père, elle est instruite, ancienne avocate de profession et maîtrisant un langage parfait. Toutes les qualités que son père n’avait pas. Ainsi, consciente de l’image repoussante de son père et de ses compagnons de route, elle voulait « dédiaboliser » le parti. Au passage, lorsqu’elle prononce ce mot c’est qu’elle confirme l’association du parti avec le diable.

Petit à petit nous avons vu apparaitre des lieutenant(e)s « bien de leurs personnes », habillés comme des jeunes cadres aux manières et langages policés qui prouvent leur niveau d’instruction. La jeunesse de Neuilly avait remplacé les baroudeurs du djebel. Polytechniciens, Énarques, Sciences Po et autres hautes extractions d’instruction, le diable avait changé de visage. Du moins pour ceux qui étaient les cadres et les porte-paroles du parti.

Parmi bien d’autres transformations, l’image la plus représentative de la tentative de dédiabolisation fut celle de la cravate. Lorsqu’en 2022 les résultats des législatives ont fait entrer en fracas 89 députés à l’Assemblée Nationale, elle avait exigé d’eux le port de la cravate et un comportement qui devait trancher avec l’image traditionnelle de l’extrême gauche (c’est peut-être la seule vérité dont on peut la créditer).

La dédiabolisation était en marche, il fallait attirer la bourgeoisie, les diplômés et les urbains des grandes villes vers un parti qui n’arrivait pas à recruter dans ces strates sociologiques.

Le diable portait une cravate, les personnes de cette catégorie qui avaient honte de se déclarer des partisans et des militants du parti ont fini par être envoûtées par lui.

Mais la dernière campagne des législatives du mois de juillet a prouvé que le Diable ne portait pas de cravate. Alors même que les scores électoraux sont un raz-de-marée en pourcentage, en voix et en sièges, la cravate factice du diable a laissé place à son véritable visage.

Nous avons vu des très nombreux partisans du Rassemblement National revenir à l’ancienne figure du diable. Des centaines d’écrits racistes, des candidats aussi caricaturaux et peu formés comme le fut l’iconique père Le Pen. La vulgarité et l’exubérance dans l’immonde avait refait surface.

Le diable avait voulu se dédiaboliser en portant une cravate. Il avait oublié que dans sa représentation symbolique dont nous avions parlé au début de cette chronique, personne ne l’aurait imaginé en cravate. Il avait oublié que dans la littérature et les légendes sa beauté envoutante dissimulait avec mal la fourche et les cornes du portier de l’Enfer.

Et pourtant le titre du célèbre film de David Frankel nous dit que « Le Diable s’habille  en Prada » (majuscule lorsqu’il s’agit du nom propre). C’est dire combien ce perfide tente de m’induire en erreur.

Boumediene Sid Lakhdar

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