Samedi 4 août 2018
Le FFS à la croisée des chemins
Que se passe-t-il donc au sein du plus vieux parti d’opposition ? Depuis son dernier congrès extraordinaire , ce parti a connu des mutations et des changements en profondeur dont les militants que nous avons interrogés peinent à saisir la portée.
Le FFS n’est pas défunt, mais affronte une énième crise interne qui risque de lui en coûter encore. Une pédagogie de la tension neutralise l’appareil.
Dans cette ambiance de purges et de coups bas, la vulgate partisane serait encline à évoquer un travail de sape mené par « la police politique », comme à chaque fois que le parti a vu sa direction se déchirer entre clans dont les contours, les ambitions et les intérêts n’ont pas toujours été clairs.
Mais une chose est claire : le congrès extraordinaire du congrès du 20 avril a redistribué les cartes au sein de la direction du parti.
Le drapeau noir hissé
Après l’ère du règne autoritaire des Balloul et Bouaiche, un nouveau clan a pris le contrôle de l’appareil du FFS, conduit par Ali Laskri et Mohand Amokrane Chérifi, expert économique à l’ONU et ancien bras droit de feu Aït Ahmed. Une opération d’élimination des hommes proches de l’ancien appareil est menée de main de maître depuis quelques mois.
Le leitmotiv des « nouveaux maîtres du FFS » est « remettre le FFS à ses militants ». Voilà un argumentaire qui pourrait plaire à cette base oubliée, qui ne comprend plus, depuis pas mal d’années, les décisions qui viennent d’en haut. Mais hélas, ceux qui connaissent la cuisine interne du FFS savent que l’allusion est faite à la neutralisation des frères Balloul à qui Aït Ahmed a «confié» le FFS – eh oui, il faut rappeler que c’est Aït Ahmed qui a cédé le parti à ce clan – graduellement depuis le début des années 2000.
Dès la fin du congrès, Ali Laskri et Mohand-Amokrane Chérifi ont mis en œuvre leur plan de réorganisation en profondeur. Sous le prétexte (défendable) de rajeunissement des structures du parti, ce plan a consisté à ramener du sang neuf tout en s’employant à éloigner l’ensemble de cadres du parti dits « proches des Balloul », à l’image de Madjid Reouar, le député Chaffaa Bouaiche et Salima Ghezali et bien sûr Karim et Aziz Balloul. Mais le FFS n’est pas à sa première opération de «purge ». Depuis le premier congrès post-Octobre 1988 et l’élimination de bon nombre d’anciens cadres du parti comme Yaha Abdelhafidh, jusqu’à Rachid Halet, les militants ont dû avaler bien des couleuvres.
Bref. Dans la foulée, Ali Laskri a invité tous les militants qui ont été éloignés du FFS. Bonne idée à priori. Des émissaires ont été même envoyés à certains pour revenir au parti, selon notre source. Entretemps, les sections et les fédérations ont été remplacées par des commissions administratives spéciales (CAS).
Ali Laskri et le premier secrétaire Hadj Djilani veillent personnellement à ce que « leurs hommes soient placés à la tête de chaque section ». Le FFS est presque le seul parti politique qui n’a pas pris de « congé ». Il tourne à plein régime sans pour autant que l’air devienne sain au sein de ses structures. Les sections de Paris et de Canada, qui semblent échapper à la mainmise de l’équipe dirigeante ont été tout simplement gelées par Mohamed Hadj Djilani. La voie royale pour reprendre tranquillement leur contrôle, car ces sections sont parmi les plus importantes eu égard au poids de l’émigration dans la capitale français et au Canada.
L’objectif des «nouveaux maîtres du FFS » (même si ceux-ci furent un temps d’anciens proches des Balloul), est clair : triompher au prochain congrès dont l’organisation est prévue pour le premier semestre de l’année prochaine, probablement même avant les élections présidentielles.
Mais Ali Laskri et ses compagnons, dans la précipitation de la mise en œuvre de leur plan, ont commis beaucoup d’erreurs, selon ce fin observateur des arrière-cuisines du parti. Résultat de ces décisions erratiques ? D’anciens militants qui avaient gagné un temps d’autres formations politiques, y compris le MAK, ont été nommés à des postes de responsabilités.
Ce genre de décision malheureuse, selon un vieux militant, ont permis ces derniers temps au clan des Balloul-Bouaiche, soutenu ouvertement par Jugurtha Aït Ahmed, de revenir sur la scène et de manœuvrer dans les coulisses ? «Ce clan, largement contesté au FFS, reproche au clan de Laskri de « bénéficier du soutien de la presse du régime en place et de celle des ennemis du FFS, ce qui n’est pas habituel », nous confie notre source. Ces rapprochements « inhabituels » pour ce parti d’opposition intriguent en effet les militants.
« Salima Ghezali sera notre candidate au prochain congrès et elle fera son entrée politique dès septembre prochain », nous confie une source du FFS. La hache de guerre est déterrée.
Au moment où les deux clans se livrent une bataille sans merci, des milliers de militants restent dans l’expectative et ne savent plus sur quel pied danser. Si la plupart des 900 élus du FFS ont choisi leur clan, les vrais militants de base ne savent pas quoi faire. « La plupart des militants ne comprennent pas vraiment ce qui se passe au sein de leur parti. D’autres sont restés neutres et n’espèrent qu’une issue favorable à leur parti », susurre ce jeune militant.
« C’est la politique des clans, comme le pouvoir. Les deux clans sont pareils. On ne peut pas choisir entre la peste et le choléra. La solution à mon sens est dans une troisième voie. Il faut que les militants de base réagissent et écartent les deux clans de l’appareil du parti et remettent le FFS entre de bonnes mains », nous déclara un ancien cadre du FFS. Mais cette option est peu probable vu que le temps urge. D’autant qu’une bonne partie des intellectuels et cadres de valeur du FFS ont pris leurs distances.
Sur le plan national, le parti est devenu inaudible, ses dernières propositions et sorties sont très peu relayées. Pendant que l’appareil du parti s’agite, sur le terrain, hormis une poignée de communiqués, le FFS est devenu quasiment absent.
Qu’est devenu le FFS des grands rassemblements populaires des années 1990 ? Que reste-t-il de ce mouvement né dans les entrailles des luttes de l’été 1962 ? Peu de choses finalement. Et la crise perpétuelle dans laquelle il patauge arrange en premier lieu le régime en place qui voit dans la neutralisation des partis ayant une base populaire comme une preuve de sa force.
Si ce parti né le 29 septembre 1963 refuse de mourir, les coups de dague qui lui sont portés au plus profond de son organisation ne seront pas sans conséquences. Installés dans leur superbe, les clans en œuvre pourront-ils se surpasser et éviter l’humiliation d’une énième guéguerre les mois prochains ? Attendons de voir.