Le rêve est important pour la société. Combien de fois l’avais-je dit dans mes chroniques ? Des dizaines de fois peut-être ou plus! Il faut rêver pour espérer, pour construire, pour aller de l’avant. Il faut rêver pour ne plus voir son horizon noirci par les incertitudes et les craintes.
Le Hirak, convenons-en bien, fut un moment de grande rêverie. Des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour demander une seule chose : le changement. Cela été le cri d’espoir du peuple à tous ces peine-à-jouir du système. Et le coup a réussi.
Le monde entier a entendu l’écho des aspirations algériennes exprimées avec pacifisme et sens de responsabilité. Mais pourquoi l’échec a suivi l’euphorie ? Pourquoi, à l’enthousiasme du départ, la routine et la fatigue ont-elles fini par l’emporter ? Les marches hebdomadaires du vendredi et du mardi se sont transformées, il est vrai, au fil des semaines, en un marathon folklorique inutile!
Le rêve s’est dissipé et le manque de leadership expressif a tué l’élan collectif des populations en colère, les plongeant dans le subjectivisme des courants politiques antagoniques. Ce qui a donné du free-time au système pour souffler, pérenniser et se régénérer.
Le Hirak a échoué, parce que le rêve a manqué de consistance, de densité et d’épaisseur. Le rêve a besoin d’être arrosé, nourri, entretenu en permanence. Le rêve a besoin du suivi continu.
Le rêve se cultive par l’école, l’université, le cinéma, le théâtre et les arts en général. En dramaturge actif, Kateb Yacine n’a-t-il pas changé beaucoup de choses chez la paysannerie traditionnelle algérienne ?
Grâce au théâtre ambulant, cet artiste-militant « engagé » a pu sillonner le pays de long en large, prospectant dans tous les sens ce qui constitue l’essence de la patrie ou de la nation algérienne. Son travail de terrain a pu explorer le gisement des compétences et des potentialités dont regorge l’Algérie des années 1970.
Imaginons maintenant Kateb Yacine, en intellectuel-casanier ne quittant plus jamais son bureau! Il ne sera, sans doute, alors qu’une moins-value au pays, fût-il le génie des génies. Je voudrais parler ici de l’ancrage, c’est-à-dire de l’ancrage de l’élite dans la société. Quand cette dernière est en lien avec le peuple, elle distille dans son esprit une dynamique de fusion. Autrement dit, une attirance-attraction objective à tous ses élans, ses démarches, ses initiatives.
Ce qui est de nature à favoriser une synergie patriotique susceptible de bousculer l’ordre du monde. L’ancrage émotionnel, idéel, idéologique de la crème sociale ne devrait, en aucun cas, être sous-estimé, au moment des épreuves cruciales que traverse le corps spirituel d’une nation.
Raconter sa société de l’intérieur ; vivre ses tourments et ses cris de cœur ; ressentir ses besoins ; tenter autant que faire se peut de réveiller sa sensibilité anesthésiée par l’arbitraire des oukases de la mauvaise gouvernance et agir en fonction d’une démarche réparatrice fondamentalement inclusive, est le début du « remembrement », si l’on ose dire ainsi, des parties éparses de la « conscience nationale », la nôtre, sérieusement déchiquetée.
Si j’évoque cette conscience nationale déchiquetée, c’est sans doute en raison du grand déracinement de notre élite! Regardons, à titre d’exemple, le lourd silence qui pèse, de nos jours, sur le destin des détenus d’opinion!
Une grave blessure dans l’intimité de tout un peuple qui s’est pourtant pacifiquement soulevé pour revendiquer ses droits, tous ses droits. Et qui se retrouve, excusez de peu, à « quémander » le simple droit à s’exprimer. Le droit le plus minimal, tout simplement bafoué dans cette soi-disant « Nouvelle Algérie »! Quelle désillusion!
Kamal Guerroua.