Jeudi 6 décembre 2018
Le jeu d’équilibriste du Qatar face aux pressions de MBS
Mohamed Ben Salmane (MBS) a-t-il réussi son pari d’isoler le Qatar ? Force est de constater que le boycott commercial de ce dernier par les pays du quartet (Arabie Saoudite, Égypte, Bahreïn, Emirates arabes unis) n’a eu jusque-là que des conséquences opposées à l’effet escompté, d’autant que les relations commerciales irano-qataries se sont davantage renforcées depuis le début de la crise en juin 2017.
D’ailleurs, nombre d’observateurs ont constaté que les produits alimentaires iraniens et turcs ont envahi les étals des magasins qataris, se substituant à ceux de ses voisins! De même, les exportations non-pétrolières iraniennes vers le Qatar se sont accrues à plus de 80 % au lendemain de l’instauration de cet embargo-là : plus de 250 millions de dollars pour la période de mars 2017-mars 2018.
Puis, les projets foisonnent entre les deux pays : nouvelles routes commerciales, une chambre de commerce conjointe, renforcement des liens bancaires ainsi que de la coopération maritime et portuaire, développement mutuel de gisements gaziers off-shore (North Dom au Qatar et South Pars en Iran), échange simultané d’étudiants, facilitation d’octrois de visas, etc.
Mais la république islamique représente-t-elle, pour autant, une solution pour le long terme afin que le Qatar arrive à contourner les sanctions de ses anciens partenaires du Conseil de coopération du Golfe (C.C.G)? Pas sûr, mais pas impossible en même temps ! Après avoir rétabli ses relations diplomatiques avec l’Iran en août 2017, faisant table rase de la première des treize exigences du quartet, le Qatar semble sûr de lui-même au milieu du chantage de ses frères-ennemis. D’abord, parce que la carte iranienne n’est pas la seule entre les mains du jeune émir Al-Thani.
L’alliance militaire de son pays avec les USA, (ces derniers possèdent, en effet, leur plus grande base militaire à l’étranger dans la région Al-Oubeid, avec environ onze mille hommes pour un contrat qui durera jusqu’en 2023), lui permettra de mieux résister aux pressions du quartet. Ensuite, parce que l’Iran lui-même table sur le transfert de la totalité de ses activités commerciales et financières, autrefois établies à Dubaï, vers le Qatar.
En revanche, cette double stratégie est pratiquement mise à mal par la réalité du terrain dans la mesure où le président américain Donald Trump voit d’un mauvais œil tout lien stratégique de l’un de ses alliés avec le régime des Ayatollahs. Les USA pensent que la crise au sein du CCG profite beaucoup à l’Iran, d’où l’urgence de la surmonter pour ne pas contredire leurs projets de refouler l’influence persane dans la région.
Le dos au mur, le Qatar essaie alors une espèce de numéro d’équilibriste, d’une part, pour que l’Iran ne l’utilise pas comme bouclier contre les sanctions américaines restaurées en août 2018 par Trump, après le retrait unilatéral des USA de l’accord sur le nucléaire du juillet 2015.
D’autre part, s’opposant à l’Iran sur la question syrienne depuis 2011,- contrairement à Téhéran, Doha ne soutenait pas Al-Assad -, le Qatar fait de son recours à l’Iran un choix tactique. Preuve en est, sa chaîne satellitaire «Al-Jazeera» critique sans ménagement la politique régionale de l’Iran et fait indirectement la promotion pour les mouvements de contestation interne contre le guide suprême et le président réformiste Rohani.