Le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie, Atmane Mazouz, a tenu ce samedi un meeting populaire à Tizi-Ouzou, au cours duquel il a délivré un message singulier et courageux.
Le président du RCD, Atmane Mazouz, a fait une intervention particulièrement remarquée par rapport à une scène politique marquée par le silence devant l’arbitraire et l’autoritarisme du pouvoir. Contrairement à la plupart des partis, Atmane Mazouz met comme préalable à tout changement de position de son parti la libération des détenus d’opinion. Nous vous livrons ci-dessous l’essentiel du discours du président du RCD à la maison de la culture Mouloud-Mammeri à Tizi-Ouzou
(…) « De la révolte de 1963 contre l’usurpation du pouvoir par l’armée des frontières et l’installation de la dictature du duo Boumediene-Ben Bella, à celle du printemps berbère 1980, de la révolte réprimée dans le sang de la jeunesse en 88 et les tragiques évènements de 2001, la région a consenti de lourds sacrifices pour le pays.
Permettez-moi de rendre hommage à toutes ces victimes de la libération du pays, du devoir national et des libertés démocratiques.
Chers amis,
Le coup de force de décembre 2019 a plongé le pays dans l’aventure et l’inconnu. Plus de soixante ans après l’Independence et plus de vingt ans après la victoire du peuple algérien sur le terrorisme islamiste, le pays est dirigé par des institutions frappées d’une illégitimité à tous les niveaux de la gouvernance.
Cette situation ne découle pas d’une fatalité mais d’un choix de sauver le système des privilèges au détriment de l’aspiration à la liberté, la justice et la démocratie portée par des millions d’Algériennes et d’Algériens durant des mois lors du mouvement de février 2019.
Ne pas rappeler cela, c’est verser dans le verbiage qui consiste à user de formules lyriques et de généralités qui ne gênent personne.
Ne pas rappeler cela revient à accréditer la fumisterie d’une nouvelle gouvernance pour l’Algérie où le personnel politique en poste à tous les niveaux est venu d’ailleurs que de l’ère de la forfaiture de Bouteflika qui a failli emporter le pays sans le sursaut de février 2019 pour stopper l’humiliation.(…)
Force est de constater que l’impasse politique, les incertitudes et les menaces qui pèsent sur le pays demeurent les mêmes sinon aggravés par la gestion du statu quo, la stigmatisation de régions entières du pays et l’instrumentalisation des divisions depuis décembre 2019. Le bilan de l’actuel chef de l’État est là.
Il est aussi dans les libertés bafouées, les milliers de citoyens et de militants qui sont passés par les prisons, des centaines y sont encore pour délit politique et d’opinion.
Il est dans les interdictions de sorties du territoire et même d’entrée maintenant loin de la justice pour ceux qui refusent le fait du prince ou de chanter les louanges de la fumisterie de la « nouvelle Algérie ».
Il est dans les dizaines de condamnations à morts dans un simulacre de procès intenté à une région.
Il est dans un nouveau code pénal qui place chaque citoyen sous la menace pour la moindre critique de la gestion des affaires publiques qui peut être transformée en atteinte à la souveraineté du pays ou au moral d’une institution, c’est-à-dire l’intégration du fameux article 87bis avec aggravation des peines encourues .
Il est enfin dans les décisions de dissolution ou de suspension des associations et partis, et de la nouvelle loi syndicale laquelle est à elle seule fera rougir le modèle des organisations de masses de l’ex-parti unique.
Pour le reste, vous le savez tous. Sans les revenus de l’industrie extractive (pétrole, gaz, autres minerais) et les cours élevés de ces richesses naturelles nous ne pouvons payer les salaires de la fonction publique, satisfaire nos besoins alimentaires ou soutenir un quelconque programme social. « Les dépenses publiques élevées et la croissance des importations pourraient exercées une pression croissante sur les équilibres budgétaires et commerciaux ».
En termes clairs, si les cours des hydrocarbures baissent, il faut opérer des révisions déchirantes ; c’est la conclusion du dernier rapport de la banque mondiale qui souligne par ailleurs le manque de données statistiques et les précautions à prendre sur les chiffres gouvernementaux. Tout le reste demeure de la littérature dans un pays que les jeunes continuent à fuir en masse, où le salaire mensuel minimum ne couvre pas la semaine, la monnaie dégringole, l’informel dicte sa loi, le chômage des jeunes est massif et les services de santé défaillants.
Chers amis
Je sais que le RCD est attendu sur son attitude à la veille d’une échéance électorale importante dans l’agenda constitutionnel du pays.
Vous savez aussi que de tout temps, la désignation du chef de l’État étant du ressort strict du collège des décideurs, l’essentiel des partis politiques se place dans ce moment en vue des autres échéances pour bénéficier de strapontins.
Souvenons-nous que cette région a eu droit à des députés et des maires à zéro voix attribuée pour services rendus. C’est dans l’ordre des mœurs du système qu’à l’approche des échéances électorales les appétits s’aiguisent, c’est aussi le bal des outrances pour être dans les bonnes grâces du régime.
Dans ce registre les attaques contre le RCD peuvent rapporter gros car il a bon dos en portant les libertés démocratiques, l’exigence de la souveraineté populaire pour l’exercice des responsabilités, la modernité, la laïcité de l’État, la régionalisation et une redistribution juste et transparente de la richesse produite pour que chacune et chacun vivent et élèvent leurs enfants dignement.
Ceux qui n’ont hérité de leur courant politique que la culture de tenir le bâton par le milieu sont déjà passés ici, pour semer dans la région les germes de la culpabilisation. Usant de formules galvaudées de l’anti-kabylisme ou du séparatisme, ils renvoient dos à dos les uns et les autres afin de montrer patte blanche. Leurs mentors savent pourtant que ce sont les deux faces d’une même pièce.
Mal instruit par notre histoire millénaire et enclin à voir dans les compromissions de simples compromis de conjoncture, ils désignent l’un et l’autre, comme des extrémismes nés ex-nihilo du système politique qui nous écrase pour fermer le débat sur leur instrumentalisation.
Je suis là, devant vous, et je veux bien poser quelques questions : qui a exclu la Kabylie des investissements au moment de la « Bahbouha » où seul le RCD a organisé des marches contre l’austérité qui frappe cette région ?
Qui a recruté et financé à grande échelle et dans l’impunité la campagne Zéro Kabyle pour désigner cette région comme le mal du pays ?
Qui a traité cette contrée de la résistance de région terroriste dans les médias officiels et étatiques ?
Qui a dressé des obstacles pour réprimer, interdire et empêcher que les partis politiques nationaux et légaux qui ont un ancrage certain en Kabylie n’activent pour sensibiliser et mobiliser les citoyens en faveur de solutions politiques pacifiques et démocratiques ?
Ils étaient où les autres ?
Vous étiez témoins de la soumission quasi générale et qui frise la servitude des acteurs politiques lorsqu’il fallait résister pour montrer la voie de l’honneur et garder une éthique politique dans ces moments de tourmente.
Ayant pris toutes ses responsabilités durant toutes les conjonctures difficiles, le RCD se présente à vous pour continuer la lutte, exiger l’ouverture d’un débat national le plus libre et chercher des convergences pour la construction d’un projet alternatif qui passe inconditionnellement par une transition démocratique qui restitue la souveraineté de notre peuple.
Les citoyens de Kabylie n’ont pas de patrie de rechange que l’Algérie à laquelle leurs parents, dans chaque village et dans chaque famille, ont consenti le sacrifice suprême. Ils n’ont pas aussi une autre Kabylie avec son cœur battant pour les libertés, la promotion de tamazight, la tolérance et l’aspiration à la modernité et à l’ouverture sur le monde.
Pour le RCD, le prolongement naturel de l’indépendance du pays n’est pas dans le repli sur soi. Il est dans la concrétisation d’un espace nord africain sans frontières. Cette aspiration des pères de l’indépendance de chaque pays est antinomique avec le maintien des régimes autoritaires.
Alors, personne ne sous intimidera ni nous culpabilisera et nous réaffirmons, encore ici, avec force :
OUI, nous sommes pour un État unitaire régionalisé avec des prérogatives larges aux régions,
OUI, nous sommes pour la laïcité de l’État,
OUI, nous sommes pour une école sans tutelle religieuse,
OUI et OUI, nous avons appelé publiquement et nous appellerons encore à organiser des actions et des marches unitaires pacifiques autour des valeurs du 20 avril avec tous les militants politiques.
Oui, nous sommes solidaires avec le peuple palestinien qui subit un génocide mais nous ne marcherons pas derrières un pouvoir qui réprime son peuple ni avec une ligue arabe dont les États sont les premiers à trahir la cause palestinienne.
C’est dans notre ADN d’appeler et d’œuvrer au rassemblement sur Tamazight, sur les libertés démocratiques et sur le respect des droits de l’homme. Nous avons arraché dans la lutte « le droit » d’avancer à visage découvert.
Nous l’avons fait en 1980 en défiant tous les appareils de l’époque, nous avons pris nos responsabilités patriotiques dans la lutte contre le terrorisme islamiste et nous avons été aux cotés des détenus politiques et d’opinion dans les tribunaux, chez leurs familles au moment où d’autres se terraient et se taisaient.
Seuls ceux qui se cachent dans les moments de tourmente convoquent l’invective, la victimisation et les morts pour maquiller leurs renoncements.
Chers amis,
Notre appel à un débat national pour sortir le pays de l’impasse ne date pas de la dernière semaine. Le RCD qui a été un véritable pôle de regroupement lors du mouvement de février 2019 et qui est un des initiateurs majeurs du pacte pour l’alternative démocratique a repris ses contacts avec tous les courants politiques au lendemain de son congrès de juin 2022.
Il a fait de l’ouverture du débat pour instaurer des conditions normales d’exercice de la politique son cheval de bataille à travers deux résolutions de son conseil national.
Si, à commencer par ceux qui détiennent la décision, d’autres se rangent du côté du débat, de la discussion et de la négociation dans la transparence, le RCD ne peut que s’en féliciter.
Dans un tel cas la finalité est de rendre au peuple sa souveraineté pour élire librement des représentants à des institutions qu’il aura choisies. Ce qui demande volonté politique, apaisement et compromis loin d’une campagne électorale dont l’objet est précisément la compétition.
Pour être clair, au RCD, c’est l’absence ou la réunion des conditions minimales de compétition électorale qui déterminera l’attitude de notre parti.
Pour l’heure, notre préoccupation est de débattre avec les citoyens des moyens de sortie de crise qui suppose préalablement la libération des détenus politiques et d’opinion, l’arrêt de la répression, le rétablissement des libertés fondamentales et la liberté de la presse
Je vous remercie
Vive l’Algérie, vive nos régions et vive la Kabylie
Tizi-Ouzou, le 25 mai 2024
Atmane Mazouz
Président du RCD