23 novembre 2024
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Le mouvement de Mai 1981 ou l’autre pilier du Printemps berbère (II)

Il existe hélas dans l’Histoire des événements importants qui ont été occultés par les observateurs avant d’être mis définitivement sous le boisseau. Si ce n’était la vigilance de ses acteurs, c’est ce qui aurait pu arriver au mouvement du « 19 mai 1981 » de la Soummam et de Bgayet. Probablement parce que la région est enclavée, assez éloignée du centre médiatique et ne possédant pas à l’époque de pôle universitaire. (Deuxième partie)

Par Gérard Lamari

L’acte fondateur

La finalité de cette partie n’est pas d’égrener les classiques dates, ni de rappeler nos « faits d’armes ». Ce devoir de mémoire consiste à apporter modestement des éclairages tant sur ce qui n’a pas encore été dit ou écrit, que sur l’état d’esprit qui nous animait.

Comme on le sait, l’année 1980 fut très riche en événements. L’historiographie du Printemps berbère est assez abondante quoiqu’encore imbibée de relents partisans, et donc toujours malheureusement d’objectivité incertaine. Des essais de rang universitaires commencent cependant à voir le jour, et c’est tant mieux.

C’est le 12 janvier 1980 que fut célébré pour la première fois Yennayer[1]. L’acte eut lieu à l’université de Tizi-Ouzou. Les trois campus[2] y participèrent avec un enthousiasme débordant. Habillées en tenues kabyles, je trouvais les étudiantes particulièrement élégantes. Si on devait attribuer une prime spéciale pour l’occasion, on devrait la leur accorder car, de plus, elles montrèrent ce jour-là leur capacité de gestion de l’événementiel. Ce fut réellement féérique malgré nos modestes moyens. Rendons aussi un hommage particulier à la mémoire de feu Djaffar Ouahioune[3] qui fut un artisan essentiel de cette renaissance de l’an Berbère.

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Yennayer 2930 scella ainsi définitivement la libération de l’université.

 

Le mouvement de Mai 1981 ou l’autre pilier du Printemps berbère (I)

L’université prenait le large et commençait à jouer un rôle rayonnant. Nous étions en même temps épiés par la direction locale du FLN qui attendait sans doute un faux-pas. En dépit de la surveillance dont faisait l’objet notre comité, nous vécûmes, de janvier à début mars 1980, une période plutôt sereine et confiante.

Vint le 10 mars 1980.

Le jour de la conférence tant attendue de Mouloud Mammeri est enfin arrivé. Cette douce journée qui présageait un beau printemps allait finalement voir son crépuscule se transformer en cauchemar.

A mesure que 14h30 approchait, la foule s’agglutinait autour du restaurant universitaire d’Ihesnawen, lieu de la conférence. Nous ouvrîmes les portes en avance, espérant que la salle – c’était la plus grande dont était dotée le campus – pourrait contenir le public. Nous n’avions pourtant annoncé l’événement que par trois ou quatre affiches manuscrites accolées aux murs…

Le mouvement de Mai 1981 ou l’autre pilier du Printemps berbère (III)

Le flux des voitures s’amplifiant, le parking de l’université s’avéra rapidement trop exigu. Les dernières arrivées durent se garer le long du chemin montant vers le stade. L’ambiance faisait penser à un grand match de foot.

L’affluence était nombreuse[4] et beaucoup de personnes durent se résigner à des places debout au fond de la salle, ou vers l’aile latérale. L’auditoire était d’âge varié et beaucoup de personnes firent le déplacement d’Alger, de Bgayet, etc. L’ambiance détendue se voyait sur les visages souriants des convives. Personne ne pouvait imager que le grand écrivain serait interdit de conférence. Qui plus est, dans une enceinte universitaire, chez lui en Kabylie !

La poésie kabyle ancienne serait donc suspecte, voire dangereuse…

Que dire d’autre si ce n’est que ce fait est révélateur de la culture funeste et néfaste du régime algérien ?

Quant à nous, nous comprîmes en complément que les autorités locales (le mouhafed notamment) remettaient à jour le contentieux de l’automne 79.

La salle était bondée lorsqu’on me fit savoir que Mouloud Mammeri se trouvait au standard de Oued-Aïssi et qu’il souhaitait rencontrer les organisateurs.

J’accourus sur le champ avec un étudiant d’Ihasnawen. Accompagné de Salem Chaker, le conférencier nous confirma que le wali lui avait signifié qu’il était une persona non grata à Tizi-Ouzou. Car nous voulions l’utiliser pour poursuivre des objectifs antirévolutionnaires. Désarmant !

En parallèle, nos camarades restés avec le public durent faire passer la pilule : la conférence est annulée. Ils ne purent donner d’explications par manque d’informations. Abasourdis, les gens repartirent, amères mais calmement, qui à Alger qui à Bgayet. Plus qu’un malaise, ils ressentirent l’humiliation, l’écrasement, l’écrabouillement : la Kabylie n’était plus rien !

Pour nous, il s’ensuivit le sempiternel « que faire ? ».

Je me souviens que nous étions désemparés sur le coup. Avec Tari Aziz et Taleb Mohammed[5], nous nous réunîmes en aparté pour envisager la suite. Il fallait réagir, mais comment ? Après un long moment de silence, je pris la parole pour expliquer à mes camarades que nous avions en face de nous une machine qui pourrait nous broyer et qu’il fallait nous limiter à marquer notre désapprobation : organiser une grève comme initiative basse ou à la limite un sit-in devant la Wilaya comme initiative haute. Pour moi, il fallait simplement sauver l’honneur. Pour Aziz, c’était l’occasion de bondir vers une révolte à ciel ouvert. Ses arguments firent mouche et nous convainquirent sur le champ.

Nous ne savions pas que nous étions sur le point de déverrouiller une frustration ancestrale.

Il arrive que le déterminisme historique prenne une accélération inattendue par le fait d’une personne ou d’un petit groupe. C’est ce qui se passa ce 10 mars 1980.

La manifestation fut préparée le soir même dans l’amphi de Oued-Aïssi avec l’ensemble des étudiants de sciences exactes. Les dernières banderoles furent peintes au petit matin. Les supports étaient nos draps ficelés à des bâtons de fortune. Le lendemain, à 8 heures du matin, nous étions tous à Ihasnawen pour faire converger les étudiants des sciences sociales vers le restaurant universitaire. L’objectif était de tenir une assemblée générale pour faire passer le message de la manifestation. La réunion fut finalement une AG-éclair car il n’y eut que deux interventions pour convaincre les étudiants de la nécessité d’une marche : la mienne suivie de celle Aziz.

Le 11 mars vers 10 heures, notre cortège de 1 500 étudiants s’ébranla depuis le portail d’Ihasnawen. Les anciens d’El-Hammadia[6] formaient le premier rang. Surpris, les flics ne purent réagir sur l’instant. Nous ne rencontrâmes leur maigre barrière que vers le milieu de la côte menant à l’hôpital Nedir. Le commissaire principal tenta de nous intimider, mais la poussée vigoureuse des manifestants fit céder le barrage. Il n’y eut plus d’obstacles par la suite.

Arrivés à la cité des Genêts, des youyous commencèrent à fuser des balcons. Mes cheveux s’hérissèrent d’émotion. Machinalement, nous hissâmes fièrement plus haut nos banderoles. Le slogan principal nous vint en pleine manifestation : « neϵya di lbatel, tamaziγt mazal tella »[7]. Nous passâmes par le lycée Amirouche et fîmes une halte devant la wilaya. Nous trouvâmes le portail barricadé. Le wali devait probablement craindre une dégénérescence de la manifestation. Après la halte, nous reprîmes notre marche. Notre réponse à l’affront était inespérée et nous rendit heureux même si elle compromettait notre avenir.

Avant de revenir au campus d’Ihanawen, Aziz, Taleb et moi nous congratulons chaleureusement ; nous nous murmurâmes cet « au revoir et bonne chance » qui signifiait que désormais tout pouvait nous arriver.

C’est au niveau d’Ihasnawen que je m’aperçus de l’immense foule. Les deux tours des artères ont donc entrainé l’adhésion-participation de la ville. Par ce temps radieux, le débriefing improvisé en plein air et sans sono, fut mine de rien le tout premier meeting populaire libre de l’Algérie postcoloniale.

Le Printemps berbère venait d’être lancé !

Le lendemain, nous ne perdions pas de temps d’autant plus que les lycéens se mirent en grève par solidarité. Nous nous activions à la rédaction d’une lettre ouverte au président de la république. Ne disposant pas de machine à écrire, nous la présenterons sous la forme manuscrite. Nous organisâmes un petit concours d’écriture aux étudiants, puis choisîmes les 10 meilleures copies. Il était prévu que nos délégations les acheminent sous cette forme aux différents ministères, ainsi qu’au Secrétaire Général de la présidence. Puis nous finîmes par récupérer une machine à écrire[8]. La lettre ouverte finissait par l’exigence de la reconnaissance de la langue berbère comme langue officielle (sic !).

La revendication de « langue officielle » figurait déjà dans notre tout premier texte (12 mars 80) qui fut du reste largement diffusé. A ce moment, le mouvement était strictement étudiant et pas encore généralisé à la communauté universitaire. Pour favoriser le consensus avec les enseignants du PRS[9] et les modérés du FFS, nous avions abandonné, la mort dans l’âme, le slogan phare de « Tamazight langue officielle ». Au profit de « langues nationales » et de « unité dans la diversité ».

Dès le 20 avril, le PRS adresse une lettre de soutien au pouvoir, puis disparait suite à des dissensions internes. Il n’y eut, suite à cette lettre de soutien, aucun détenu PRS. A ce propos, il serait intéressant de prendre connaissance de leur brochure jaune produite à l’époque.

Le FFS s’est en parallèle divisé entre politiques et culturalistes. Les politiques conséquents furent mis en prison avec nous. Il serait intéressant de lire leurs témoignages, mais il n’y en a pas pour le moment.

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L’effervescence va monter crescendo et s’étendre en même temps : grèves des lycéens de toute la région, mobilisation des usines et même du personnel de l’hôpital de Tizi. La vallée de la Soummam ainsi que la ville de Bgayet s’étaient mises en branle à leur tour. Les premières arrestations[10], les calomnies de la presse du régime (dont l’article ordurier contre Mouloud Mammeri) nous amenèrent à décider d’une deuxième manifestation (26 mars). Elle se déroula sans heurts. Elle avait aussi pour but d’alerter l’opinion sur les cas de Mokrane Chemime et d’Arezki Abboute qui furent arrêtés quelques jours plus tôt pour cause de distribution de tracts. L’absolutisme du régime était ce à point. Arezki notamment a été lourdement torturé. Il a produit en liberté un témoignage de supplices dignes des Goulags russes.

Nous n’avions pas encore suffisamment de poids pour exiger leur libération. Plus tard, nous les retrouverons comme codétenus à la prison de Berrouaghia. Mokrane me racontera qu’alors maltraité dans les locaux de la gendarmerie, il discernait, larmes de bonheur aux yeux, les clameurs de notre marche.

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Un virage décisif sera opéré avec la manifestation du 7 avril à Alger.

Quelques jours auparavant, circulaient des rumeurs selon lesquelles une manifestation se préparait à Alger. Et que des hommes de culture comme Kateb Yacine y participeraient. Des amis enseignants nous le confirmèrent la veille. Nous menâmes en urgence une AG (elle eut lieu en fin d’après-midi du 6 avril) qui décida de participer massivement à la marche. Il était important de désenclaver le mouvement. Dès la fin de la réunion, nous (Aziz, Djaffar et moi) courûmes en catimini au rendez-vous fixé avec l’ami feu Brahim[11]. Nous bourrâmes le coffre de sa 404 Peugeot de banderoles et de tracts, puis nous filâmes vers Alger. Nous déchargeâmes le tout chez le frère de Aziz à Télemly puis nous fonçâmes avec Hend vers Ben Aknoun pour rencontrer vers 23 heures le comité étudiant : Bacha, Boukrif, Brahimi. Après un rapide échange sur la situation, nous primes rendez-vous pour le lendemain à la bibliothèque universitaire (B.U.) de la fac centrale. Objectif : distribuer notre lettre ouverte accompagnée du texte de Mammeri répondant à la diffamation subie dans les colonnes d’El-Moudjahid.

La journée du 7 avril sera rude mais nous basculera dans un autre monde : celui de la liberté affichée.

Nous inondons la fac centrale d’Alger de notre prose, puis nous nous dépêchons de nous rendre à la place du 1er Mai. La marche était prévue pour 10 heures. Arrivé sur place, je trouve cent à deux cents personnes qui se regardaient dans le blanc de l’œil. Personne ne semblait reconnaitre personne. Je fus aussi frappé par l’absence des étudiants de Tizi. J’appris plus tard que tous les bus étaient bloqués dès le matin, et que le train Tizi-Alger, rempli d’étudiants, était stoppé à Ménerville (Thénia). Seuls quelques camarades véhiculés purent passer à travers les mailles.

Pas de banderoles apparentes, pas de mots d’ordres. Un petit groupe (étaient-ce les organisateurs, étaient-ce les services du pouvoir ?) nous orientât vers l’arrière de l’hôpital Mustapha, i.e. vers un parcours excentré et qui nous éloignant du centre-ville. Bizarre !

Nous parcourûmes quelques dizaines de mètres avant de nous engouffrer dans une rue-traquenard longeant l’enceinte de l’hôpital. C’est à ce niveau que les forces de l’ordre sortirent de tous les côtés. Coincés par le mur sur notre aile droite et agressés sur notre gauche par des flics en surnombre, nous n’avions aucune échappatoire. A part finir dans les geôles du commissariat central. C’est ce qui est arrivé à la majorité d’entre nous. Je me souviens de Hend Sadi, qui, voulant se faire passer pour un journaliste, prenait des photos. Le subterfuge ne tint pas et il fut poussé sans ménagement dans un fourgon de police. «Imazighen » mugit-t-il avant que la porte arrière ne se referme sur lui.

J’eu pour ma part la chance d’en réchapper en prenant la poudre d’escampette en courant sur les capots et toits des voitures stationnées. Me voyant faire, Aziz prît mon exemple. Il y eut ce jour-là plus de cent arrestations. Mustapha Bacha et Salah Boukrif en faisaient partie.

De toutes les manifestations organisées en 1980, celle-là fut certainement la plus mal préparée. Mais elle permit d’amorcer un tournant positif.

Je repartis à la fac centrale donner un coup de main aux étudiants qui s’étaient mobilisés pour faire libérer les détenus du jour. Nous tentâmes plusieurs sorties, mais les forces de l’ordre, nombreuses, obstruaient totalement le portail. Cela a duré toute la journée. Notre ténacité a tout de même permis la libération de la plupart de nos camarades en début de soirée.

En parallèle, l’université de Tizi-Ouzou décréta une occupation illimitée. Cela signifiait que l’université était en grève, que son fonctionnement était stoppé et qu’enfin elle était désormais libre et entre les mains des insurgés.

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Je retrouve Tizi le 8 avril au soir. Je fus accueilli comme un maquisard revenant du front. En seulement deux jours d’absence, je découvris une ambiance radicalement nouvelle. Un Comité anti-répression fut créé. Pour gérer l’occupation de l’université ainsi que l’organisation du mouvement, le comité se déclina en quatre commissions. Le climat général était exceptionnellement fraternel. La période 8 avril au 19 avril fut incontestablement la plus riche de toutes. Notre université était le centre du monde. Les médias occidentaux couvraient largement notre mouvement tandis que ceux du pouvoir nos insultaient. La dichotomie nous amusait et les blagues allaient bon train.

Personne ne ménageait ses efforts. Je dormais si peu que je fus « heureux » d’être arrêté le 20 au petit matin : je pensais naïvement pouvoir me reposer tranquillement dans une cellule. Ces 12 jours qui ébranlèrent le système furent vraiment uniques et ne se reproduisirent plus. Nous recevions de partout des délégations apportant des motions de soutien. Elles étaient pêle-mêle signées « Etudiants kabyles d’Oran », « Groupe kabyle de l’université de Constantine », ou encore « Collectif des étudiants kabyles de… ». Après échanges les visiteurs repartaient avec nos papiers et des informations.

L’université était devenue un haut lieu culturel. Les activités s’y succédaient quasiment 24 heures sur 24. On pouvait par exemple assister à une représentation théâtrale à 2 heures du matin ou écouter un groupe de musique à 4 heures. Il y eut beaucoup de conférences sur la langue, la civilisation berbère, etc. Bref, tous les interdits de scène eurent leur moment de gloire au campus d’Ihasnawen. En parallèle, l’université restait ouverte à la population. Le comité de vigilance qui filtrait les entrées ne jouait qu’un rôle symbolique.

Deux jours après le début de l’occupation, une foule plus importante vint nous demander de plus amples informations sur ce qui se passait dans les autres villes et villages de Kabylie. Des échanges se produisirent mais ils s’avéraient insuffisants au vu de l’ampleur des événements (manifestations à Azazga, Akbou, occupation du lycée de Michelet, interpellations, …). Pour pallier au manque et pour avoir un panoramique de la situation, nous installâmes un podium sonorisé devant la B.U. Vers midi, nous diffuserons notre premier bulletin d’information ; inviterons les gens à émettre celles en leur possession. Un réseau social avant l’heure venait ainsi d’être mis sur pied !

Cela rentrera dans les mœurs. A partir de ce jour, la population descendait à midi précises suivre et commenter le bulletin du mouvement. Radio libre sans ondes…

Durant toute l’occupation, l’ambiance était exceptionnelle. L’université était une véritable ruche. Etudiants, enseignants et travailleurs formaient une unité sans distinctions. Les textes diffusés étaient généralement destinés à la population et étaient signés « Communauté Universitaire ». Les filles commençaient à s’affirmer, rompant par-là avec la tutelle paternelle. Un bouleversement des mœurs était entrain de s’opérer sous nos yeux.

Désemparée, la dictature ne sut gérer ce mouvement d’un genre nouveau. Obnubilée par le chimérique « complot », elle ne pouvait apporter de réponse positive à la fronde berbère aux relents libertaires. Son seul souhait était de faire éteindre le volcan. Elle réagit comme elle le fît pour les poseurs de bombes[12] ou le faux-largage d’armes à Cap Sigli[13] : énorme campagne de presse diffamatoire visant à discréditer toute une jeunesse en lutte.

Durant ces journées, nous nous posions en filigrane la question logistique : et si le pouvoir décidait de bloquer les livraisons au restaurant universitaire ? Il ne le fit sans doute pas par peur de voir la Cité des Genêts toute proche prendre en charge la restauration. Un pas supplémentaire aurait été franchi : l’unité université-quartiers !

Parallèlement, il fallait préciser nos revendications. Nous en dressâmes deux volets : la question berbère et les libertés démocratiques. Rédigée à la hâte la veille par Djamel, Aziz, Gérard et Ramdane Hakem, elle fut adoptée sans réserve le lendemain devant la communauté universitaire. Elle sera soumise publiquement au ministre Abdelhamid Bererhi qui nous dira, en l’occurrence, que le dossier culturel était ouvert.

Nous étions à trois jours de la grande répression…

Nonobstant, notre force était inhérente à notre stratégie, à savoir le fondement pacifique et l’expression massive du mouvement. Nous étions particulièrement vigilants sur ces deux points.

En seulement quelques jours, nous emmagasinâmes une expérience exceptionnelle. Du 7 au 20 avril 80, nous gagnâmes vingt ans de maturité et d’assurance. A partir de notre libération de la prison de Berrouaghia[14], nous serons considérés comme de vieux routiers du militantisme, solides et inébranlables. Je n’avais, pour ma part, que 22 ans…

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Vint en juillet 80 le séminaire de Yakouren. Les principaux animateurs du mouvement s’y sont retrouvés. Une brochure développant et argumentant des propositions de changements fut rédigée, puis diffusée. Ce, en attendant la réponse du pouvoir. Cette dernière viendra suite aux débats nationaux sur la « charte culturelle » de février 1981. L’affirmation est uniciste et sans appel : la civilisation constitutive de l’Algérie est exclusivement arabo-islamique !

Une nouvelle confrontation était inéluctable… (A suivre)

Gérard Lamari

Notes

[1] Nouvel an berbère.

[2] Oued-Aïssi, Ihasnawen et M’douha (cité de jeunes filles).

[3] Il sera lâchement assassiné en mai 1997 devant ses élèves à Ath Yenni.

[4] La conférence de Kateb Yacine sur « La révolution culturelle » (fin 1980 il me semble) drainera aussi un public très nombreux. Nous dûmes même installer des hauts parleurs à l’extérieur de la salle. L’écrivain lancera d’ailleurs un défi aux autorités en leur demandant un stade pour s’exprimer. Nous fîmes, quelques jours plus tard, la démarche auprès du wali qui refusa.

[5] Etudiant en physique, il était l’une des voix de notre groupe. Il a abandonné le militantisme suite à la répression du 20 Avril.

[6] Rabia, Djamel Belhabib, Gérard, Aziz, Djamel Allam, Hamid, Liès Adjou…

[7] Ral le bol des injustices, le berbère est encore présent.

[8] Ramdane Achab nous tapera le texte à la dactilo.

[9] Parti de la Révolution Socialiste de Boudiaf (de tendance encore un tantinet maoïste à l’époque). Ennemi juré du PAGS stalinien réformiste et entriste sur la stratégie révolutionnaire… Mais ces deux Formations, totalement clandestine pour la première et semi-clandestine pour la seconde, nous étaient étrangères. Notre lumière était le renouveau. Nos intuitions nous donnèrent raison in fine.

[10] Arezki About, Mokrane Chemime.

[11] Je tiens à rendre un hommage tout particulier à Brahim le taxieur. Militant de l’ombre, il n’a jamais refusé nos sollicitations. La plupart des transports et acheminements délicats se feront dans son taxi. Un ulcère sévère aura malheureusement raison de sa santé.

[12] Le Groupe de Haroun posa le 5 janvier 1976 trois bombes, l’une au siège du journal El-Moudjahid, et les deux autres au niveau des tribunaux militaires d’Oran et de Constantine. Noyauté, ce groupe fut immédiatement arrêté et inhumainement torturé.

[13] A la période où Boumedienne agonisait, les médias algériens firent leur chou gras sur l’affaire du largage d’armes à Cap Sigli (12 décembre 1978). Un avion-cargo marocain devait larguer des armes à des opposants. Autre grosse couleuvre dirions-nous…

[14] Libération des 24 détenus le 25 juin 1980.

2 Commentaires

  1. C’était nos premiers moments de liberté : S’exprimer librement, manifester sans peur au ventre et même défier la police et les autorités qui n’arrivaient plus à nous convaincre avec leur propagande. Une manifestation a été organisée par les autorités, en faisant marcher des ouvriers de chantiers, des femmes et hommes de ménage, des gardiens d’immeubles ou chantiers, etc…. , qui ignoraient complètement la raison de leur marche mais qui ont bénéficié d’une demi-journée chômée et payée.

  2. Merci pour cette restrospective,j etais au LTE Dellys et meme les cooperants techniques etaient avec nous,je m en rappelle,la direction,Mr Boutaghou,M benAmeur et dda el Mouloud Chekroune ont mis a notre disposition des bus de la SNTV pour descendre a Tizi,de tres bons moments,c etait la liesse partout,merci beaucoup Mr Lamari.

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