Elle est en retard m’avait dit un ami à l’aéroport. J’étais surpris car c’était un homme que nous attendions et non une femme. Ce jour-là j’avais compris la méprise de cet ami, dont le niveau de culture et de francophonie ne pouvaient être mis en doute.
Il avait toujours gardé dans son esprit que l’avion se disait au féminin en Algérie, tayara. Et voilà pourquoi elle était en retard, cet avion. Je l’avais déjà entendu auparavant dire, elle a décidé en parlant du gouvernement. Avec le recul je me suis rendu compte de cette autre méprise car le gouvernement se dit au féminin en Algérie, el houkouma. Ce qui d’ailleurs est très étonnant vu l’article masculin.
C’est lorsque vous découvrez une chose pour la première fois que vous vous apercevez que cela a toujours été les cas autour de vous par toutes les personnes de votre entourage, proches ou lointaines. L’avion n’est pas arrivé, elle est en retard, n’était donc que l’échantillon d’une généralité.
Voilà que le très ancien et banal questionnement réapparaît, pourquoi attribue-t-on un genre aux noms des objets ou des concepts alors qu’ils ne sont ni des être humains ni des animaux qui possèdent un genre physique ?
Des décennies que j’essaie de trouver ou supposer une réponse. Vous allez me dire que je ne suis pas très doué vu les tonnes de références dans les bibliothèques et sur Internet. Je défie pourtant tout lecteur de me convaincre qu’il puisse en trouver une de stable.
La raison est que pour ce sujet, l’érudit qui me parle d’une origine sémantique, sociologique, linguistique, sémiologique, philologique, j’ai une tendance à penser qu’il n’a pas la réponse claire et précise en noyant le poisson avec des mots et des références plus impressionnants qu’efficaces.
Puis ensuite parce que chacun y va de son explication et de ses suppositions, souvent contradictoires avec celles des autres.
Oh bien sûr, ils vous publieront des articles très savants sur l’origine historique des variations lexicales et orthographiques comme par exemple les mots masculins avec pourtant une terminaison du féminin comme lycée ou musée. C’est impressionnant d’intelligence (vraiment) mais expliquer les variations au cours du temps ne nous dit pas pourquoi il y a des genres en toute chose.
Comme toujours en sciences sociales dont la linguistique fait partie il faut se réfugier vers une valeur sûre, l’usage. Mais il est vrai que l’usage part toujours de quelque part. Avec cette remarque de bon sens nous pouvons racheter ces malheureux érudits en leur concédant un point d’accord, tout vient de l’origine latine des mots, elle même issue du grec, de l’étrusque (anciennement dans l’Italie actuelle) ou le phénicien. Tout cela agrégé en Europe dans ce qu’on appelle les langues indo-européennes (de l’Inde à l’Europe).
Là nous détenons quelque chose de plus clair qu’ils nous apportent car le latin avait trois genres, le masculin, le féminin et le neutre. Les deux premiers réservés aux être humains et le neutre pour les autres. Ce fameux neutre que les anglo-saxons utilisent encore.
Jusque là le neutre répondait à notre questionnement du départ, il n’y avait pas d’ambiguïté. Oui mais voilà, le neutre s’est enfuit et a laisser les deux autres genres se débrouiller avec les objets et les concepts. Que serait la neutralité s’il fallait s’engager ? Restés seuls et pour ne pas s’entre-déchirer, le masculin et le féminin ont trouvé un juge de paix pour le partage, se sera l’usage comme nous l’avons déjà dit.
Sous le couvert de l’humour l’explication est très sérieuse et nous sort un peu du brouillard des érudits. Mais ce n’est encore pas suffisant car pour une explication définitive il nous manque les raisons pour lesquelles l’usage a tranché pour chacun des noms..
Est-ce par la forme suggestive des objets ou la fonction des objets réservée particulièrement à l’un ou à l’autre ? Nous le saurons un jour peut-être.
En attendant, ce qui est certain est que le partage ne signifie pas l’égalité dans la répartition. Un homme et dix-huit femmes dans une salle, on dira pourtant qu’ils sont tous là, le masculin l’emportant sans aucune explication grammaticale justifiée. Quelles que soient les raisons, il y a toujours la même perdante, c’est la femme.
Bon, pour le moment je vous quitte, j’ai une tayara à prendre.
Boumediene Sid Lakhdar