18 avril 2024
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Le “peuple et son armée” ? “L’armée et son peuple” ?

NOUR-EDDINE BOUKROUH

Le “peuple et son armée” ? “L’armée et son peuple” ?

Cette question s’impose après la lecture de l’éditorial du dernier numéro de la revue « El-Djeich » (paru le 8 mars), organe mensuel du ministère de la Défense nationale.

Elle devrait être adressée à l’auteur de l’éditorial, mais on sait qu’un éditorial reflète le point de vue officiel de l’entreprise ou de l’institution qui le possède. D’où, souvent, son anonymat.

En l’occurrence, c’est l’armée, représentée par le ministre de la Défense nationale qui, chez nous, se trouve être le président Bouteflika.
Etant absent de ses fonctions, le vice-ministre de la Défense le remplace pour ce qui touche aux affaires militaires et même un peu plus puisque depuis quinze jours on ne voit et n’entend que lui sur la scène politique, d’abord menaçant, puis rassurant.

C’est donc à lui que sera posée sans enthousiasme la problématique car quiconque l’a entendu cet après-midi sait à quelle école il appartient : celle de « L’armée et son peuple ».

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Monsieur le vice-ministre de la Défense, général de corps d’armée et chef d’état-major Gaïd Salah, j’aimerais, avec votre permission, vous signaler quelques légères erreurs apparaissant dans cet éditorial, avec l’espoir que vous ne tarderez pas à ordonner leur rectification pour éviter leur réitération à l’avenir.

1) « Les acquis réalisés par notre armée dans nombre de domaines, sa présence inconditionnelle aux côtés de sa nation dans toutes les épreuves endurées par le pays, démontrent l’attachement du peuple à son armée, leur cohésion, leur communauté de destin, l’unité de leur vision de l’avenir, parce que tous les deux appartiennent à une seule patrie…»

Quand on les lit sans s’appesantir sur le sens des mots-clés (armée, nation, peuple, patrie), ces lignes paraissent tout ce qu’il y a de normal. Elles sont même rassurantes et touchantes en cette phase décisive que traverse le pays. Mais quand on les lit en scrutant leur sens profond, on découvre une confusion dans leur emploi.

On sait que le mot « nation » recouvre l’ensemble des éléments constitutifs d’un pays : ses habitants, son territoire et son appareil étatique déployé en la forme d’institutions diverses et complémentaires (Gouvernement, Parlement, Administration, Conseils…).

L’armée ne peut pas se tenir « aux côtés de sa nation » car elle ne forme pas un binôme avec elle. Elle ne lui est pas extérieure. Elle n’a pas d’existence autonome à l’instar des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Elle fait partie du premier dont elle reçoit les ordres.

On ne peut, dès lors, soutenir que « tous les deux appartiennent à une seule patrie » parce qu’ils ne sont pas deux entités distinctes, et parce que les mots patrie et nation sont synonymes. Il en découle que ce n’est pas au peuple d’être attaché à son armée, mais à l’armée d’être attachée à son peuple.

2) Il est question dans l’éditorial de « l’unité de leur vision de l’avenir », formulation qui confirme ce qui lui est reproché, à savoir la conception binaire aux termes de laquelle l’armée, d’un côté, et le peuple, de l’autre, seraient deux corps ayant des visions propres qui peuvent converger ou diverger.

Une armée ne peut pas avoir une vision particulière de l’avenir de sa nation, mais seulement de son domaine. Cette vision sectorielle s’articule à d’autres pour donner la vision d’ensemble que promeuvent les représentants élus du peuple : président de la République, Parlement, Gouvernement et institutions publiques spécialisées… Sinon pourquoi la police n’aurait-elle pas la sienne ? Et d’autres organismes aussi…

Rabattant ces considérations sur les événements en cours, le monde entier connait la vision d’avenir exprimée par le peuple algérien : il ne veut pas d’un 5e mandat, et il ne veut plus du « système ».

Quelle est celle de l’armée ?

On ne sait pas, n’ayant affaire qu’à la personne du général Gaïd Salah dont le point de vue était diamétralement opposé à celui du peuple, puisqu’il était pour le déroulement de l’élection présidentielle du 18 avril, avant de rentrer dans un flou artistique.

Où est «l’unité de vision de l’avenir» ? A moins qu’il nous réserve une belle surprise : rallier bientôt la position du peuple, ce qui serait la meilleure chose qu’il ait faite dans sa vie dans l’intérêt de la nation, de l’avenir de l’Algérie, du peuple, de l’armée, de la région et du monde.

Ce qu’a dit cet après-midi le général ? «L’Algérie et l’Armée Nationale Populaire sont chanceuses d’avoir ce peuple ». De deux, dans la revue d’«El-Djeich», le nombre d’entités constituant l’Algérie est passé à trois dans sa bouche : l’Algérie, l’armée et le peuple, les deux premiers se félicitant d’avoir pour compagnon le troisième…

A-t-elle un sens la phrase (« L’Algérie est chanceuse d’avoir le peuple algérien ») ? Mais, général, sans le peuple algérien, l’Algérie ne serait qu’une terre vide qui ne pense pas et ne ressent rien, un paysage muet évoquant Mars, une nature morte sans armée portant le nom d’ANP…

La place et le rôle de l’armée dans la nation sont définis dans le préambule de la Constitution en ces termes :

« Digne héritière de l’Armée de Libération Nationale, l’Armée Nationale Populaire assume ses missions constitutionnelles avec un engagement exemplaire ainsi qu’une disponibilité héroïque au sacrifice, chaque fois que le devoir national le requiert. Le peuple algérien nourrit une fierté et une reconnaissance légitimes à l’endroit de son Armée Nationale Populaire, pour la préservation du pays contre toute menace extérieure, et pour sa contribution essentielle à la protection des citoyens, des institutions et des biens, contre le fléau du terrorisme, ce qui contribue au renforcement de la cohésion nationale et à la consécration de l’esprit de solidarité entre le peuple et son armée. L’Etat veille à la professionnalisation et à la modernisation de l’Armée Nationale Populaire, de sorte qu’elle dispose des capacités requises pour la sauvegarde de l’indépendance nationale, la défense de la souveraineté nationale, de l’unité et de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, aérien et maritime ».

Dans le corps du texte de la Constitution, un seul article, sur 218, lui est consacré :

Art. 28 : « La consolidation et le développement du potentiel de défense de la Nation s’organisent autour de l’Armée Nationale Populaire.

L’Armée Nationale Populaire a pour mission permanente la sauvegarde de l’indépendance nationale et la défense de la souveraineté nationale.

Elle est chargée d’assurer la défense de l’unité et de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que la protection de son espace terrestre, de son espace aérien et des différentes zones de son domaine maritime ».

Ni dans le Préambule, ni dans le corps du texte de la Constitution en vigueur, ni dans celles qui l’ont précédée, il n’a été question jamais de « souveraineté militaire », alors que l’Algérie n’a connu que cette souveraineté-là depuis 1962, souveraineté dans le choix des présidents de la République et souveraineté dans la gestion politique du pays.

C’est cela le «système», et c’est ce qui doit changer avec la révolution citoyenne en cours.

La Constitution affirme en son article 7 : «Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple».

Auteur
Nour-Eddine Boukrouh

 




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